Déconcertante désinvolture. Ça bavarde, ça rit aux éclats. Tout le monde est gelé, ouvertement, officiellement et surtout, en toute impunité depuis la légalisation de la marijuana le 1er janvier dernier.
« C'est mon devoir patriotique, d'être ici et de fumer ce pétard », me dit Clay Young, tout en tirant sur un joint qui ressemble plutôt à un cigare. Ce touriste de Batcave, petite ville dans les montagnes de la Caroline du Nord, est fier de cette légalisation.
À côté de lui, Mauricio Najera et sa compagne Kim Patterson. Habituellement, ils fument en cachette dans leur sous-sol à El Paso, au Texas, de peur de se faire dénoncer par un voisin. Pour eux, cette visite à Denver, « c'est Amsterdam sans prendre l'avion ».
En trois jours, ils vont fumer, manger et boire des produits à base de cannabis. Sans oublier les massages à l'huile de THC. Suivez ces touristes de la marijuana dans la vidéo ci-dessous.
https://www.youtube.com/watch?v=9Sh-PpW5KSY
La capitale du pot
Depuis la levée de la prohibition, des milliers de touristes viennent à Denver de partout au pays pour profiter en toute impunité. Ils feront la tournée des dispensaires de la ville, où on cultive et vend le cannabis aux 21 ans et plus.
Une pièce d'identité, uniquement de l'argent liquide. C'est tout. C'est simple.
Il y a plus de magasins de marijuana que de cafés Starbucks à Denver, mais impossible de satisfaire à la demande. C'est la ruée vers l'or vert. Les chiffres d'affaires ont augmenté en moyenne de 1000 % en quelques semaines.
Toni Fox, propriétaire du dispensaire 3D (Denver's Discreet Dispensary), qui a milité pour la levée de la prohibition dans son État, est une commerçante comblée. Elle a l'intention de tripler son volume de production d'ici six mois, comme elle l'explique dans la vidéo ci-dessous.
https://www.youtube.com/watch?v=SFZ4lfmD7mQ
Les mentalités ont changé
L'opinion des Américains sur la marijuana a beaucoup évolué en 30 ans. On est bien loin de la campagne « Just Say No » de la première dame Nancy Reagan en 1985.
Barack Obama, lui, estime que la marijuana n'est pas plus dangereuse que l'alcool.
Et une majorité de ses compatriotes est d'accord avec lui. Selon un sondage de la maison Pew, 52 % des américains sont favorables à la légalisation de la marijuana, 77 % croient aux vertus médicinales du cannabis.
Le plus grand quotidien du Colorado, le Denver Post, a même lancé son site web consacré à la marijuana, The Cannabist. Ricardo Baca en est le rédacteur en chef. Il y a bien des critiques de vins, de cinéma, d'art, nous dit-il. Maintenant il y a des critiques de cannabis.
Rencontrez-le dans la vidéo ci-dessous.
https://www.youtube.com/watch?v=qt8GuE6q3XM
Renflouer les coffres de l'État
Le cannabis n'en demeure pas moins une substance très contrôlée et règlementée, plus encore que l'alcool. Le pays entier observe le laboratoire qu'est devenu le Colorado. Huit états pourraient lui emboiter le pas.
Argument de poids : l'État a doublé ses prévisions de revenus issus des taxes du cannabis, à 150 millions de dollars, dont 40 qu'il compte à la construction et la rénovation d'écoles publiques. Le tout dans une Amérique encore marquée par la crise économique de 2008.
Si bien que le magazine Time a pose la question en ces termes : serons-nous bientôt aux « États-Unis d'Amerijuana »?
Joyce Napier
Source: https://quebec.huffingtonpost.ca/2014/02/26/cannabis-ruee-vers-or-vert-colorado_n_4862525.html 9 commentaires En savoir plus… ›
"Vous n'achèteriez pas vos sushis à cet homme, alors pourquoi lui acheter du cannabis?" Voilà la comparaison réalisée par le premier spot publicitaire pour le cannabis à usage thérapeutique qui sera bientôt diffusé dans le New Jersey (Etats-Unis), notamment sur ESPN ou Fox News.
Dans cette vidéo dévoilée par le site Gawker, vendredi et repérée par FranceTVinfo, un homme s'adresse à la caméra et tente de vendre des sushis, comme s'il s'agissait de drogue.
Gawker se moque par ailleurs de ce spot de 60 secondes et du parallèle alambiqué qu'il dessine entre drogues et restauration. Le site américain le juge si étrange qu'il se demande s'il ne faut tout simplement pas "planer" pour le comprendre.
Le marché de la marijuana médicale créé de toutes pièces par Ottawa entre en vigueur dans moins de deux mois. Il risque d'en décevoir plusieurs.
À partir du 1er avril prochain, les utilisateurs de marijuana médicale n'auront plus le droit de cultiver leur propre cannabis ni de consommer celui qu'un particulier fait pousser pour eux. Ce mode de production artisanal en vigueur depuis 13 ans sera interdit pour laisser la place au «marché commercial» - l'expression est de Santé Canada. Les entreprises autorisées par le ministère seront désormais les seules sources légales au pays.
Comme nous l'avons déjà expliqué ici, l'élimination des permis individuels vise avant tout à répondre aux préoccupations du gouvernement Harper: éviter que ces autorisations ne servent à produire pour le marché noir et réduire les frais de gestion à Santé Canada.
Que des permis aient été détournés ne fait pas de doute. Le mois dernier encore, la police de Vancouver Ouest dit avoir trouvé 800 plants dans une maison, cinq fois la quantité autorisée. Mais que les autorités n'aient pas réglé le problème, alors que tous les détenteurs sont connus, est assez embarrassant pour elles.
Santé Canada estime de son côté que le nouveau système lui fera économiser 71 millions par an, puisqu'elle n'aura plus à étudier les demandes des particuliers. Malheureusement, ce sont les patients qui en feront les frais. Pour s'approvisionner auprès des entreprises autorisées, ils devront non seulement leur fournir une prescription (alors que tous les collèges de médecins au pays refusent cette responsabilité), mais payer le tarif demandé.
Les prix affichés par les fournisseurs autorisés jusqu'ici vont de 5$ à 7,60$ le gramme, alors que des patients qui cultivent leur propre cannabis estiment s'en tirer pour 1$ à 4$ le gramme. Pour des gens qui ont besoin de plusieurs grammes par jour et qui, dans certains cas, sont trop malades pour travailler, c'est une différence considérable. Certains craignent également que la variété qui fonctionne pour eux ne soit pas disponible. Le système laisse aussi en plan ceux qui consomment la marijuana en capsules, en teinture ou sous forme comestible, car les producteurs auront seulement le droit de la vendre séchée.
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Santé Canada prévoit que le nombre d'utilisateurs de marijuana médicale atteindra 41 000 cette année. Mais il est évident qu'une partie de ceux qui ne trouveront pas leur compte avec l'offre officielle continueront à faire pousser leurs plants ou s'approvisionneront auprès de sources non autorisées. À ce rythme, la clientèle de près de 310 000 patients promise pour 2024 pourrait bien ne jamais se matérialiser.
Comment réagiront les fournisseurs officiels, qui auront investi des centaines de milliers de dollars pour rendre leurs installations conformes aux exigences fédérales? Feront-ils pression pour qu'on sévisse contre les malades restés en marge du marché captif? C'est à suivre, même si ce ne sera pas nécessairement beau à voir.
Lundi dernier, Danielle Lei, une jeune fille de 13 ans membre d'une troupe de guides, a monté avec l'aide de sa mère son étalage de boîtes de biscuits devant le dispensaire de marijuana à des fins médicales de la Green Cross, à San Francisco, a rapporté CNN.
En deux heures, 117 boîtes se sont envolées, selon sa mère. Diffusée sur internet, la nouvelle de cette vente miracle est devenue très populaire et a suscité des commentaires, certains soulignant que la jeune fille avait fort bien compris la notion d'offre et de demande, et que là où il y a de la marijuana, il y a de la fringale.
La combinaison gagnante mari et biscuits a souri également à Lexi Carney, âgée de huit ans, qui s'est elle aussi installée vendredi devant un dispensaire de marijuana médicale à Phoenix, en Arizona, pour y vendre 76 boîtes de biscuits en quelques heures seulement.
Devant ce succès, les deux jeunes guides sont retournées samedi devant les dispensaires de leurs villes respectives. Les troupes de guides dont font partie les jeunes filles n'ont pas voulu commenter cette méthode de vente.
Cependant, au Colorado, où la marijuana à des fins récréatives est légale, le mouvement des Guides du Colorado a publié une déclaration sur sa page Facebook, condamnant cette pratique de vente à l'extérieur «de tout commerce visant la clientèle adulte».
Nous avons connaissance depuis quelques mois de l’arrivée prochaine d’un traitement à base de cannabis : le Sativex. Voici en quelques mots où nous en sommes exactement en France et quelles sont les indications du cannabis médical.
Depuis quelques années, nous disposons d’un médicament contenant du THC, le Marinol, autorisé en France avec des modalités d’indications et de prescriptions compliquées. Ce médicament – des gélules qui doivent être stockées à une température inférieure à 10°, donc dans le frigidaire – fait l’objet d’une ATU (Autorisation Temporaire d’Utilisation).
Le Marinol est soumis à des règles strictes
Un médecin obligatoirement hospitalier doit donc en faire la demande auprès de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament), pour une durée renouvelable de 1 mois à 6 mois et doit justifier, entre autres, que les traitements classiques ont été essayés mais qu’ils n’ont pas été efficaces. La délivrance se fait uniquement en pharmacie hospitalière.
Les indications principales sont les suivantes : nausées associées à la chimiothérapie des cancers, stimulation de l’appétit (indiquée pour les troubles alimentaires tels que l’anorexie), glaucome (en baissant la pression intraoculaire) et troubles du comportement, de l’humeur et de l’anorexie chez les malades atteints d’Alzheimer.
Les études réalisées jusqu’à présent ont montré des effets indésirables de type euphorie – 13% –, vertiges – 7% –, somnolence – 6% –. Il se présente sous forme de capsules de 2,5 mg, 5mg ou 10mg, contenant du delta 9 –THC, un des composants du cannabis. En France, seul le Marinol 2,5 mg est autorisé.
Le Sativex est déjà autorisé dans 17 pays européens
Le Sativex en spray buccal devrait arriver, si tout va bien, en 2015.
Ce médicament, déjà commercialisé en Allemagne ou au Royaume-Uni, est utilisé chez des patients atteints de sclérose en plaques pour soulager les contractures sévères, et devra être initié par un neurologue et un rééducateur hospitalier. Il est déjà disponible dans 17 pays européens et pourrait être commercialisé en France, à partir de 2015.
Les médicaments à base de stupéfiants ne pouvant être délivrés que pour 28 jours, les médecins généralistes seront autorisés à effectuer les renouvellements d'ordonnance entre deux rendez-vous à l'hôpital. Le produit sera distribué en pharmacie de ville – contrairement au Marinol –, où il devra être stocké dans des coffres, comme c'est le cas des médicaments à base d'opiacés. La Haute Autorité de Santé doit donner son aval et fixer également les prix et les modalités de remboursement.
La France doit rattraper son retard
J’espère seulement que son indication pourra être élargie à d’autres pathologies que la sclérose en plaques, en particulier les douleurs neurologiques périphériques d’origine traumatiques, pour lesquelles son efficacité a été prouvée dans les pays où il est déjà commercialisé.
Avec beaucoup moins d’effets secondaires que les opiacés, et une efficace égale, voire supérieure, il est grand temps que la France récupère son retard dans ce domaine, en évitant l’amalgame entre cannabis médical et récréatif.
Par Jean-François Hauteville
Infirmier addictologue
En choisissant délibérément d’aborder le sujet du chanvre récréatif d’un point de vue anxiogène, la rédaction du magazine Complément d’enquête de France 2 n’a pas fait que répéter l’éternel refrain sur la « jeunesse en danger ». Elle a surtout contribué à affoler un peu plus les parents d’adolescent(e)s dont on sait l’inclination naturelle à manifester une certaine défiance à l’égard des adultes.
Il est aussi ridicule et stérile d’évoquer la consommation du cannabis à travers ses usagers problématiques dont on sait aussi qu’ils sont très peu nombreux, que de parler de celle du vin par le prisme de l’alcoolisme. Cela relève même de la malhonnêteté intellectuelle.
Mais le plus marquant dans cet exercice de stigmatisation d’une plante et de ses jeunes amateur(trice)s, c’est d’omettre de préciser qu’en tout état de cause, c’est bien dans le cadre d’un système prohibitionniste total, pour ne pas dire totalitaire, que se produisent tous dommages dénoncés par ses propres partisans. Et Mme Danièle Jourdain Menninger, présidente de la Mildt, tout en reconnaissant l’échec des campagnes de prévention, a bon dos de prétendre qu’on ne saurait trop dire ce qu’il adviendrait dans le cadre d’une réglementation. Sachant ce que provoque la prohibition, nous sommes en droit de croire, madame, que ça ne pourrait guère être pire !
La surprise de l’émission est venue de la remarquable intervention de Me Francis Caballero, célèbre juriste antiprohibitionniste et promoteur du concept de « légalisation contrôlée ». Serait-ce l’influence des cannactivistes que nous sommes ou le simple constat de la nécessité de s’adapter à la réalité du terrain ? Toujours est-il qu’en s’exprimant sur son modèle de légalisation, l’on pouvait l’entendre évoquer la possibilité d’intégrer les « cannabiculteur(trice)s » et les revendeur(euse)s actuel(le)s dans une filière légale et envisager une distribution par le biais de « cannabistrots » (sic !).
Reste à le convaincre de laisser aux cannabinophiles l’entière liberté d’autoproduire leur plante chérie.
L’indéniable bienveillance dont font preuve les médias à l’égard de la cause antiprohibitionniste depuis que le premier État prohibitionniste nord-américain, le Colorado en 1937, est devenu aussi le premier à légaliser au 1er janvier de cette année, nous a semblé ce jeudi tout à coup moins évidente.
Mais le pire reste sans doute à venir avec le déchaînement de peurs irrationnelles que ne manquera pas de susciter lorsque le débat sera présenté devant l’un ou l’autre des parlements français et européens. Un emportement au moins à la hauteur de celui qui anima le débat sur le mariage homosexuel.
Sans doute sera-t-il alors temps d’envisager une convergence des luttes entre les usagers des drogues, les femmes dont certains droits fondamentaux sont à présent remis en cause, les travailleur(euse)s du sexe, les homosexuel(le)s, les migrants et sans doute encore bien d’autres minorités qui auront à subir l’inquiétante expression d’intolérance à laquelle nous assistons en ce moment.
Fédération des CIRCs
C’est en Haute-Galilée, dans les forêts de Biriah surplombant la bourgade de Safed, foyer des kabbalistes dans la Palestine ottomane du XVIe siècle, que Tikun Olam s’est installé. Tikun olam, qui signifie en hébreu «la réparation du monde», est une référence directe à la pensée mystique du très vénéré rabbin Isaac Louria, né à Jérusalem et enterré dans cette ville en 1572, évoquant le devoir de réparer les failles originelles de la Création, chaque jour, par une action juste, une mitzvah. Celle de la société Tikun Olam, en l’occurrence, est de produire quotidiennement depuis six ans du cannabis médical.
Fondée par la famille Cohen, originaire du Maroc, cette entreprise est la plus importante des huit sociétés habilitées par les ministères de la Santé et de l’Agriculture à cultiver des plants de marijuana. Elle fut aussi la première à obtenir, en 2007, le droit d’en faire pousser pour les quelques patients en grande souffrance autorisés à en consommer, à raison d’une cinquantaine de plants maximum et à condition de fournir l’herbe gratuitement aux malades. Ce qui fut fait, comme une mitzvah, par le fils Cohen, ingénieur, rentré de Californie en 2004 illuminé par les pouvoirs bienfaiteurs de l’herbe. Les plants furent cultivés dans l’appartement familial - «Il y en avait partout», se souvient Dorit, sa mère, une femme joviale au physique généreux, ex-prof de sciences à la main verte. «Les malades venaient chez nous, ou alors, comme j’avais le droit de transporter la marijuana, je l’amenais en bus jusqu’à Tel-Aviv. Ça sentait fort !» s’esclaffe-t-elle.
En 2010, le gouvernement élargit l’accès au cannabis médical et permet sa vente directe, à prix fixe, du producteur habilité au patient autorisé (Libération de mardi). Aujourd’hui, Tikun Olam est une petite industrie prospère, qui déclare fournir environ 3 500 malades par mois pour un chiffre d’affaires de 10 millions de shekels par an (2 millions d’euros environ). Sous haute surveillance.
Tout autour de la propriété fermée de hauts grillages et gardée jour et nuit, les caméras infrarouges jouent les vigies. Les serres où sont concentrées les productions en hiver couvrent 5,4 dunam (5 400 m2), hébergeant 20 000 plants. Il y a celle des «plants mères», une centaine qui représentent les 12 variétés de Cannabissativa et indica sélectionnées pour leur titrage plus ou moins fort en tétrahydrocannabinol (THC) et en cannabidiol, les deux grands principes actifs de l’espèce, le premier agissant sur le système nerveux, le second sur l’inflammation. La dernière création de la maison, grande fierté de Tikun Olam, affiche zéro THC - garantie sans ivresse. «Les taux sont régulièrement contrôlés par un laboratoire indépendant», assure Ma’ayan Weisberg, de Tikun Olam. Et puis, il y a la grande serre de production où se déploie une forêt de marijuana en pots épanouissant à un mètre et demi du sol leurs précieuses têtes florales, riches en principes actifs, seules parties de la plante que les cannabiculteurs israéliens ont le droit d’exploiter : le reste doit être détruit. La température de 22°C et l’hygrométrie sont réglées par ordinateur ; les traitements interdits. Ensuite, cueillette, séchage, stockage des «têtes» dans des sacs plastiques dont l’abondance évoque les images d’une prise record de la lutte antidrogue… Enfin, conditionnement. En joints, en huile, en gélules, en sachets.
Un «don de Dieu», cité dans la Bible
Toutes ces marchandises étiquetées, pesées, dosées, les patients autorisés par le ministère de la Santé peuvent les acquérir à Tel-Aviv dans la boutique de Tikun Olam - une minuscule pièce sentant fort l’herbe, gardée par un vigile qui prend le soleil de décembre, assis sur une chaise tirée sur le trottoir. Ou alors, à quelques minutes de là, dans une petite «clinique» où les malades viennent recevoir marijuana et conseils. Ainsi Elie Sapir, affligé à la naissance d’un problème neuromoteur grave, qui s’exprime de façon hachée, agité par des spasmes musculaires, se dit délivré par l’herbe d’une grande part de ses souffrances et de l’assommoir des myorelaxants. Lauréat l’an dernier d’un prix pour les étudiants handicapés remis par le président Shimon Pérès, il peut ainsi poursuivre, dit-il, son doctorat en éducation à l’université de Tel-Aviv. L’entreprise Tikun Olam livre aussi un autre monde : la maison pour personnes dépendantes du kibboutz Na’an, au sud de la ville. Moshe Roth, 81 ans, né en France, fume sa pipe quotidienne d’herbe face aux champs détrempés. Il raconte d’un air triste qu’il s’est ainsi délivré des cauchemars de son enfance cachée, surgis après le décès de sa femme. Il avoue aussi que, «la première fois, ça faisait une sensation très bizarre, effrayante». Rifka Haloup, 91 ans, une kibboutznik enjouée souffrant d’arthrite, estime, elle, qu’avec deux gélules de cannabis, «ça va mieux depuis deux ans». Quant à la pétulante Inbal Sikorin, 45 ans, infirmière et gérante des lieux, elle projette de transformer la maison en clinique pour une clientèle internationale désireuse de bénéficier du cannabis médical. C’est elle qui l’a introduit ici il y a trois ans. Elle montre fièrement sa pharmacie bien tenue : huile, gélules, herbe à fumer. Mais pas de gâteaux au cannabis.
Les cookies, on les trouvera le lundi à l’hôpital Hadassah, temple de la médecine de pointe sur les hauteurs de Jérusalem. Ils sont une spécialité de Cannabliss, quatorze employés, l’une des huit sociétés israéliennes autorisées sur ce marché. Chaque semaine, elle investit un petit service d’accueil de jour dépendant du centre de transplantation de moelle osseuse. Avec lits et vue sur les collines, il se mue alors en un étonnant «centre de distribution» de marijuana pour les malades. Il faut, pour y arriver, traverser les halls où des étals débordant d’agrumes et de grenades prêts à être pressés, s’égarer devant un «bureau d’accueil des touristes» signalé en anglais, grec et russe (à l’adresse des malades étrangers), croiser la diversité visible du pays, Juifs ultraorthodoxes en chapeau de fourrure poussant une vieille mère en fauteuil, Palestiniennes en longue robe et foulard, médecins et patients avec ou sans kippa.
L’hématologue Reuven Or en porte une, de kippa. Coauteur en 2012 d’une première médicale - le traitement d’une maladie sanguine par injection de cellules souches placentaires -, directeur du service de transplantation de moelle osseuse, il a œuvré à l’ouverture de ce «centre de distribution». Pour lui, la marijuana est un «don de Dieu», cité dans la Bible («Exode, 30, 24») qu’il tient à portée de main parmi des ouvrages scientifiques, dans son bureau encombré d’un tableau sur les cellules sanguines, d’un aquarium, de deux petits canapés et d’un panier de basket derrière la porte.
Du cannabis cultivé dans les serres de Tikun Olam. (Photo Olivier Fitoussi)
Deux gouttes sous la langue, deux à trois fois par jour
Grand baraqué aux yeux clairs, la cinquantaine, il explique longuement le calvaire des patients, adultes ou enfants, qui viennent ici subir une greffe de moelle osseuse pour restaurer leur production de cellules sanguines. Le traitement passe par la destruction de leur système immunitaire, provoque nausées, problèmes intestinaux, douleurs : «La morphine apaise mais assomme et induit des pertes d’appétit préjudiciables au rétablissement du malade. Voir des enfants, notamment, dans cet état, c’est terrible.»
Le docteur Or a été le premier, en 1995, à introduire le cannabis dans un hôpital en Israël. Il avait entendu parler des travaux du professeur Raphael Mechoulam, le découvreur du THC qui travaille à quelques centaines de mètres de là (Libération d’hier). Avec l’aval des autorités éthiques, il donnera de petites doses de THC pure, fournies par le professeur, à huit de ses patients, des enfants leucémiques. Plus tard, il sera décidé que tous les malades en chimiothérapie pourraient en bénéficier. Le principal mérite du cannabis, dit Reuven Or, c’est de rendre la douleur supportable, d’amoindrir les vomissements, de renforcer l’appétit. Et d’avoir un petit effet anti-inflammatoire, important lors d’une greffe d’organe. «J’ai en moyenne une dizaine de malades qui reçoivent du cannabis. Deux gouttes d’huile sous la langue, deux ou trois fois par jour, le traitement standard.» Empirique mais jugé suffisamment sage pour que l’hôpital accepte, dans ses murs, la vente de cannabis.
Ils sont donc une quarantaine de patients, ce lundi de début décembre, à passer devant le garde armé qui veille sur le guichet où Cannabliss délivre la marijuana, toujours considérée comme un stupéfiant dans les rues du pays. En huile, à fumer dans une pipe à eau, et en cookies donc. Elie Meir, 69 ans, comptable à la retraite en costume impeccable, se plaint à un conseiller qui l’écoute patiemment, cheveux aux épaules et pattes d’eph : ça ne soulage pas ses terribles douleurs discales et ça le met «dans un drôle d’état». Amita Fuchs, une ancienne infirmière de 65 ans, coquette, veut essayer, elle, la pipe, pour améliorer un effet «salvateur» depuis un an qu’elle a commencé. Elle souffre de fibromyalgie, des douleurs chroniques : «Ça me rend la vie plus légère, je peux faire des projets. Avant, je ne savais jamais comment j’aurais été au réveil.» Un trentenaire blond à queue-de-cheval lui explique comment utiliser la pipe, qu’elle finira par acheter. C’est Moshe Ichia, le patron de Cannabliss. Les cookies «style macaron», casher bien sûr, c’est aussi lui, qui a fait l’école hôtelière. Mais il est inquiet. Le gouvernement a prévu de les interdire. Et de centraliser le business en confiant la collecte du cannabis au principal fournisseur d’équipement hospitalier, Sarel, et sa vente à quarante pharmacies agréées. Exit le lien direct avec le patient. Objectif : éviter d’éventuelles «fuites» de cannabis. Une société a fait appel de cette décision, votée mi-décembre, auprès de la Cour suprême.
L’ex-patron de l’antidrogue devenu exploitant
«Jamais personne en Israël n’a été arrêté pour trafic de cannabis cultivé dans les exploitations autorisées. Elles sont très surveillées», relève Shlomo Gal. Docteur en criminologie, né en 1944 dans la Palestine sous mandat britannique, il en sait quelque chose. D’abord parce qu’il a dirigé durant six ans, jusqu’en 2001, l’autorité nationale de la lutte antidrogue : «Bien plus préoccupant est le boom des drogues dures qui débarquent par mer et avion. Trois tonnes de cocaïne colombienne ont été saisies récemment. Quant à la marijuana, jusqu’en 2010, 120 tonnes étaient saisies chaque année, venues surtout via le Sinaï. Maintenant que cette frontière de 250 km dans le désert est fermée, ce sont à peine quelques douzaines de kilos.» Ensuite parce qu’il détient, annonce-t-il à notre grande surprise, «4% de parts dans Candoc, une exploitation de cannabis médical qu’[il] a aidé à fonder dans un kibboutz il y a deux ans». L’ex-patron de l’antidrogue est devenu un partisan déclaré de l’herbe médicale après avoir lu, entendu et vu le confort apporté à des malades en phase terminale… La légalisation du cannabis récréatif ? Il y a, dit-il, une tolérance pour l’usager léger «parce que la loi impose l’ouverture d’un casier judiciaire, qui est un boulet à vie. Mais je suis contre la légalisation. On a ici des problèmes de sécurité, la fumette altère la coordination motrice, on ne peut pas se permettre ce genre de faiblesse».
Avec sa trentaine de bâtiments perchés sur une colline des faubourgs ouest de Jérusalem, Hadassah est à la fois l’un des plus grands hôpitaux israéliens et une faculté de médecine fédérant plusieurs instituts de recherche. «Une ville ! 3 000 personnes travaillent ici !» s’exclame le professeur qui nous entraîne d’un pas ferme à travers un dédale de couloirs jusqu’à son petit bureau de l’Ecole de pharmacie aux étagères parfaitement ordonnées où figurent d’énormes volumes intitulés «Marijuana».
Raphael Mechoulam, chimiste, a 83 ans. Il est le président de la section des sciences naturelles de l’Académie israélienne des sciences, ancien recteur de l’université hébraïque de Jérusalem où il a fait l’essentiel de sa carrière, et auteur de 296 articles scientifiques dont le dernier vient d’être publié. Il y a cinquante ans tout juste, il isolait le principe psychoactif de la marijuana, le THC (tétrahydrocannabinol), posant la première pierre d’une science des cannabinoïdes dont il est reconnu, mondialement, comme le père et expert. Il est aussi un acteur discret, mais majeur, de la politique israélienne de santé qui permet aujourd’hui à 11 000 patients d’avoir accès au cannabis (Libé d’hier).
Petit homme calme à l’humour vif, Raphael Mechoulam a la mémoire encyclopédique des intellectuels d’Europe orientale qui lisent une demi-douzaine de langues. Né à Sofia, en Bulgarie, il a vu son pays basculer dans le camp nazi, puis communiste - «l’heure du lavage de cerveau», dit-il. En 1949, il émigre dans le tout jeune Etat hébreu où il découvre la chimie.
«La plante était maudite»
Doctorat, post-doctorat, chercheur enfin, à l’institut Weizmann, près de Tel Aviv. Fasciné par la frontière entre chimie et biologie, il se passionne pour les substances naturelles, cherche un sujet vierge, trouve une plante psychotrope encore oubliée des sciences en ce début des années 60 : le chanvre indien, Cannabis indica. «L’opium et la coca étaient bien étudiés, leurs principes psychoactifs - morphine et cocaïne - avaient été isolés au XIXe siècle. Mais celui du chanvre indien était encore inconnu.» Sans doute parce qu’il était d’une nature telle qu’il était difficile à identifier avec les instruments de cette époque, explique-t-il. Et quand les technologies furent mûres, la plante était maudite. Sa prohibition dès 1937 aux Etats-Unis, puis son classement sur la liste des stupéfiants par l’ONU en 1961 «ont imposé des tracasseries dissuasives pour qui voulait avoir du cannabis pour l’étudier».
Le jeune chercheur, le nez dans ses bouquins, ne prend pas la mesure de l’obstacle. La marijuana, apprend-il, faisait déjà partie de la pharmacopée assyrienne il y a 3 000 ans. En 60 après J.-C., le Grec Dioscorides, «le plus grand pharmacologue des deux derniers millénaires», la présente comme un traitement contre l’inflammation. Inconnue en Europe où le chanvre de la variété sativa dont on fait des toiles n’a pas d’effet psychotrope, elle devient au XIXe siècle, quand l’Occident s’éprend de l’Orient, l’objet d’observations évoquant des actions sur les contractures, les convulsions. «C’est un Français qui a écrit en 1840 le premier texte scientifique sur ses effets psychotropes», relève le professeur, extrayant de ses dossiers les références de l’article que le psychiatre Jacques-Joseph Moreau a tiré de ses observations faites lors des séances du club des Haschichins fondé à Paris avec Théophile Gautier. Passe un siècle. En 1940, le Nobel britannique Alexander Todd et l’Américain Roger Adams réussissent à isoler un composé de la marijuana, non psychoactif, le cannabidiol, alias CBD. Et glissent à un autre sujet. «Puis rien.» Le terrain était libre.
«J’ai demandé au directeur de mon institut s’il connaissait quelqu’un à la police qui pouvait me procurer de la marijuana. C’était le cas. J’ai reçu 5 kilos de joli libanais de contrebande, de quoi travailler. Plus tard, on m’a fait remarquer que c’était illégal, que le policier et moi-même encourrions la prison, que j’aurais dû demander une autorisation spéciale. Ce que j’ai toujours fait, ensuite, bien sûr.» En 1963, première percée, Raphael Mechoulam et son collègue Yuval Shvo révèlent la structure moléculaire du cannabidiol isolé par le Nobel et son confrère. La découverte permet d’étudier l’action de cette substance. Elle passe alors inaperçue. Aujourd’hui, elle est le fondement de centaines de publications scientifiques. «Il apparaît que le CBD est un anti-inflammatoire qui réduit notamment les symptômes de l’arthrite rhumatoïde. Il a aussi un effet sur le diabète de type 1, relève le professeur. On ne comprend pas encore comment il agit mais on sait que sa toxicité est très faible.»
En 1964, rebelote. Le chimiste isole une demi-douzaine d’autres substances présentes dans le cannabis, qu’il baptise «cannabinoïdes», et découvre enfin, avec Yechiel Gaoni, la structure de la molécule psychoactive dont regorgent les boutons floraux de la plante : le THC. L’article, cette fois, sera remarqué. «C’est bientôt l’époque des hippies, le haschich devient un phénomène social en Occident. Les NIH [instituts de la recherche médicale publique américaine, ndlr], qui ne travaillaient pas sur la marijuana, s’intéressent soudain à nos recherches. Ils n’ont jamais cessé, ensuite, de soutenir mon laboratoire.»
«On a fait un gâteau»
Désormais, la molécule «planante» de la marijuana pouvait être purifiée, produite par synthèse, dosée, expérimentée. «Comment agissait le THC sur le cerveau ? C’était un mystère. On l’a testé sur nous-mêmes, raconte l’octogénaire. On était dix amis. Cinq avaient déjà fumé, cinq jamais. Ma femme a fait un gâteau avec 10 mg de THC pur. Les effets ont été très différents. Moi, j’étais "high" ; elle, rien. Un député n’arrêtait pas de parler, une personne très réservée est devenue anxieuse. On a essayé à nouveau, avec une dose plus forte. Deux sont devenus, quelques instants, très paranoïaques. C’était surprenant de constater qu’un même produit avait des effets psychiques si différents selon les individus, selon leur expérience de la drogue et selon la dose. On n’avait aucune idée de la façon dont le THC parvenait à agir sur le système nerveux.»
L’énigme est restée entière vingt ans durant, jusqu’au milieu des années 80, quand une équipe américaine découvre, sur des cellules du cerveau des mammifères, et des humains, des «récepteurs» activés par le THC. Lumière, et nouvelle question. «Si l’évolution avait doté notre organisme de tels récepteurs, ce n’était évidemment pas pour percevoir les effets de la marijuana. Mais parce que le corps lui-même produit, en réponse à un besoin précis, des molécules similaires au THC, des "endocannabinoïdes".» A quoi peuvent-ils servir ? En 1992, l’équipe de Mechoulam isole le premier du genre, fabriqué en réponse à un signal de douleur : «On l’a baptisé "anandamide", anan pour joie en sanscrit, une langue qu’étudiait un chercheur de l’équipe.» La publication sera citée 3 000 fois par des articles scientifiques. Il y a deux ans à peine, le laboratoire de Mechoulam identifiait un second type de récepteur aux cannabinoïdes. Sa présence dans des organes importants pour l’immunité éclaire, au moins en partie, l’effet anti-inflammatoire de la plante.
Ainsi, en l’espace d’un demi-siècle, l’étude de la marijuana inaugurée par le professeur Mechoulam a mené non seulement à une compréhension de ses mécanismes d’action mais aussi à la découverte d’un système physiologique insoupçonné sur lequel «tape», incidemment, le cannabis. Complexe, ce système dit «endocannabinoïde» se révèle, au fil des recherches, impliqué dans la douleur, l’inflammation, l’appétit, les émotions. «Il semble être un système majeur de protection de l’organisme, il ouvre des pistes extraordinaires», s’enthousiasme le professeur. Il montre un article de 204 pages signé en 2006 par trois chercheurs des NIH qui ont passé en revue les résultats des recherches dans ce domaine : «Moduler l’activité du système endocannabinoïde, concluent-ils, offre des promesses thérapeutiques pour un vaste éventail de maladies disparates, allant de l’anxiété aux troubles moteurs de Parkinson et Huntington, douleurs neuropathiques, sclérose en plaque, cancer, athérosclérose, hypertension, glaucome, ostéoporose, entre autres.» (1)
Entre les espoirs et la réalité, le chemin est cependant incertain. Seuls trois médicaments contenant des cannabinoïdes naturels ou de synthèse sont sur le marché (Cesamet, Marinol, Sativex), dans certains pays, pour des indications restreintes. Quant à la première molécule conçue pour bloquer une partie du système cannabinoïde, elle a été un échec cuisant. Destiné à lutter contre l’obésité en réduisant l’appétit, le rimonabant (Acomplia) augmentait l’anxiété, jusqu’à causer quelques dépressions graves. Il a été retiré du marché en 2008. La piste n’est pas abandonnée pour autant. Ce jour de décembre, Raphael Mechoulam est attendu dans une petite salle où un biologiste allemand présentera ses travaux sur le lien entre système cannabinoïde et obésité.
«Purs mais bien dosés»
Au moment de s’éclipser, coup de téléphone du ministère de la Santé. On attend l’expertise du professeur sur le thème «cannabis et conduite automobile». Raccrochant, le chercheur évoque les effets problématiques du cannabis. «On sait qu’il peut révéler une schizophrénie latente, ce qui n’est pas négligeable puisque cette maladie touche 1% de la population. On sait aussi qu’il altère la coordination neuromotrice.» Il dénonce les risques de la drogue vendue sous le manteau : «Le THC perturbe la mémoire, mais pas en présence du cannabidiol, semble-t-il. Autrefois, le libanais avait 5% de THC et 2% de CBD. A présent, les trafiquants cultivent des variétés contenant plus de 20% de THC et zéro cannabidiol.»
Pourtant, si la marijuana a déjà fait son chemin dans la médecine israélienne, c’est avec le soutien discret et prudent du professeur : «Je ne suis pas opposé au fait de donner du cannabis brut aux patients que cela soulage, à condition de connaître les teneurs en THC et en CBD des plantes. On peut aussi donner du THC ou du CBD purs et correctement dosés.» C’est ce qu’il a fait, dès 1995, touché par la demande de médecins soignant des enfants sous chimiothérapie, vomissant, amaigris. «L’effet était remarquable. J’ai donné, avec l’accord des comités d’éthique, des centaines de doses de THC, autant que je pouvais en fournir : je suis à la tête d’un labo de recherches, pas d’un laboratoire industriel.» Raphael Mechoulam n’a alors pas fait d’annonce médiatique. Mais la voie, en Israël, était ouverte pour le cannabis médical. Il restait à inventer son horizon et ses garde-fous.
(1) Pal Pacher, Sandor Batkai, George Kunos in «Pharmacology Review».
De chaque côté de l’avenue Ben-Gourion, qui descend droit vers la mer à l’exact aplomb du temple Bahaï et de ses jardins persans, des rennes tirent leur traîneau, tout en guirlandes lumineuses, sous le soleil de décembre. C’est là, dans l’un de ces cafés du quartier arabe chrétien de Haïfa, à l’ombre d’un immense père Noël gonflable, qu’on a retrouvé Barak Abutbul - blouson, cheveux courts - et sa sœur aînée, Sivan. Elle lui tiendra la main, parfois, lorsqu’il suspendra son récit, la gorge nouée. «Longtemps, je n’ai pas pu raconter», dit-il. Barak a 24 ans, des éclats de mortiers dans le bras gauche et un syndrome de stress post-traumatique. Il est l’un des 11 000 Israéliens détenteurs d’une autorisation de consommation de cannabis à titre médical.
C’était le vendredi 7 janvier 2011, vers 18 heures. Nuit noire sur une colline surplombant la frontière avec Gaza. Barak Abutbul finissait ses trois ans de service militaire, encore un mois et retour au civil. Sa brigade repère trois Palestiniens armés qui semblent installer des explosifs le long de la barrière de sécurité. Ordre de sauter de la voiture. «J’avais tout mon barda de sniper, c’était lourd. Un copain m’a aidé à me coucher par terre. Il est mort.» Silence. «J’ai senti des impacts sur mon bras. Mon commandant avait le visage en sang, il respirait vite. J’ai pensé : je dois le regarder en face, lui dire ça va aller. Il crachait du sang. Ensuite, j’ai eu cette image tout le temps.» Vingt minutes de tirs, infinis dans l’obscurité. Côté Palestiniens, un blessé, tous enfuis. Côté Israéliens, un mort, quatre blessés, victimes de «tirs amis». «L’erreur» sera l’objet d’une courte dépêche illustrant un regain de tension entre le Hamas et Israël.
«J’étais devenu un zombie»
«Quand je suis rentré à la maison, j’ai dit : "ça va".» Deux semaines après, les cauchemars. «J’avais peur d’aller me coucher. Le lit, c’était la guerre, c’était retourner sur la zone. Je pouvais rester quarante-huit heures debout. Et puis les accès de colère, incontrôlés. Je vivais dans un état d’alerte permanent. Je sursautais au moindre bruit. Les images me revenaient n’importe quand, pour un bruit, une odeur.» Et la douleur qui ne passait pas. «On n’a pas pu m’enlever tout le métal, ça bouge», dit Barak, montrant trois protubérances brunes sur son biceps gauche. Le psychiatre de l’armée diagnostique un syndrome de stress post-traumatique (SSPT). «Morphiniques, antidépresseurs. J’étais devenu un zombie. Accro. Un jour, je me suis rendu compte que je bavais en regardant la télé, la bouche ouverte.»
Et puis, un coup de chance : un proche avait une ordonnance de cannabis contre les douleurs persistantes d’une blessure. Il lui propose d’essayer. «Dans la famille, c’était tabou. Mon père, ingénieur, fait partie d’une brigade volontaire antidrogue. Mais pour la première fois depuis des mois, j’ai dormi. Treize heures. Je me suis senti calme. C’était incroyable. Après, je me suis documenté. J’ai cherché un médecin qui m’obtienne une autorisation. Une galère. J’ai fini par l’avoir, neuf mois après ma blessure», dit Barak qui compte toujours le temps à partir de «l’accident».
Renouvelable tous les trois mois après consultation, la licence tamponnée du ministère de la Santé autorise Barak à acquérir, auprès d’un distributeur agréé, des «boutons floraux séchés» de cannabis et lui interdit de consommer devant un mineur, en public, de partager, de revendre, de conduire… Le prix, fixé par le gouvernement, remboursé en partie par sa caisse d’assurance maladie, est le même pour tous : 370 shekels (77 euros) le traitement mensuel, quelle que soit la quantité prescrite, «histoire de ne pas instaurer un prix au gramme servant d’index aux dealers», nous précisera un expert. Certains ont 100 grammes, le maximum légal. Barak a le minimum, 20 grammes. C’est «un peu juste», mais il exclut de se fournir dans la rue. «Le cannabis cultivé pour la médecine est contrôlé, ses principes actifs sont dosés. J’en ai une sorte pour le matin, une autre pour le soir.» Il assure n’être «jamais défoncé, sans doute l’accoutumance», et ne s’estime pas dépendant, mais «au contraire, libéré des dérivés de la morphine». Simplement, sa douleur est devenue «gérable» et s’il reste psychologiquement fragile, il peut rire, manger, dormir et espère retravailler un jour. En attendant, il expose régulièrement son expérience aux vétérans handicapés aidés par l’association Hope for Heroism.
Soins à l’huile de cannabis dans la maison pour personnes âgées du kibboutz Na’an. (Photo Olivier Fitoussi)
Aux antipodes de la Californie
Barak est ravi d’apprendre qu’à une demi-heure de là, à l’université de Haïfa, la chercheuse Irit Akirav a publié cette année des travaux sur des effets positifs du THC (le tétrahydrocannabinol, la substance psychoactive du cannabis) chez des souris atteintes de stress traumatique, tandis qu’à l’hôpital Hadassah à Jérusalem, le psychiatre Pablo Roitman teste la substance sur une petite cohorte de patients souffrant de SSPT. Le jeune homme espère que ce trouble psychique restera au nombre des maladies éligibles à un traitement par la marijuana. Leur liste est alors en cours de révision au ministère de la Santé israélien, devenu discrètement le plus grand prescripteur de marijuana thérapeutique au monde, derrière les Etats-Unis.
«Israël distribue près de 400 kilos de cannabis médical par mois, plus qu’aucun pays européen», relevait, en mai, la ministre israélienne de la Santé, Yael German, défendant la nécessité d’une nouvelle réglementation sur le cannabis médical pour faire face à son essor : + 30% en 2013. On est bien au-delà de la situation des Pays-Bas, premier pays européen à autoriser, en 2000, la marijuana thérapeutique : à peine 2 000 patients y ont été recensés depuis, tandis que l’unique cannabiculteur agréé, Bedrocan, a vendu l’année dernière 450 kilos d’herbe «seulement». Mais on est aussi aux antipodes du grand bazar de Californie, le premier des dix-neuf Etats américains à avoir légalisé, en 1996, le cannabis médical : là, il suffit d’arguer d’une migraine chronique auprès des nombreux toubibs agréés pour pouvoir, après enregistrement, acheter quasiment autant d’herbe que souhaité.
En Israël, où détention et consommation de cannabis restent prohibées, l’Etat s’efforce de garder la haute main sur son usage médical. C’est le ministère de la Santé qui délivre, au cas par cas, les autorisations que doivent lui demander les médecins, en prouvant que tout autre traitement a échoué depuis un an, une procédure lourde et lente. Seuls quelques praticiens hospitaliers agréés (oncologues essentiellement) sont habilités à rédiger eux-mêmes les prescriptions. Celles-ci sont réservées aux douleurs chroniques, nausées, pertes d’appétit, spasmes musculaires liés à des maladies «listées» : sida, cancers, sclérose en plaques principalement, auxquelles se sont ajoutées, occasionnellement, le syndrome de stress traumatique, la maladie de Parkinson, l’épilepsie, le syndrome de Tourette…
Mi-décembre, au terme d’atermoiements marqués par une grève de la faim de patients, de familles et de médecins inquiets d’une possible restriction de l’accès à l’herbe, le gouvernement a adopté une directive qui prévoit de créer une agence du cannabis médical, de revoir le mode de distribution et de fluidifier sa prescription : le nombre de médecins hospitaliers autorisés à prescrire de l’herbe passera de vingt à trente, les malades en chimiothérapie et en phase finale recevront les autorisations sous quarante-huit heures. «En 2018, 40 000 patients bénéficieront du traitement», a assuré Yaël German, du parti Yesh Atid (centre, laïc), accusée sur sa droite d’être encore trop… timorée : le député Moshe Feiglin, ultranationaliste du Likoud, réclamait que tous les médecins puissent délivrer eux-mêmes une ordonnance de marijuana.
La force du bouche à oreille
Le cannabis thérapeutique fait bien partie du paysage israélien. Si seulement 26% de la population est favorable à la légalisation de son usage récréatif, son usage médical est accepté par une large majorité de 75%, selon un sondage publié en octobre par le quotidien Haaretz. Les Israéliens s’étonnent volontiers qu’il soit interdit en France («Même pour les malades du cancer ?» insistent les incrédules) et que le Sativex - aérosol des laboratoires britanniques GW à base de cannabis - n’ait reçu que cet été un feu vert hexagonal alors qu’il est arrivé de longue date en chez eux, où il semble, d’ailleurs, moins prisé que l’herbe.
Comment, en Israël, pays de la médecine high-tech et patrie de géants pharmaceutiques comme le génériqueur Teva, le traitement par une plante, classée de surcroît au tableau des stupéfiants par l’ONU depuis 1961, est-il devenu si populaire ? L’histoire tient à un cocktail singulier de médecine compassionnelle et de recherche scientifique agité par des courants laïcs comme religieux. Elle a commencé au milieu des années 90, à l’époque où la marijuana apparaît aux Etats-Unis comme une aide contre l’anorexie du sida. Dans un pays de 8 millions d’habitants grand comme la Lorraine, où le bouche à oreille, amplifié par les réseaux sociaux, joue à plein, le succès du cannabis médical s’est bâti mezzo voce, à la demande de patients, médecins ou scientifique et au fil d’autorisations discrétionnaires et de directives ministérielles.
En 1995, un comité sur le cannabis médical créé dans le cadre parlementaire et composé d’un chimiste et d’un ingénieur recommande au ministère de la Santé d’en permettre l’accès aux patients très malades. Quelques dizaines, essentiellement souffrant du sida, seront autorisés à cultiver des plants chez eux, ce dont certains sont incapables. En 2002, tournant. Le ministère charge le responsable de la politique du médicament, le psychiatre Yehuda Baruch, d’examiner et de valider les demandes transmises par des médecins. Les licences tombent au compte-gouttes, la production de cannabis médical devenant l’affaire de quelques personnes autorisées à le fournir… gratuitement.
En 2009, alors que seulement 400 patients ont une autorisation, un documentaire choc, réalisé par Zach Klein, alors étudiant à Tel-Aviv, et une vedette de la télé israélienne, Avri Gilad, est diffusé deux fois sur une chaîne grand public : des patients témoignent de la façon dont la marijuana les a soulagés et leur a redonné appétit et goût de vivre, soutenus par des médecins hospitaliers. L’année suivante, les quelques cannabiculteurs bénévoles agréés sont enfin autorisés à vendre leur production, un prix unique de traitement est fixé et les oncologues de cinq hôpitaux sont habilités à le prescrire sans demander l’aval du ministère. Dès lors, le nombre des bénéficiaires explose.
Cependant, si le cannabis médical a ainsi percé en Israël, c’est d’abord grâce au chimiste israélien Raphael Mechoulam, pionnier mondial de la recherche sur la marijuana. C’est lui qui, en 1964, a découvert la structure du THC et du cannabidiol aux vertus anti-inflammatoires. Lui également qui a montré que l’organisme produit des molécules similaires, ouvrant la voie à la compréhension de l’action de la marijuana. Et c’est lui qui avait recommandé, dès 1995, son usage médical. On le rencontrera à l’université hébraïque Hadassah de Jérusalem où, à 83 ans, il reste l’expert incontournable de la science du cannabis.
D'après une étude menée par le Dr Joey Rottman, associé médical de Intergr8 Health à Burlington (Massachussetts USA), le cannabis apaiserait les nausées et vomissements pendant la grossesse...
Une étude américaine, menée par le Dr Joey Rottman spécialiste en gynécologie obstétrique et relayée par le magazine parental en ligne Sheknows, démontre certaines vertus que pourrait avoir le cannabis pendant la grossesse.
Révélation étonnante dans un pays où la marijuana est prohibée dans de nombreux états. Et pourtant, elle serait bel et bien utilisée par les femmes enceintes pour diminuer les nausées sévères et la douleur, surtout lorsque les femmes souffrent d'hyperémèse gravidique (forme de nausées grave qui peut mener à une hospitalisation). Le Dr Joey Rottman affirme même que "dans plusieurs cas, le cannabis est plus sécuritaire que la médication sous ordonnance. Il faudrait faire tomber les tabous sur le cannabis, il n'est pas plus dangereux, voire moins que l'alcool qui lui est légal. Les enquêtes menées sur cette substance sont faussées : souvent, les résultats combinent l'usage du cannabis et la consommation d'alcool simultanés. Mais fumer ne veut pas dire boire en même temps !".
L'usage du cannabis enceinte ? certaines femmes disent "oui" et n'hésitent pas à faire tomber les préjugés. L'une d'elle, originaire de l'Iowa, s'exprime à ce sujet : « Je vous assure que si j'ai un deuxième bébé et que je souffre encore d'hyperémèse gravidique, j'essayerais le cannabis pour voir si ça fonctionne vraiment mais dans un brownie ou un cookie ». Et certains spécialistes de la santé partagent aussi cet avis, même si ce n'est vraiment pas la majorité. Une mère Texane qui a essayé cette méthode raconte : « On ne fume absolument pas, on consomme le cannabis grâce à un vaporisateur. La marijuana est chauffée à très haute température dans un sac avec un trou pour la bouche afin d'inhaler. Depuis que j'ai essayé, je n'ai plus de nausées et j'ai retrouvé mon appétit ! Mon anxiété a baissé, je ne panique plus pour rien et je profite de mes autres enfants pleinement. »
La vaporisation de cannabis serait donc la meilleure solution et reste mieux qu'une hospitalisation ou que certains médicaments qui peuvent être dangereux mais dans certains cas seulement ! Il ne faut pas tout confondre. Le Dr Rottman dénonce le peu d'études sur les bienfaits médicaux de la marijuana : « il n'y a pas assez d'études qui soutiennent la consommation de marijuana dans un cadre médical, car les recherches sont très chères et peu de compagnies pharmaceutiques veulent les financer. En effet, il n'y aurait pour elles aucun retour sur investissement ». « Si vous entendez qu'une femme enceinte consomme du cannabis, ne la jugez pas trop vite ! C'est peut-être la meilleure solution pour elle », conclut le Dr Rottman.