Le cannabis pour tous!
Par
mrpolo, dans Ce que nous avons retenu...,
À la suite d’un référendum populaire tenu en novembre 2012, la production, la distribution et la consommation « récréative » du cannabis, c’est-à-dire pour le plaisir et non pour des raisons médicales, sont devenues libres au Colorado (dans certaines limites fixées par la loi, comme c’est toujours le cas pour nos libertés juridiques).
Contrairement au cliché psychologique qui prétend que lorsqu’un acte n’est plus interdit il perd tout son attrait, la fin de l’illégalité du cannabis n’a pas été suivie d’une disparition du désir d’en consommer.
C’est même tout le contraire qui s’est produit. La légalisation du cannabis a provoqué une explosion de l’offre et de la demande.
Les recettes fiscales provenant de cette sortie de l’illégalité ont été si élevées que les autorités locales pourraient être dans l’obligation d’en reverser une partie aux contribuables, en vertu d’un article de la Constitution du Colorado qui fixe un montant maximal de l’impôt qui peut-être perçu par l’État!
Plants de majiruana commercialisés par Growing Kitchen, dans une plantation hors sol à Lafayette, Colorado, le 23 octobre 2014. Photo Ivan Couronne
Une démocratisation bienvenue
Ce ne sont pas seulement les résidents locaux qui ont augmenté la masse des consommateurs. Un tourisme du plaisir s’est rapidement développé, ce qui est aussi tout bénéfice pour l’État du Colorado.
Par ailleurs, la légalisation a évidemment eu pour effet de diminuer la « criminalité » dans des proportions considérables, puisque la production, la distribution et la consommation de cannabis ont cessé, dans certaines limites, d’être des infractions sanctionnées.
Pour le philosophe, la question qui se pose malgré tout est celle de savoir si cette explosion de l’offre et de la demande de cannabis due à sa légalisation est une bonne chose.
Personnellement, je ne vois pas pourquoi il faudrait s’alarmer de l’accès du plus grand nombre aux plaisirs du cannabis qui sont le plus souvent réservés à une population spécifique (ceux qui ont les moyens de payer et que l’illégalité ne décourage pas).
Ce serait une forme de démocratisation bienvenue.
La liberté de se nuire à soi-même
L’objection qui peut venir immédiatement à l’esprit, c’est que la consommation de cannabis n’est pas qu’une source de plaisirs. Elle porterait atteinte, entre autres, aux capacités cognitives du consommateur et diminueraient ses performances dans différents domaines (professionnels, techniques, etc.)
Elle devrait donc rester interdite parce qu’elle reviendrait à se nuire à soi-même.
À mon avis, cette objection n’est pas pertinente.
Même si la consommation de cannabis présente des inconvénients à côté des plaisirs qu’elle procure, aucun d’entre eux ne permet de justifier sa pénalisation dans la mesure où cette consommation n’a pas pour finalité de causer des torts aux autres.
En effet, nous avons (pour combien de temps encore?) la liberté de nous nuire à nous-mêmes. Pensez au suicide, dépénalisé depuis longtemps ou à la liberté de ne pas se soigner, accordée désormais aux patients.
Hannah Arendt, qui n’était pas vraiment une philosophe permissive, écrivait pourtant dans son Journal de pensée : «Tant que le morphinomane ne devient pas un criminel, cela ne regarde personne.»
Pour elle, les lois doivent nous protéger de l’injustice des autres, et protéger les autres des injustices que nous pouvons commettre à leur égard, mais elles ne doivent jamais prétendre nous protéger de nous-mêmes: «Toute irruption du raisonnement moralisateur qui dépasse le concept d’injustice perpétrée contre autrui constitue toujours une agression contre la liberté.»
John Stuart Mill aurait pu dire la même chose. Pour lui, l’État ne doit jamais contraindre les citoyens pour leur propre bien physique ou moral: son intervention par la menace ou la force n’est légitime que pour prévenir les torts causés aux autres.
C’est aussi mon opinion.
En réalité, une justification philosophique de la légalisation du cannabis pourrait s’appuyer sur deux principes dont la compatibilité n’est pas évidente mais qui, au fond, se renforcent mutuellement: le droit du plus grand nombre d’accéder aux plaisirs du cannabis et la liberté qu’a chacun de se nuire à lui-même.
Par Ruwen Ogien
Source: liberationdephilo.blogs.liberation.fr