Drogues : la répression au Nord nourrit les rébellions au Sud
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Invité, dans Justice, politique,
Source : Rue89
C’est ce qu’affirment en tous cas trois dirigeants sud-américains, parmi les plus respectés sur la scène mondiale, qui ont publié le mois dernier un rapport dénonçant les conséquences catastrophiques pour les pays pauvres de la « prohibition » des drogues, en particulier de la marijuana. Leur rapport recommande donc sa dépénalisation.
Fernando Cardoso, César Gaviria et Ernesto Zedillo, ex-présidents du Brésil, de la Colombie et du Mexique, à travers la Commission latino-américaine sur les drogues et la démocratie démontrent que des choix prétendument internes des pays occidentaux, tels que l’interdiction de la marijuana, interfèrent sur la vie politique et le développement économique de vastes régions du monde, sans pour autant contribuer à une diminution significative de la consommation.
Au Mexique, une guerre impitoyable entre mafias a fait plus de 6 000 morts en 2008
En concurrence avec les mafias armées qui contrôlent le marché illégal de la drogue, les gouvernements démocratiquement élus, expliquent-ils, se trouvent dans l’incapacité de mener des politiques d’éducation, de santé, et de maintenir l’état de droit et la sécurité indispensables au développement.
Une analyse que confirment les experts de la Banque mondiale Phil Keefer et Norman Loayza dans un ouvrage récent, reconnaissant qu’on a longtemps sous-estimé l’impact du phénomène.
Prenons le cas du Mexique, premier producteur de marijuana en Amérique latine et nouvelle plaque tournante du trafic de cocaïne vers les Etats-Unis. Une guerre impitoyable y sévit entre organisations mafieuses et représentants de la force publique, avec son cortège de morts violentes -plus de 6 000 en 2008- et d’enlèvements.
L’Etat est affaibli au point de ne bientôt plus pouvoir faire face à ses obligations sociales, et les mafias infiltrent les milieux politiques, judiciaires et de sécurité, mettant en péril la démocratie elle-même.
Au Paraguay, la culture du cannabis rapporte cent fois plus que celle du manioc
Plus au sud, au Paraguay, la situation n’est pas meilleure. La marijuana a conquis en dix ans des milliers d’hectares et le pays est désormais le deuxième producteur en Amérique latine. Elle rapporte aux paysans cent fois plus à l’hectare que la culture traditionnelle du manioc… et enrichit des groupes paramilitaires qui contrôlent aujourd’hui le tiers nord du pays.
Le gouvernement démocratique élu au printemps dernier y a lancé une intervention militaire, mais les moyens lui manquent et le risque d’une formation de pseudo-guérillas alimentées par le narcotrafic est réel.
Ces constatations suffiront-elles à faire bouger les classes politiques européennes et américaines ? Jusqu’ici, elles ont fermé les yeux sur l’impact de leurs choix domestiques sur les pays pauvres, préférant des mesures plus opportunistes.
Dans le cadre de sa visite, Nicolas Sarkozy a ainsi offert au Mexique les compétences françaises en matière de formation des policiers mexicains et signé un accord sur l’ouverture d’une usine de production de pièces d'hélicoptères et la vente de quelques unités de ces fleurons de notre technologie.
Sur le forum de campagne d'Obama, le premier sujet abordé est la dépénalisation
Interrogé sur la question de la dépénalisation de la marijuana, l’actuel président mexicain Felipe Calderón s’y déclare opposé, avant de mettre en avant, réaliste, le problème fondamental que constitue la nécessité d’une avancée conjointe sur ce dossier avec les pays développés qui en sont les principaux marchés :
« Tant que les Etats-Unis ne modifient pas leur propre législation à cet égard, ce serait absurde. Nous ferions de notre pays le paradis de la drogue et du crime. »
Evoquer aujourd’hui la légalisation de la marijuana resterait un tabou dans la plupart des pays, un sujet à haut risque électoral.
Pourtant, la situation pourrait bien évoluer. Pendant la campagne électorale américaine, sur le forum de Barack Obama, le premier sujet abordé -et de très loin- par les internautes, était cette légalisation, avec plus de 70 000 contributions et une très forte majorité d’opinion favorable.
Le candidat à la Maison-Blanche avait déclaré alors qu’il était prêt à réfléchir à la question. A Vienne, où se réunit jusqu’au 20 mars la commission des Nations unies sur les drogues et narcotiques, ces sujets devraient être abordés mais, sans vision politique forte, de grandes avancées semblent encore exclues