Les sept policiers armés encerclent la petite maison d'une banlieue ouvrière, puis y pénètrent par la force. Les locataires sont absents du trois pièces sommairement meublé. Tandis que ses collègues de la police de Vancouver fouillent l'endroit, l'inspecteur Woods se rend au sous-sol d'où monte une odeur âcre. En bas de l'escalier, alignés avec soin......300 plants de marijuana prêts à être récoltés. Les murs de la pièce sont recouverts de feuilles d'aluminium reflétant la lumière de 15 lampes très puissantes. Une petite salle adjacente, éclairée de néons fluorescents, fait office de pépinière. L'équipe «Grow-Buster» (chasseurs de grow-operations, ces cultures intérieures de cannabis) se met au travail. En moins d'une demi-heure, les plants sont détruits, le matériel confisqué et la maison scellée. Pourtant, aucune plainte ne sera déposée. «C'est inutile, je perdrais mon temps, les tribunaux sont débordés», justifie Woods.
Chris Taulu, responsable d'un centre communautaire, dénonce le manque de soutien de la justice. «Il y a eu 32 plaintes dans mon quartier. Résultat : deux producteurs sont allés en prison et cinq autres ont eu 100 dollars d'amende.» L'objectif n'est donc plus d'éradiquer le problème, mais de le déplacer. «L'idée c'est de porter aux producteurs un coup financier», précise l'inspecteur Woods. En trois ans, les Grow-Busters ont effectué plus de 1 500 opérations, surtout grâce à des dénonciations anonymes - ou à la compagnie d'électricité alertée par des consommations exorbitantes.
Face à une population largement favorable à un assouplissement des lois, police et justice semblent dépassées par l'ampleur du phénomène. «Donner de simples amendes c'est donner un permis pour continuer à dealer, estime le caporal Rintoul, de la gendarmerie royale du Canada, patron des Equipes vertes, équivalent fédéral des Grow-Busters. Aujourd'hui, on est de facto dans une situation de décriminalisation.»
A Vancouver, à quelques rues du centre des affaires, c'est tout un quartier que la police a déserté. «Vansterdam», élue l'an dernier meilleure destination pour fumeurs de marijuana par le magazine américain High Times, a, comme son modèle hollandais, des cafés où fumer du cannabis, des librairies où s'instruire sur la culture du pot et des magasins annonçant en vitrine des rabais sur les pipes ou les graines de cannabis. Au fond de l'un d'entre eux se trouvent les locaux du Parti Marijuana. Son chef, Marc Emery, s'affaire aux envois postaux de graines de cannabis - plus de 50 000 par mois, essentiellement à destination des Etats-Unis. «Ils ont fermé le café d'à côté il y a trois ans. Il a rouvert le lendemain», s'amuse-t-il, sans cesse interrompu par des clients venus s'approvisionner - quelques milliers de dollars en espèce s'échangeront dans la demi-heure.
La culture du cannabis a pris dans la province des allures d'industrie. Outre les cultures intérieures, la Colombie britannique compte aussi des productions extérieures, concentrées sur l'île de Vancouver et dans les régions rurales des Rocheuses canadiennes. Dans la petite ville de Nelson, la marijuana est devenue selon Drew Edwards, journaliste local, «une manière de vivre, un stimulateur social». Brian Taylor, ancien maire de Grand Forks, croit que 20 % de l'argent qui circule dans les petites communautés de la région provient de la marijuana. «A ce niveau, il n'y a plus de place pour l'amateurisme», glisse-t-il, en évoquant la dangerosité croissante de l'activité. Selon l'Agence contre le crime organisé, 85 % du marché provincial de la marijuana serait contrôlé par les Hells Angels et les gangs vietnamiens.
«C'est le seul endroit de l'hémisphère où les choses vont dans le mauvais sens», accuse sans détour John Walters, le tsar américain de la lutte antidrogue. 80 % de la production seraient exportés au sud de la frontière : une livre de marijuana s'écoule quatre fois plus cher à New York qu'à Vancouver. Washington s'étrangle devant le laxisme des autorités canadiennes et a ouvert, cet été, un bureau de la DEA à Vancouver. «Il existe un lien commercial direct entre la marijuana qui va vers le sud et le trafic d'amphétamines, de cocäne, d'armes qui remontent vers le Canada, et ça n'est bon pour aucun des deux pays», plaide Luis Arreaga, consul général américain à Vancouver.
L'introduction, en mai dernier par le gouvernement de Jean Chrétien, d'un projet de loi sur la dépénalisation de possession de petites quantités de marijuana a nourri l'exaspération de Washington. L'avenir du projet de loi est désormais entre les mains de Paul Martin, le nouveau Premier ministre, qui fait des relations de bon voisinage avec les Etats-Unis sa priorité. Il aura fort à faire pour faire oublier la déclaration très médiatisée de son prédécesseur : «Je ne sais pas ce qu'est la marijuana, affirmait récemment Jean Chrétien. Peut-être je l'essaierai quand ce ne sera plus pénalisé. J'aurai l'argent pour mon amende et un joint dans l'autre main.»
Source : CIRC
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