Consommation de cannabis : l'amende forfaitaire de 200 euros repoussée à la fin d'année
Alors que le secrétaire d'Etat en charge de la Jeunesse, Gabriel Attal, s'est déclaré "favorable" à l'ouverture d'un débat autour de la légalisation du cannabis après le lancement d'une mission d'information parlementaire mi-janvier, la France s'apprête à se doter d'un nouvel outil pour sanctionner les consommateurs de drogues, et notamment de cannabis. Avant d'être mise en place sur l'ensemble du territoire national, l'amende forfaitaire votée en novembre 2018 doit être expérimentée à Rennes, Reims et Créteil. La phase test, qui devait à l'origine démarrer en décembre, ne sera finalement pas lancée avant mars, voire juin.
Depuis 1970, la consommation de stupéfiants est passible d'un an de prison et 3.750 euros d'amende. Mais dans les faits, les simples usagers, notamment de cannabis, ne sont quasiment jamais condamnés par les tribunaux correctionnels. En 2015, pour près de 140.000 interpellations pour consommation de drogues, seulement 3.098 peines de prison ont été prononcées. L'amende forfaitaire entend donc "assurer une réponse pénale et responsabiliser les usagers" selon le procureur de la République de Rennes Philippe Astruc.
Une inscription au casier judiciaire
Concrètement, quand une personne sera interpellée par la police ou la gendarmerie pour consommation de stupéfiants, celle-ci pourra bientôt être verbalisée. Le Centre national de traitement automatisé des infractions routières (CNT), dont les prérogatives seront donc élargies, sera ensuite chargé de lui transmettre l'amende. Le montant de celle-ci sera minoré (150 euros) si elle est payée dans les quinze jours et majoré (250 euros) si elle n'est pas réglée dans les 45 jours.
Consommer de la drogue sera toujours considéré comme un délit, et non comme une contravention. D'ailleurs, l'amende forfaitaire s'accompagnera automatiquement d'une inscription au casier judiciaire, contrairement à aujourd'hui où c'est le cas seulement après une condamnation. Elle ne s'appliquera pas aux mineurs, aux récidivistes ou si plusieurs infractions sont constatées. "C'est un outil supplémentaire, mais le procureur a toujours la possibilité de demander des poursuites", ajoute Philippe Astruc. Une circulaire de la Garde des Sceaux devrait prochainement donner aux procureurs de la République des indications sur les modalités d'application du dispositif.
Lille retirée de l'expérimentation
Toujours est-il que, pour l'instant, l'amende forfaitaire n'a toujours pas été expérimentée. En septembre, la ministre de la Justice Nicole Belloubet annonçait sa volonté de la rendre "opérationnelle courant 2020" dans toute la France, avec des expérimentations dans les villes de Rennes, Reims, Créteil et Lille à partir de décembre 2019. En janvier, le JDD révélait déjà que la phase test serait repoussée au mois de mars. Finalement, celle-ci débutera "d'ici à juin 2020, en vue d'une extension d'ici à la fin de l'année" selon le ministère de l'Intérieur. D'après le parquet de Lille, la capitale des Flandres ne ferait d'ailleurs plus partie de l'expérimentation.
Le procureur de la République de Rennes explique ce retard par des "raisons techniques" : "Nous attendons un avis de la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) concernant le CNT". Le magistrat l'assure, "tout sera prêt au plus tard à la fin du semestre".
Près de 18 mois après la légalisation, le bilan est désastreux pour les entreprises du secteur, concurrencées par le marché noir.
Dans l’usine de Smith Falls (Ontario), Canopy Growth fabrique des produits dérivés du cannabis (ici, du chocolat). Blair Gable/REUTERS
Les espoirs des entreprises du secteur du cannabis partent en fumée. Après une année 2019 décevante, les géants de la marijuana canadienne accumulent les mauvaises nouvelles depuis le début du mois. Aurora Cannabis a annoncé en fin de semaine le licenciement de 500 employés sur 1600. Un autre producteur, Tilray, a fait part de sa volonté de se séparer de 10% de ses effectifs début février. Plusieurs autres sociétés ont procédé à des suppressions de postes ces dernières semaines.
Presque un an et demi après la légalisation du «pot» comme les Québécois appellent le cannabis, le marché s’effondre. Depuis la légalisation de la marijuana le 17 octobre 2018, l’indice boursier du secteur, le Canadian Marijuana Index, s’est écroulé de 781 points à 178 points le 12 février. D’une capitalisation boursière de 4,9 milliards de dollars canadiens (3,3 milliards d’euros) au jour de la légalisation, le producteur de cannabis Aphria ne vaut plus aujourd’hui que 1,1 milliard (750.000 euros). L’action de Canopy Growth, la principale firme du secteur, est passée dans le même temps de 69 à 19 dollars. Rien ne va plus.
Tout avait pourtant commencé sur les chapeaux de roue, du moins dans les prévisions. Dans un rapport détaillé intitulé «Légalisation du cannabis: considérations financières», publié en novembre 2016, le rapporteur parlementaire du budget d’alors, Jean-Denis Fréchette, avait estimé que les dépenses totales des consommateurs de cannabis s’élèveraient entre 4,2 milliards et 6,2 milliards de dollars (2,9 à 4,2 milliards d’euros), lors de la première année de la légalisation. Le 17 octobre 2018, les producteurs de marijuana se sont même offert une pleine page de publicité dans la presse écrite titrée Un grand jour et un futur radieux.
Le gramme deux fois moins cher dans la rue
Rien ne s’est passé comme prévu. Selon l’institut national Statistique Canada, les ventes en ligne et en magasin ont atteint 908 millions de dollars (625 millions d’euros) pour la première année de légalisation. Bien loin des prévisions. Les sociétés du secteur ne réalisent pas de profits. D’une part, parce que le marché a été surestimé, mais aussi parce que le puissant marché noir, loin de disparaître avec la légalisation, a su s’adapter.
À lire aussi : La légalisation du cannabis fait fleurir les start-up au Canada
Au Québec, dans la rue, les revendeurs de «pot» proposent leurs produits à 5,70 dollars le gramme (3,90 euros), contre 10 dollars (6,90 euros) dans les succursales de la Société québécoise du cannabis. «Il y avait tellement de battage médiatique autour de cette industrie. Les entreprises elles-mêmes voulaient faire mousser la taille de l’industrie et la taille des revenus pour attirer les investisseurs, ce qui a conduit à une croissance démesurée et peut-être injustifiée», analyse, dans l’hebdomadaire Les Affaires, le sociologue Akwasi Owusu-Bempah, professeur à l’Université de Toronto, qui prévoit des faillites en série.
Les malheurs ne font que débuter. Au moins neuf cabinets d’avocats des États-Unis ont déposé des recours collectifs (class action) contre plusieurs producteurs de marijuana canadiens. Les juristes américains estiment que ces derniers, en gonflant publiquement le potentiel de leurs ventes, ont fait perdre de l’argent à leurs clients investisseurs.
Par Ludovic Hirtzmann
Source: lefigaro.fr
Comment Culture Indoor profite du cannabis sans jamais en parler
FRÉDÉRIC BRILLETPUBLIÉ LE 25/01/2019 À 12H30MIS À JOUR LE 25/01/2019 À 12H36
En quelques années, Culture Indoor est devenu le numéro un français des growshops, ces magasins dédiés aux amateurs de cultures en intérieur de toutes sortes y compris illicites. Et ce grâce au système de la franchise et à une clientèle qui préfère cultiver à domicile plutôt qu’acheter dans les cités. Mais avec la saturation du marché, les ventes s’essoufflent.
On a connu commerce plus avenant. Dans la vitrine poussiéreuse, des plantes anémiées se morfondent. Ici, des sacs d’engrais s’empilent. Là, des chambres de culture découvrent leur revêtement intérieur métallisé éclairé par de puissantes lampes qui éblouissent le visiteur. Contre le mur défraîchi s’appuient des cartons contenant des extracteurs d’air ou d’odeur. Chez Culture Indoor, une franchise dédiée au jardinage en intérieur présente dans toute l’Europe, on se soucie manifestement peu du merchandising.
Officiellement, comme dans tous les “growshops”, les clients y viennent pour cultiver des fleurs, légumes ou plantes aromatiques dans un coin de leur salon ou au fonds de leur placard. Mais dans les points de vente visités, des indices ça et là laissent aisément deviner la nature et la finalité des récoltes. Chez Culture Indoor, on trouve des engrais comme la bien nommée marque Canna. Et puis que viennent faire dans une jardinerie ces pipes à eau pour fumeurs? Cet autocollant qui reproduit le logo d’un célèbre coffee-shop hollandais?
Voilà donc une franchise un brin hypocrite. Mais à l’instar des quelque 230 growshops que compte la France, Culture Indoor n’a d’autre choix que de cultiver l’ambiguïté. Elle doit feindre d’ignorer l’usage que la grande majorité de ses clients font de ses produits, puisque la culture du cannabis demeure illégale, fût-ce à des fins de consommation personnelle. C’est pourquoi les propos entre initiés entendus dans les points de vente demeurent bien anodins.
“On y échange avec les vendeurs sans jamais prononcer le mot interdit car on se comprend à demi-mot. Des grand-mères innocentes entrent parfois demander conseil pour leur orchidée, ça nous amuse beaucoup” confie Julien, client de cette enseigne qui est parvenue à prendre le leadership en à peine dix ans. Non contente de contrôler plus de la moitié du marché intérieur avec 131 magasins sur le territoire national, Culture Indoor en a bouturé 34 d’autres hors des frontières, essentiellement en Europe.
La tête de réseau emploie directement une vingtaine de personnes mais en fait vivre plusieurs centaines si l’on compte l’effectif des points de vente. Et selon les comptes déposés au tribunal du commerce, elle aurait réalisé un chiffre d’affaires de 15,5 millions en 2017 pour un résultat net de 288 058 euros.
Culture Indoor a bâti son succès sur une consommation en hausse régulière malgré la prohibition: selon le “Baromètre santé 2017 sur les usages en France de substances psychoactives illicites”, près d’un adulte de 18 ans à 64 ans sur dix (11 %) et un adulte de 18 ans à 25 ans sur quatre (26,9 %) a fumé du cannabis au moins une fois dans l’année. Une consommation qui passe de plus en plus par l’autarcie pour la clientèle mature. “Je me vois mal à mon âge acheter dans une cité un produit dont j’ignore la qualité, au risque de passer une nuit au poste” résume Julien, un restaurateur quadragénaire.
Mais comment Culture Indoor a t-il émergé face à la concurrence sans avoir de souci avec la loi française, l’une des plus répressives d’Europe? Pour le savoir, Capital a sollicité Frédéric Tordjman, qui a fondé cette PME en 2009. Mais ce patron trentenaire qui semble avoir pour devise “pour vivre heureux vivons caché” décline les interviews.
Heureusement, des spécialistes du cannabis business et des franchisés de l’enseigne se montrent plus prolixes. “Pendant longtemps, ce secteur a été dominé par des commerces indépendants. Culture Indoor a lancé sa franchise en cassant les prix, ce qui lui a permis de les laminer” résume Aurélien Bernard, rédacteur en chef du site d’informations Newsweed.
Bénéficiant de meilleures conditions d’achat du fait de la puissance de sa centrale, le distributeur a conforté sa domination par une communication en ligne agressive. “Il investit beaucoup dans la publicité par mot-clé sur Google, c’est ça qui fait venir des gens dans mon magasin. Les concurrents ne peuvent suivre face à ce rouleau compresseur. Nous proposons aussi une large gamme de quelque 7000 références” précise un franchisé.
Autre élément du succès, l’extrême prudence. “Culture Indoor s’abstient de participer aux salons du cannabis qui se tiennent en Europe, y compris à Expogrow qui draine à la frontière franco-espagnole les acteurs français du secteur. Il refuse de se mouiller et de voir son nom associé à la plante” résume Olivier, rédacteur en chef du magazine spécialisé Soft Secrets. Dans le même esprit, le distributeur exclut de son site de e-commerce les produits trop connotés. Certes, en cherchant bien on y trouve un joli assortiment de briquets et cendriers, des fausses piles, pierres ou canettes servant à cacher… ma foi ce que l’on veut.
Mais pas question pour le franchiseur de vendre des pipes à eau, des T-shirts arborant une feuille de cannabis ou du cannabis légal dit CBD et qui abondent sur les sites des entreprises opérant depuis l’étranger. “La direction nous déconseille aussi de le faire car on frôle la ligne rouge”, explique un franchisé. En France, la loi réprime en effet l’incitation à la consommation et toute présentation de substances illicites sous un jour favorable, même s’il n’y a pas de vente du produit concerné. Reste que les revendeurs qui ont droit d’acheter une petite partie de leur assortiment hors du catalogue Culture Indoor ne tiennent pas tous compte de ce conseil. Mais s’ils ont maille à partir avec la justice pour cette raison, la tête de réseau pourra toujours arguer qu’elle n’y est pour rien.
Malgré le savoir-faire et la notoriété de l’enseigne chez les consommateurs, les franchisés ont subi ces dernières années une contraction des ventes, de 20% chez certains. Un repli découlant de la concurrence des sites de e-commerce et de la saturation du marché. Le nombre de fumeurs qui aspirent à planter pour leur consommation personnelle n’est pas extensible: une fois qu’on lui a vendu un kit complet (un consommateur régulier peut débourser entre 1000 et 1500 euros pour un équipement avec chambre de culture pour abriter les plants, lampes, humidificateur d’air, extracteur d’odeur…) le client ne revient guère que pour acheter des consommables comme les engrais et du substrat (billes d’argile, fibres de coco…). Pour compenser cette conjoncture médiocre, Culture Indoor qui aspire à compléter sa couverture du territoire a supprimé le droit d’entrée et les royalties dont devaient s’acquitter ses franchisés, explique l’un d’eux.
Cela suffira-t-il à redynamiser la chaîne? Pas sûr. La France subit en effet un handicap supplémentaire par rapport à ses voisins, constate Thomas Duchêne, cofondateur et président de Plantasur, un grossiste basé en Espagne qui exporte du matériel de jardinage, des engrais et graines de cannabis dans 35 pays. “La réglementation manque de clarté. Les growshops se sentent en insécurité juridique, ça n’incite pas à investir”.
D’un côté, les autorités brident les ventes de cannabis CBD, une variété pourtant dépourvue de THC, la substance psychoactive de la plante. Ferment des growshops qui conseillent trop explicitement leurs clients ou vendent simultanément du matériel pour cultiver et des graines de cannabis dites de collection (elles sont en vente légale mais il est interdit de les planter). De l’autre, ces mêmes autorités laissent la grande majorité des magasins qui respectent cette ligne rouge opérer en toute tranquillité, bien que leur raison d’être soit un secret de Polichinelle.
La raison? La police et la justice auraient d’autres priorités. “On n’a jamais vu des bandes s’affronter pour le contrôle d’un magasin vendant des lampes et des engrais. Les growshops et leurs clients rapportent des taxes, ne créent pas de troubles à l’ordre public, contrairement au trafic de rue. Donc ils sont tolérés. On est déjà dans un marché gris” conclut Thomas Duchêne.
Le maire Femke Halsema veut mieux contrôler les coffeeshops de la ville et réduire les nuisances causées par les touristes du cannabis.
Elle laisse comprendre qu'Amsterdam pourrait empêcher les touristes de venir en ville pour fumer. Elle veut rendre le marché du cannabis gérable. A la mairie, la fermeture des coffeeshops est également envisagée.
L'étude devrait également préciser quelles règles locales sont possibles pour l'approvisionnement - encore - illégal de haschisch et pour l'herbes par la «porte dérobée» des cafés.
Tout ceci ressort d'une lettre qu'elle a envoyée au conseil municipal vendredi après-midi.
Les motifs
Halsema a commandé une étude au Département de la recherche, de l'information et des statistiques, où les touristes du quartier rouge ont été interrogés sur leurs motivations pour venir à Amsterdam et sur le rôle que jouent les coffeeshops à cet égard. Pour une grande majorité de touristes, 57%, les coffeeshops sont une raison importante ou très importante de venir ici. Pour un tiers des touristes britanniques, c'est même la principale raison.
Si les coffeeshops devaient fermer, 44% des touristes du Wallento ne viendraient plus à Amsterdam ou en tout cas moins souvent.
Le quartier rouge et la prostitution sont une raison beaucoup moins importante pour les mêmes touristes de venir à Amsterdam. Pour une large majorité, le quartier rouge joue peu ou pas de rôle dans leur choix pour notre ville.
Si les vitrines ferment, environ un tiers ne viendra plus à Amsterdam ou moins souvent.
Intimider
La facturation des frais d'entrée pour le quartier rouge a un effet dissuasif. Les trois quarts des touristes éviteraient plus souvent cette zone.
Halsema intégrera les résultats de la recherche dans son approche de la nuisance en centre-ville. Le maire a déjà remis en question l'avenir de la prostitution dans le quartier rouge. Elle étudie actuellement si la réinstallation du travail du sexe dans d'autres parties de la ville est une option ainsi que leurs emplacements.
ENQUÊTE - L’expérimentation en France, qui sera lancée en septembre prochain par l’ANSM, prévoit l’importation de traitements à base de cannabis. Les entreprises canadiennes espèrent conquérir ce marché mais une filière nationale veut voir le jour.
La serre de l’usine Tilray, au Portugal. Paul Carcenac / LE FIGARO
De notre envoyé spécial à Cantanhede (Portugal)
Une odeur herbacée envahit les narines du visiteur. Puissante, entêtante. Quelques secondes plus tard, comme dans un mirage, surgit une serre de 2,4 hectares, cernée de barbelés. Un peu plus loin, de hauts bâtiments gris, contrôlés par des agents de sécurité zélés. Nous sommes dans le saint des saints, le centre de production de cannabis thérapeutique - donc légal - de Tilray, à Cantahede au Portugal. «Il y a quatre ans, il n’y avait ici qu’un champ vide», s’enthousiasme Dounia Farajallah, directrice de la filliale française de cette entreprise canadienne, l’un des leaders mondiaux du secteur. Désormais, plus de 200 personnes se relaient jour et nuit pour faire pousser des milliers de pieds de 43 variétés différentes de cannabis. Ils atteignent plusieurs mètres de hauteur, alimentés en lumière par des lampes surpuissantes.
Les employés confectionnent huiles, gélules et fleurs séchées à inhaler, à destination de plusieurs pays européens: Allemagne, Irlande, Royaume-Uni, Croatie, Chypre... Le volume exact de production est un secret bien gardé, concurrence oblige. Les dirigeants de Tilray ont investi 20 millions d’euros dans ces installations futuristes, certifiées Bonnes pratiques de fabrication (BPF) par l’Agence européenne du médicament.
En ce moment, un dossier stratégique occupe tout particulièrement les dirigeants. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) - en France, donc - lance en septembre prochain une expérimentation pour deux ans. Les entreprises qui fourniront des produits aux 3000 premiers patients français seront bientôt choisies. Épilepsies sévères, maladies nerveuses, soins palliatifs, sclérose en plaques ou effets secondaires des chimiothérapies... «C’est pour les malades en échec thérapeutique, qui n’ont pas d’autre solution», martèle Dounia Farajallah.
Être présent dès maintenant sur le marché hexagonal est capital pour les sociétés canadiennes. Ces multinationales souvent cotées en Bourse, comme Tilray, Canopy Growth ou Aurora, ont une longueur d’avance en termes de savoir-faire. Le cannabis médical y est autorisé depuis 2001.
Ces firmes tentaculaires sont pourtant sous pression. Le secteur boursier a subi une sévère correction ces derniers mois. Tilray a perdu 60% de sa capitalisation depuis août. Canopy Growth et Aurora ont lâché respectivement 38% et 75%. Le secteur médical à l’international, estimé à 55,8 milliards d’euros à l’horizon 2025 par le cabinet Grand View Research, ne grossit pas assez vite au goût des investisseurs. Tilray a dû se résoudre il y a quelques jours à se séparer de 10% de ses collaborateurs, pour réduire ses coûts.
D’autres firmes ont également des activités dans le cannabis récréatif. Et là aussi, au Canada, les résultats ont déçu depuis la légalisation en 2018. Chaque bonne nouvelle est donc aujourd’hui une aubaine pour rassurer. «Il y avait une surestimation de la demande et de la rapidité de l’évolution de la législation dans le monde. La courbe est lente. Il faut faire de la pédagogie», rassure Hélène Moore, directrice québécoise de la branche française d’Aurora, mastodonte du secteur implanté dans 25 pays.
Chez Tilray, les normes sont strictes autour de la plante. Paul Carcenac / Le Figaro
Ces géants canadiens le jurent: ils ne se contentent pas de livrer du cannabis. Ils investissent dans les pays où ils fournissent des traitements. En Allemagne, où Aurora est dominant sur le marché avec 4 tonnes de commandes, le groupe construit des serres près de Leipzig. Tilray assure de son côté vouloir contribuer à l’économie française. «Même si la production restait basée au Portugal, nous créerons des emplois en France. Il faudrait alors des équipes de médecins-conseils, des délégués médicaux, des juristes, des livreurs...» énumère Dounia Farajallah.
Aucune industrie française
Face à eux, des challengers européens se positionnent, comme le hollandais Bedrocan ou le britannique Emmac Life Sciences. Ce dernier, qui ambitionne de devenir leader sur le Vieux continent, possède aussi un site de production au Portugal et livre huit pays. «C’est important, dans ce domaine, d’être des experts locaux», confie le directeur général Antonio Constanzo. Pour preuve, le rachat en juin dernier de l’entreprise corrézienne Green Leaf, spécialisée dans le CBD (substance non-euphorisante issue du cannabis, dont la commercialisation est autorisée mais très encadrée). Emmac joue la carte de la proximité. «On a une empreinte carbone plus réduite que nos concurrents et nous avons une vraie compréhension culturelle des pays où nous sommes actifs», poursuit François Xavier Nottin, directeur France et Benelux de la firme.
L’ANSM a récemment confirmé qu’elle aurait recours «à des producteurs étrangers» pour les deux ans d’expérimentation. Sept d’entre eux ont été auditionnés l’an passé par un comité d’experts. Toutefois, «si un producteur national est en capacité de répondre aux critères (...), il pourra être retenu», a garanti la directrice générale adjointe de l’ANSM, Christelle Ratignier-Carbonneil il y a quelques jours.
Des traitements de la firme Tilray, à base d’huile de cannabis. Paul Carcenac / Le Figaro
Il est cependant absolument impossible pour une industrie française de se positionner face à ces géants. Sauf à des fins de recherche, la loi ne permet pas de cultiver du cannabis à forte teneur en THC (le cannabinoïde utile en pharmacologie, mais aussi classé comme stupéfiant). La députée LREM Emmanuelle Fontaine-Domeizel, suppléante de Christophe Castaner dans les Alpes-de-Haute-Provence, s’inquiète du retard pris. «Je souhaiterais que l’on puisse créer une filière made in France, avec les agriculteurs et les extracteurs, bouillonne-t-elle. Il faut qu’ils puissent vivre de leur travail. Que le Canada vise la France pour un quelconque marché, on l’entend. Mais on veut avoir notre rôle à jouer dans cette affaire».
Des acteurs tricolores fourbissent quand même leurs armes, notamment l’union de coopératives InVivo, leader français du chanvre industriel (utilisé principalement dans le textile). Le groupe veut lancer un grand consortium de cannabis thérapeutique sous serre. «On veut faire de la R&D dès le lancement de l’expérimentation. Nous serons ensuite en mesure de prendre le relais des produits d’importation d’ici deux ans», promet Yves Christol, le directeur général d’Invivo food and tech. «Tout pourra commencer quand l’ANSM nous donnera une autorisation», poursuit-il.
De plus petits agriculteurs attendent aussi un feu vert des pouvoirs publics, comme on le leur a promis. La Creuse, notamment, veut devenir un champion du secteur. Dans ce département, en avril dernier, Édouard Philippe est venu signer le Plan pour la revitalisation du bassin d’emploi comprenant un volet sur le développement d’une filière locale du cannabis thérapeutique. Des agriculteurs comme Jouany Chatoux, membre du syndicat professionnel du chanvre, sont prêts. «Nous avons un ancien site militaire, un bunker sous terre. On travaille à la création d’un pôle d’excellence. Tout est prêt mais cela devient urgent.
Les ministères et l’ANSM se renvoient la balle. C’est un peu le flou artistique», déplore-t-il. «Il faudra, après les deux ans de test, laisser la place aux acteurs locaux! Sinon on va louper ce marché...» La hantise des Creusois reste l’exemple allemand, où une fois l’expérimentation terminée, les multinationales canadiennes Aurora et Aphria ont avalé le marché légal. Un seul acteur local, Demecan, s’est fait une place au soleil. Mais il s’agit d’une joint-venture avec l’entreprise Wayland basée... dans l’Ontario.
Par Paul Carcenac
Source: lefigaro.fr
Nous perdons une personne qui a beaucoup laissé dans le milieu cannabique tant par son savoir que ses strains...
RIP Subcool...
Après plusieurs années de lutte contre une maladie rare, le célèbre cultivateur / éleveur Subcool est décédé. Il souffrait d'un déficit en Alpha 1-antitrypsine (AAT) et de BPCO.
On sait peu de choses sur la vie personnelle de Subcool avant qu'il ne devienne un cultivateur de cannabis, célèbre pour la sélection de variétés telles que Vortex et Jack the Ripper. Il les a vendues ainsi que d'autres variétés via ses sociétés TGA Genetics et Subcool Seeds.
Né Montgomery Ball, il a finalement déménagé de l'Oregon en Californie en 2013 après y avoir bâti sa réputation et avoir été intronisé au Temple de la renommée de la High Times Seed Bank en 2009.
Subcool a écrit plusieurs livres, dont Dank: The Quest for the Very Best Marijuana, et a accueilli l'émission Weed Nerd sur YouTube.
En 2017, l'incendie de forêt qui a ravagé certaines parties de Santa Rosa a incendié l'installation de culture de lui et de sa femme. Lui et MzJill se sont séparés et ont divorcé par la suite. Elle a gardé TGA Genetics et il a commencé sa nouvelle ligne Dank.
À propos de son état, Subcool a déclaré à Big Buds en 2016:
«J'ai beaucoup de mal à faire face à une carence en antitrypsine Alpha-1. Elle est transmise des parents à leurs enfants par le biais de leurs gènes, et crée une maladie pulmonaire grave chez les adultes. Elle peut provoquer une maladie du foie à tout âge. Cette maladie crée une grave pénurie de souffle, mais c'est aussi une maladie du foie, et la mienne a progressé assez rapidement. En fin de compte, je m'étouffe lentement, mais je ne peux pas y faire grand-chose.
"Il n'y a pas de remède pour cette maladie génétique, mais je reçois des perfusions hebdomadaires qui prolongent ma vie. Le problème est que les perfusions sont incroyablement chères. Mon assurance maladie coûte plus cher que mon hypothèque.
"Ironiquement, étant donné combien j'aime inhaler du cannabis, cette maudite maladie rend malsain de fumer de l'herbe ou même d'être avec des gens qui le font. Pour cette raison, je suis devenu un peu isolé. Les gens aimaient visiter et se défoncer Mais ces jours-ci, les gens visitent rarement, parce qu'ils ne peuvent pas fumer autour de moi. Je dois aussi faire attention aux contacts avec les gens, parce que je suis très sensible au rhume et à la grippe. J'ai tendance à faire la plupart des mon travail via e-mail et les réseaux sociaux. C'est une maladie solitaire. "
En ce qui concerne la façon dont il a développé ses variétés, Subcool a expliqué:
"Mon principal objectif initial était de créer une gamme de graines de marijuana qui se sont développées pour être des hybrides à haut rendement à saveur de fruits. Le premier goût et parfum de fruits que nous avons perfectionné était le citron. Puis vinrent le raisin, la cerise et l'orange. Très bientôt, nous travaillions avec les goûts et les parfums du chocolat. J'étais tellement excité par ces cultivars et je les ai donnés à d'autres cultivateurs professionnels pour voir ce qu'ils disaient. Les gens m'ont dit qu'ils aimaient ces variétés. Pas seulement le goût et le parfum, mais aussi leur nouvelle sortes de highs. "
SubCool a écrit pour CelebStoner à la fin des années 2000 et au début des années 10. La photo ci-dessus le montre avec des plantes cultivées par Mendo Dope à partir de sa génétique et de celle de MzJill.
L'Agence du médicament a détaillé mardi 28 janvier le cahier des charges pour les industriels qui fourniront le cannabis thérapeutique, pour une expérimentation pendant deux ans auprès de 3 000 patients français. Franceinfo a pu visiter une usine de production de cannabis au Portugal.
L’usine est assez facile à repérer. À une centaine de mètres à la ronde, une forte odeur de cannabis est dans l’air de la zone industrielle de Cantanhede au Portugal, située entre Lisbonne et Porto.
La société canadienne Tilray vient de créer une usine de production de cannabis au Portugal consacrée au marché européen. Et peut-être bientôt au marché français car l'expérimentation du cannabis thérapeutique se précise : 3 000 patients français vont tester le cannabis pour soulager la douleur à partir de septembre 2020. L'Agence du médicament a détaillé, mardi 28 janvier, le cahier des charges pour les industriels qui fourniront ce cannabis pendant deux ans aux patients français de cette expérimentation.
43 variétés sous haute surveillance
Au Portugal, les conditions de sécurité sont strictes. Les vigiles, les barbelés et les caméras sont omniprésents avant de pouvoir accéder à la serre. Une serre gigantesque, un hectare où se trouvent des dizaines de milliers de plants dans des pots, avec autour des ouvriers en combinaison médicale. Ici, rien n'est laissé au hasard. "Quand on a plus de douze heures d’ensoleillement, on ferme le haut de la serre pour leur [les plants de cannabis] faire croire que c’est la nuit, explique Dounia Farajallah, pharmacienne et directrice de Tilray France. On joue sur le jour et la nuit pour réduire leur cycle et on a des plantes en trois à quatre mois au lieu de six mois jusqu’à un an."
Quatre récoltes par an, c'est la troisième pour cette usine qui a ouvert en avril 2019. "On fait pousser 43 variétés différentes de cannabis, indique Cristina Almeida, responsable de la qualité. On fait des boutures, des clones, qu'on laisse dans une nurserie pendant 40 jours. Ensuite, on les fait pousser dans la grande serre pendant 40 autres jours. Ce clonage, c'est pour que dans chacune des variétés, tous les plants soient calibrés, aient exactement les mêmes propriétés, les mêmes pourcentages de CBD et de THC."
Chaque variété contient en effet des teneurs différentes en cannabidiol (CBD) et en tétrahydrocannabinol (THC). Ce sont les deux principes actifs du cannabis qui intéressent la médecine pour aider par exemple les patients atteints d’un cancer à supporter les traitements. "Le THC a un effet antiémétique, anti-vomitif, un effet antalgique et est aussi un stimulant d’appétit, détaille Dounia Farajallah. Il est donc intéressant dans le cadre des nausées et des vomissements induits par la chimio et réfractaires aux traitements actuels sur le marché."
Gouttes d'huile et fleurs séchées
Dans cette usine, il n'est absolument pas question de produire du cannabis qui se fume mais des gouttes d'huile de cannabis ou des fleurs séchées, dont on inhale les vapeurs grâce à un petit vaporisateur. Impossible pour les journalistes de voir comment le cannabis est transformé.
Une question de normes sanitaires et aussi de secret industriel. "Chaque pays, chaque autorité sanitaire va nous demander des dosages différents entre CBD et THC, indique Joao Pancas, responsable production. Pour les fleurs séchées, on n'intervient pas dans le processus, on va choisir une variété qui naturellement correspond aux pourcentages demandés. Pour les gouttes d'huile de cannabis, là c'est différent, puisqu'on crée les dosages par un processus pharmaceutique."
L'usine prévoit également de fabriquer bientôt des gélules d'huile de cannabis. Elle va prochainement s'agrandir, le marché est prometteur, une vingtaine de pays européens autorisent déjà le cannabis thérapeutique notamment l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal ou encore le Royaume-Uni.
La vente, l’achat et la consommation de cannabis sont interdits en Belgique. La politique de prohibition s’appuie sur une loi de 1921 qui est remise en question par de nombreux acteurs de la société civile face aux enjeux de santé publique, notamment via la campagne #Stop1921.
Ce mouvement qui réclame une régulation non-marchande du cannabis rassemble des dizaines d’associations de tout le pays comme le Centre bruxellois de coordination sociopolitique, Fédito (les fédérations bruxelloise et wallonne des institutions pour toxicomanes qui rassemblent les institutions actives dans l’information, la prévention, la réduction des risques, les soins, l’accompagnement…), Infor-Drogues, Mambo Social Club, Trekt Uw Plant, Médecins du monde…
Ces acteurs lancent aujourd’hui une pétition pour demander au législateur de définir un cadre légal pour les “cannabis social clubs”. Il s’agit d’associations de consommateurs de cannabis, qui les aident à cultiver en toute sécurité pour leur consommations personnelle. Le cannabis, dont la culture est supervisée, est gérée et distribuée aux membres du club.
Une alternative à la prohibition
Depuis près de 100 ans, la loi belge régule les produits psychotropes en criminalisant leurs usages. Résultat ? Une politique “déconnectée des réalités actuelles” qui n’a "jamais réduit ni l’offre, ni la consommation”. Les effets s’avèrent désastreux, notamment en matière de santé publique et d’engorgement du système judiciaire.
Parallèlement, Eurotox (l’Observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles) estime que le marché illégal du cannabis engrange plusieurs dizaines de millions d’euros par an, en s’articulant avec diverses formes de criminalité, dont le trafic d’armes.
Les "cannabis social clubs" représentent une alternative réaliste et pragmatique à la prohibition, estiment les signataires de la pétition déjà avalisée par des criminologues et des juristes (Tom Decorte, de l’UGent ; Christine Guillain de Saint-Louis-Bruxelles ; Julien Pieret, de l’ULB) et par des députés (Eric Massin, PS ; Sophie Rohonyi, Défi ; Zoé Genot, Ecolo…)
Pas de but lucratif
Le modèle des écannabis social clubs" contribue à reprendre le contrôle d’un marché actuellement aux mains des réseaux criminels, en supervisant toute la filière de manière transparente. Ces clubs offrent un espace propice pour diffuser une information objective et fiable en matière de prévention et de réduction des risques. Les budgets consacrés à la répression (police, tribunaux, prisons) pourraient être réaffectés à une politique drogues plus équilibrée entre prévention, soins et poursuites des réseaux criminels.
Les "cannabis social clubs" ne poursuivent pas de but lucratif, ce qui permet de limiter les dérives d’un marché uniquement commercial, appuie la pétition.
Source : https://www.slate.fr/story/186575/thailande-legalisation-cannabis-medical-ministre-sante
Dans l'avenir, chaque famille pourra cultiver six plants de cannabis», a décrété Anutin Charnvirakul, ministre de la Santé de Thaïlande.
Le ministre de la Santé thaïlandais, Anutin Charnvirakul, touche un plant de majijuana au cours de l'ouverture d'une clinique du cannabis au département du Development de la médecine thaï traditionelle et de la médecine alternative, à Bangkok, le 6 janvier 2020. | Mladen Antonov / AFP
Temps de lecture: 7 min
Nous cahotons sur la petite route de terre qui mène au centre de recherche agricole qui servait de couverture à un énorme trafic de drogue, à en croire la presse thaïlandaise début avril 2019. À notre arrivée, c'est la gêne qui domine: «Ici on ne s'occupe que de la culture du riz. Non, le directeur n'est pas ici actuellement et il n'est pas disponible pour une interview.»
Flash-back. Le 3 avril 2019 la police et l'armée en nombre font une descente dans un centre de recherche agricole appartenant à la fondation Khao Kwan dans la province de Suphanburi, non loin de Bangkok. La police trouve 205 plants de cannabis et six personnes sont placées en garde à vue. Les médias se déchaînent. Le directeur, Decha Siriphat, est présenté comme un parrain de la drogue et un site internet titre: «Un chercheur découvre qu'il pouvait faire plus d'argent avec de l'herbe qu'avec d'autres cultures; il transforme son centre en usine de production de marijuana.»
À l'entrée du centre de recherche agricole Khao Kwan. | Patrice Victor
Mais très rapidement c'est un renversement de situation: les poursuites contre Decha s'arrêtent et il explique son action: donner de l'huile de cannabis aux malades souffrant de cancer, de la maladie de Parkinson et d'autres pathologies pour réduire leurs douleurs est un impératif moral. Quelques mois plus tard il allait même être remercié par le ministre de la Santé pour son aide et sa générosité. Car même si cela tombait sous le coup de la loi, en distribuant gratuitement de l'huile de cannabis de sa fabrication à des malades, Decha allait dans le sens de la politique du gouvernement. Ce dernier, par ailleurs issu d'un coup d'État militaire, avait entamé quelques mois auparavant une politique en faveur de l'usage médical du cannabis.
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Premiers pas vers la légalisation
Comment expliquer ce changement de perspective? Tout a commencé en 2016 alors que la Thaïlande est sous le joug d'une dictature issue d'un coup d'État militaire. Plus de 220.000 personnes sur un total de 356.000 détenu·es sont incarcérées pour des infractions liées aux stupéfiants. Le ministre de la Justice, le général Paiboon Koomchaya, reconnaît l'échec de la lutte contre la drogue –un point de vue de plus en plus partagé au niveau international– et il suggère en juin 2016 un changement d'attitude à l'égard des toxicomanes: il vaut mieux les considérer comme des malades et les aider plutôt que de les emprisonner.
Peu après, en août, un forum auquel participent des représentant·es du gouvernement appelle à la décriminalisation du cannabis et le 1er janvier 2017, la culture du chanvre à usage médical est autorisée dans une partie du nord du pays. Pour rappel, le chanvre est une variété de cannabis à très faible teneur en THC (tétrahydrocannabinol), la molécule responsable de ses effets psychotropes.
Plus d'un an et demi s'écoule et en mai 2018, le gouvernement donne son feu vert à un projet de loi facilitant la recherche sur l'utilisation médicale du cannabis. En octobre, il annonce que la Thaïlande va légaliser sa prescription pour raison médicale. C'est le premier pays d'Asie du Sud-Est à prendre cette initiative. Enfin, le 26 décembre 2018, par 166 voix pour, zéro contre et 13 absentions, le Parlement autorise l'importation, l'exportation et la cession de cannabis et de kratom (une plante aux propriétés opioïdes) exclusivement pour usage médical, et sous le contrôle de l'État.
En février 2019, la première unité de production de cannabis entre en service sous contrôle de l'État. Le mois suivant ont lieu des élections législatives. Le parti Bhumjaithai (Fier d'être thaï), qui deviendra l'un des partis de la coalition actuellement au pouvoir, place la libéralisation du cannabis au cœur de son programme. Son leader, Anutin Charnvirakul, 53 ans, homme d'affaires richissime et pilote d'avion amateur déclare que «la marijuana a davantage de propriétés positives que négatives».
Le leader du parti Bhumjaithai Anutin Charnvirakul lors d'une interview avec l'AFP à Bangkok le 3 avril 2019. | Romeo Gacad / AFP
Le nouveau gouvernement, avec toujours le même Premier ministre, fait de la légalisation du cannabis à usage médical une priorité. Fin juillet 2019, Anutin (en Thaïlande on utilise quasi systématiquement le prénom) est nommé à la tête du ministère de la Santé. Il annonce presque aussitôt qu'il va amender la loi de 2018 sur l'usage médical du cannabis, pour que les quelque 3.000 praticien·nes de médecine traditionnelle non diplômé·es comme Decha puissent le prescrire en toute légalité. Fin août 2019, le ministère de la Santé retire les graines et l'huile obtenues à partir du chanvre de la liste des stupéfiants. Anutin se félicite: ce sera bénéfique pour l'économie. Dans les cinq ans qui suivent, seuls les producteurs autorisés pourront produire du chanvre. Il faudra peut-être attendre ce délai pour une éventuelle libéralisation du contrôle sur le cannabis en teneur élevée en THC.
Le 14 septembre, Anutin annonce que son parti étudie une proposition de loi qui autoriserait chaque famille à cultiver six plants de cannabis. Il ajoute que cela ne pourra se faire que très progressivement et que la production obtenue sera réservée à l'usage personnel ou pour vente à l'État. Selon lui, cette vente pourrait rapporter plus de 12.000 euros à chaque famille –une somme énorme comparée au revenu médian de la population. Il espère que la légalisation du cannabis va doper l'économie du pays, jusqu'à rapporter plus que le riz ou le sucre de canne.
Le 21 septembre 2019, c'est l'inauguration de l'unité de production de cannabis à usage médical de l'université de Mae Jo, à Chiang Mai, dans le nord du pays. À cette occasion, elle reçoit du gouvernement 12.000 pousses de cannabis. L'objectif est de produire prochainement un million de flacons d'huile au niveau du pays. Aussi pour y parvenir, Anutin signe en novembre un projet de loi autorisant les agriculteurs à cultiver le cannabis à usage médical dans le cadre d'une convention avec l'État.
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Les «ganja studies»
Toute cette évolution pourrait nécessiter une formation, tant au niveau des agriculteurs et des familles susceptibles de cultiver la marijuana, que du grand public qui pourrait être consommateur. En août 2019, la vice-ministre de l'Éducation a annoncé que son ministère préparait un cours sur le cannabis destinée à enseigner ses bienfaits et ses inconvénients dans les écoles. Mais depuis, il n'a guère été question de ce projet. Cependant, en septembre 2019 un hôpital de la province de Prachinburi a dispensé une formation sur la culture et l'usage médical du cannabis. Également autorisé à en distribuer, il a reçu en juillet 2019 632 kilogrammes de marijuana confisquée par la police. Mais cette herbe étant souvent contaminée par des pesticides, des métaux lourds ou d'autres polluants, il est maintenant autorisé à en produire.
Non loin de Bangkok, l'université de Rangsit est elle aussi en pointe. «Nous serons les pionniers des programmes d'éducation sur la marijuana en Thaïlande», a déclaré en 2019 le doyen de la faculté d'innovation en agriculture de Rangsit, Banyat Saitthiti, qui vient de lancer les «ganja studies», une formation universitaire sur le cannabis. Par ailleurs, cette faculté a ouvert en avril 2019 le premier institut de recherche sur le cannabis à usage médical du pays, avec une douzaine de chercheurs et de chercheuses.
Beer, 22 ans a utilisé le cannabis pour traiter une dépression bien avant la légalisation pour raison médicale. Il estime néanmoins que «ce sont plutôt les anciens qui y ont recours». Les Thaïlandais·es les plus âgé·es se souviennent sans doute que jusqu'à son interdiction en 1934, le cannabis était utilisé tant en médecine traditionnelle qu'à titre récréatif. Beer est chef cuisinier au Highland café à Bangkok. Créé par des membres du réseau Highland qui militent pour la légalisation du cannabis, c'est à la fois un pub et un restaurant où se retrouvent consommateurs et ami·es du cannabis, sans que la police ne leur pose trop de problèmes.
À l'intérieur du Highland café. | Patrice Victor
Mais attention, si l'on y trouve toute une littérature sur le cannabis et quelques accessoires, inutile de vous y rendre pour fumer un pétard: le Highland café respecte la loi.
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Dr Ganja
La législation interdisant toujours l'usage récréatif du cannabis, la répression continue, la police arrête autant sinon plus de personnes qu'auparavant et la justice reste pour l'instant aussi sévère. En Thaïlande, les pénalités liés à son utilisation ou à son commerce peuvent aller jusqu'à quinze ans de prison, ce qui est néanmoins bien moindre que dans les pays voisins tels que la Malaisie, l'Indonésie ou les Philippines, où la peine de mort est applicable.
Si l'on respecte la loi, l'accès au cannabis médical reste encore compliqué et il faut parfois aller dans des endroits reculés pour s'en procurer. Aussi, début janvier, le gouvernement a-t-il annoncé que la distribution de ganja allait être facilitée. Il vient même de créer une application pour smartphone, Dr Ganja in TTM, pour l'enregistrement des malades afin de diminuer les files d'attente dans les hôpitaux.
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Au sein du gouvernement coexistent les pour et les contre la légalisation totale. Ses partisan·es veulent encourager les agriculteurs et agricultrices à produire de la marijuana de qualité, craignant que des entreprises étrangères ne mettent la main sur le marché –un marché qui selon Asian Cannabis Report pourrait atteindre 661 millions de dollars en 2024 en cas de légalisation totale.
Au moment d'écrire ces lignes, la page d'accueil du ministère de la Santé affiche des feuilles de marijuana pour usage médical. C'est l'un des signes d'une évolution possible vers la légalisation de la fumette. Tout cela se passe dans un pays qui reste de fait une dictature et où l'on risque quinze ans de prison pour la moindre critique à l'égard du roi ou d'un membre de la famille royale.
L’expérimentation thérapeutique du cannabis prévue pour « septembre »
L’expérimentation concernera 3 000 patients qui souffrent de maladies graves. Au vu du délai, l’Agence du médicament envisage « d’avoir recours à des producteurs étrangers » pour fournir le cannabis.
L’expérimentation du cannabis thérapeutique en France devrait débuter en septembre, a annoncé mercredi 22 janvier la directrice générale adjointe de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), Christelle Ratignier-Carbonneil, lors des premières auditions de la mission d’information parlementaire sur le cannabis lancée à l’Assemblée nationale.
« Septembre, c’est demain, c’est très proche », a-t-elle ajouté. Compte tenu de ce délai, l’ANSM envisage donc « plutôt d’avoir recours à des producteurs étrangers » pour fournir le cannabis nécessaire, car la législation française interdit actuellement la culture des plants contenant des taux supérieurs à 0,2 % de THC (tetrahydrocannabinol, l’un des principes actifs de la plante).
Toutefois, « si un producteur national est en capacité de répondre aux critères (…) , il pourra être retenu », a précisé Mme Ratignier-Carbonneil, en ajoutant que des réflexions sont actuellement en cours entre le ministère de la santé et celui de l’agriculture pour permettre une production française. « Notre seul objectif reste la qualité des produits qui doivent être mis à la disposition des patients. »
Malgré l’interdiction actuelle, InVivo, l’un des premiers groupes agricoles coopératifs français, a déposé une demande auprès de l’ANSM pour se positionner sur le marché.
Du cannabis prescrit « en dernière intention »
Fin octobre, les députés ont donné leur feu vert à une expérimentation du cannabis à usage médical. Elle doit concerner 3 000 patients qui souffrent de maladies graves – certaines formes d’épilepsie, de douleurs neuropathiques, d’effets secondaires de chimiothérapie, de soins palliatifs ou de scléroses en plaques.
Ils consommeront du cannabis sous forme d’huile ou de fleurs séchées : la voie fumée a été écartée à cause des effets nocifs de la combustion sur la santé. Il leur sera prescrit « en dernière intention », a rappelé Mme Ratignier-Carbonneil, c’est-à-dire en cas d’échec des autres traitements existants pour les soigner. Et les patients concernés pourront bénéficier du cannabis gratuitement, a-t-elle précisé.
L’expérimentation doit être menée dans plusieurs centres hospitaliers en France, en particulier des centres de référence pour les pathologies concernées.
Une prescription initiale sera effectuée par un médecin spécialiste, neurologue ou médecin de la douleur notamment. Les patients devront d’abord se fournir en pharmacie hospitalière puis pourront renouveler leurs traitements en pharmacie de ville.