A gauche comme à droite, la classe politique reste frileuse sur la dépénalisation ou la légalisation.
Un business légal et très lucratif dans un nombre croissant de régions du monde, mais un tabou persistant dans le débat public hexagonal. La France persiste dans le statu quo, qu’il s’agisse de dépénaliser la consommation de cannabis, une mesure à destination des consommateurs, ou d’en légaliser la vente, seule façon de couper l’herbe sous le pied du trafic ou de contrôler la qualité des produits en circulation.
Image Ouest France
Quand, en début de quinquennat, le débat de la dépénalisation est jugé légitime par Vincent Peillon, alors ministre de l’Education, il est illico refermé par le sommet de l’exécutif. Et quand Patrick Menucci, élu marseillais et député PS, monte au créneau pour prôner la légalisation de la vente à chaque nouveau règlement de comptes sur fond de trafic de cannabis dans la cité phocéenne, la majorité de la classe politique lui répond «solution de facilité» ou «laxisme coupable». Avant de passer à autre chose.
Reste une réalité : la consommation de cannabis, en particulier chez les jeunes, est une donnée structurelle de la société française (chez les seuls majeurs, un Français sur dix a fumé au cours des douze derniers mois). Et la coûteuse lutte contre les réseaux d’importation et de distribution, conjuguée au rappel constant de l’interdit par les pouvoirs publics, n’a pas changé la donne. Mais en l’état de l’opinion et alors même que la production personnelle se développe, aucun responsable politique de premier plan ne se risque à prôner une politique moins idéologique et plus pragmatique.
Dernier exemple en date, sans parler de légalisation ou de dépénalisation, avec le cas d’un rapport sur «l’efficacité de la réponse pénale appliquée aux usagers de stupéfiants», commandé il y a un an par Manuel Valls à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Et resté sous le tapis depuis sa remise, en octobre. Sa conclusion, comme l’a raconté le Monde cette semaine ?
Supprimer la peine d’un an de prison pour usage de drogue (pas seulement le cannabis) et la remplacer par une amende forfaitaire d’environ 300 euros. Manière de rendre les sanctions davantage effectives et d’acter une réalité de fait, comme le préconise d’ailleurs Alain Juppé : en 2014, les 170 000 interpellations pour usage de stupéfiants ont donné lieu à 41 000 rappels à la loi et seulement 1 426 condamnations à de la prison ferme.
On imagine pourtant mal François Hollande, qui fut en 2011 le candidat de la primaire le moins ouvert sur le sujet, porter cette évolution en 2017. Dans de récentes confidences sur RTL, Nicolas Sarkozy, qui a varié sur la meilleure façon de sanctionner la consommation, a, lui, mystérieusement confié : «Je n’ai jamais fumé un pétard de ma vie, ce n’est pas du tout que je suis contre. Je fume un cigare de temps en temps.»
Sur la Toile, de plus en plus de vidéos de fumeurs offrent conseils, tests et astuces. Un essor dû à des succès d’audience comparables à ceux des chaînes de gamers ou de gourous de la mode.
MarijuanaMan2. Ce Canadien de 46 ans revendique être le plus ancien weedtubeur.
Photo Capture d’écran YouTube
«Oh salut, les garçons et les filles, je suis juste en train de prendre un bain.» C’est avec ces mots, prononcés comme si le spectateur impudique l’avait surpris ici par hasard, que Steve, aka MarijuanaMan2 sur YouTube, commence sa vidéo. Cinq minutes de trip face caméra, durant lesquelles l’homme en slip de bain alterne bangs à l’huile de cannabis et phases de décompression, un chihuahua sur les genoux. A 46 ans, ce Canadien revendique être le plus ancien «weedtuber» de la Toile.
C’est sur Yahoo qu’il a fait ses premières armes, dans les années 90, avant de migrer sur YouTube au printemps 2005. Au téléphone, l’élocution déjà ralentie par le nombre de joints consommés malgré l’heure matinale de notre appel, il se souvient juste qu’il voulait «fumer de l’herbe avec d’autres gens». Mais très vite, ces vidéos deviennent bien plus qu’un simple passe-temps. Avec des sponsors qui lui «payent tout» ce dont il a besoin, y compris la matière première, mais dont il refuse de donner l’identité, parler de weed a pris chez Steve des airs de «métier» à part entière. Cet accro de la fumette depuis 1993 n’exerce d’ailleurs pas d’autre profession.
Tuyaux partagés
Des amateurs se sont inspirés de son succès sur YouTube et nombre de vidéos sont apparues depuis, toutes plus improbables les unes que les autres.
On trouve ainsi, entre deux tests produits de bangs à plusieurs milliers de dollars, des recettes de thé au cannabis, les récits des «pires bad trips», ou encore des clubs de lecture sous substance. Ils seraient désormais une soixantaine à partager leurs tuyaux sur la Toile. Scott, un développeur web de 29 ans qui vit aux Etats-Unis, leur a même dédié un site, sobrement intitulé Weedtubers.com. Chaque mois, environ un millier de personnes visitent sa page, dont il compare volontiers le contenu à celui proposé par les gourous du maquillage ou les gamers stars de YouTube. A l’entendre, il s’agirait simplement d’une «incroyable source d’informations et d’astuces».
CustomGrow420 a déjà posté un demi-millier de vidéos sur sa chaîne qui compte 990000 abonnés. Photo capture d'écran YouTube
Pendant longtemps, Scott ne s’est nourri que de celles de CustomGrow420, de son vrai nom Joel Hradecky. Celui que ses fans surnomment «Jolie Olie», avec son look de grand adolescent, ses cheveux longs et son éternelle casquette est l’un des youtubeurs les plus en vogue de sa catégorie. Depuis la création de sa chaîne en mars 2013, il a séduit 990 000 abonnés, a cumulé plus de 120 millions de vues et posté un demi-millier de vidéos. Il doit sa notoriété aux plus extrêmes d’entre elles. Les quelques minutes du «one gram dab challenge», qui consiste à aspirer d’une seule bouffée un gramme d’huile de cannabis, ont par exemple fait plus de 2 millions de vues. Dans cette vidéo, Jolie Olie repousse ses limites, au point de donner à Scott l’impression de «regarder un athlète faire un super record».
L’huile de cannabis, ou dab, qu’il consomme est en effet bien plus dosée que de l’herbe classique. Cette drogue de synthèse, obtenue en mélangeant weed et solvants serait, d’après la DEA, l’autorité américaine de lutte contre les stupéfiants, concentrée à hauteur de 40 à 80 % en tétrahydrocannabinol (THC), la substance responsable des effets pharmacologiques du cannabis. En un challenge, Jolie Olie aspire donc entre 400 et 800 milligrammes de THC. Puisqu’un joint «standard» américain en contiendrait «entre 9 et 21 milligrammes» selon les données du National Institute of Drug Abuse, CustomGrow420 aspirerait donc dans sa célèbre vidéo l’équivalent d’une quarantaine de joints environ.
«Seuil de tolérance»
A l’évocation de ces chiffres, Benjamin Cort, qui travaille dans un centre de réhabilitation pour les personnes souffrant d’addiction dans le Colorado, où le cannabis est en vente libre, laisse s’échapper un rire cynique. Pour ce militant anti-légalisation, ces vidéos seraient d’autant plus dangereuses que les fans des weedtubers tenteraient trop souvent de reproduire les modes de consommation de leurs idoles.
«La plupart du temps, ils ignorent pourtant les effets de seuil de tolérance, s’inquiète-t-il. C’est-à-dire que plus on consomme, et plus il nous faut de fortes doses pour retrouver les mêmes sensations et "planer". C’est pour ça que certains prennent de la dab et non de simples joints, mais tout le monde n’a pas cette résistance.» Lui qui se souvient avoir vu un jour quelqu’un prendre «8 grammes d’huile de cannabis» sur YouTube regrette aussi que les risques associés à ces quantités ne soient jamais mentionnés nulle part sur la plateforme.
«Le truc, poursuit le spécialiste, c’est qu’on voit des gens se défoncer, sans avoir d’aperçu des conséquences négatives sur leur corps ou leur cerveau. Ça participe à renforcer l’image d’un cannabis sans danger. On se dit juste : "OK, en fait ça ne risque rien, je peux en prendre moi aussi", alors qu’il y a certaines drogues dont on ignore encore tout au niveau scientifique et médical, et dont on ne connaît pas le mode de fabrication. Souvent, la dab est faite dans des laboratoires de fortune ou dans la cave de quelqu’un, comme on ferait de la meth.»
Pour Scott, qui compte 60 % de visiteurs entre 18 et 34 ans sur son site, pas question pour autant de dire que les weedtubers auraient une mauvaise influence, notamment sur les jeunes. Il reste persuadé que ces derniers «découvrent toujours l’herbe dans les cours d’écoles, avec leurs copains», exactement comme avant. Les youtubeurs ne feraient que leur «offrir une éducation» positive à la fumette, «qui n’est pas disponible autrement». Loin de trouver cela dangereux, le développeur web s’en réjouit même, allant jusqu’à espérer que tous les Etats légalisent prochainement le cannabis, pour voir encore «évoluer» les weedtubers.
Règles contournées
Ces derniers ne semblent pourtant pas accorder une grande importance à la loi. Si l’usage de l’herbe récréative ou médicale est autorisé dans plus de la moitié des Etats américains, ce n’est pas encore le cas à Vancouver (Canada), où Steve coule des jours heureux. Il est formellement interdit là-bas de fumer un joint en public. Cependant, comme MarijuanaMan2 l’assure, la police n’appliquerait «pas vraiment» la loi. Du moins, pas toujours. Le weedtuber n’a ainsi jamais eu de problème avec les autorités, et dit ne pas s’en inquiéter le moins du monde. D’après Scott, la tolérance a également cours aux Etats-Unis.
Il dit ainsi ne se souvenir que d’une seule arrestation de youtubeur : celle de CustomGrow420. Sauf que ce n’est pas pour une quelconque affaire de drogues qu’il a failli se retrouver derrière les barreaux, mais pour s’être filmé en traversant un pont à Washington, «alors que c’était illégal». «A part cet incident, je n’ai jamais entendu d’histoire de weedtuber qui ait eu des problèmes pour avoir pris de la marijuana», affirme le fondateur de Weedtubers.com.
Ces derniers ne manquent pas d’astuces pour contourner les règles. Certains, qui vivent là où l’usage médical du cannabis médical est légal, n’oublient ainsi jamais de mentionner au début de leurs vidéos qu’ils fument «parce qu’ils ont une maladie». Grâce à cette combine, ils restent à l’abri d’éventuelles poursuites. «De toute façon, l’idée qu’on puisse mettre quelqu’un en prison pour ça semble absurde, voire ridicule, même pour la police», rit jaune Benjamin Cort, le militant anti-légalisation.
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Cela l’est d’autant plus que le mouvement pro-cannabis prend de l’ampleur aux Etats-Unis. Bien qu’elle soit toujours illégale au niveau fédéral, la consommation d’herbe en toute liberté est désormais autorisée dans plusieurs Etats. Le Colorado et l’Etat de Washington ont été les premiers à passer le cap, en 2012, la loi étant entrée en vigueur deux ans plus tard. Depuis, l’Alaska, l’Oregon et le district de Columbia ont suivi. Quinze autres Etats ont choisi quant à eux de dépénaliser le cannabis. Parmi eux, le plus peuplé du pays, la Californie, où l’usage médical de la weed est déjà possible, demandera en novembre à ses habitants s’ils sont favorables à une légalisation totale.
Andrew Pletenetskyy est un ancien ingénieur d’Apple, qui a travaillé sur le design des iPhone et des iPod. Voyageur régulier et amateur de plantes vertes, il a essayé les différents produits sur le marché qui se proposent d’automatiser la distribution d’eau et s’est dit qu’il y avait moyen de faire mieux, bien mieux.
Avec son compère Alex Yevdakov, un autre ingénieur de la vallée, il a lancé 7sensors Inc., une startup installée à Mountain View qui va proposer un environnement entièrement automatisé pour la croissance des plantes en intérieur.
Spécifiquement, le duo s’intéresse à la culture du cannabis, légale dans leur contrée (mais pas en France).
L’équipe a développé la Grow Box, un système entièrement automatisé pour la croissance du cannabis (et d’autres plantes évidemment, les compères ont fait pousser des piments) : lumière, température, débit d’air, humidité, tout est contrôlé et automatisé. Des panneaux amovibles permettent d’occulter les parois vitrées quand la plante a besoin de son repos végétatif. L’appareil fait la taille d’un réfrigérateur. Une application iPhone complète le tableau, permettant de contrôler le processus ou de l’affiner manuellement, chose que les amateurs de culture « in door » adorent faire.
Le produit, en phase de finalisation, sera lancé avec une campagne de financement participatif. Nul doute qu’elle devrait connaître un certain succès.
Manuel Valls osera-t-il reprendre à son compte les conclusions du rapport sur « l’efficacité de la réponse pénale appliquée aux usagers de stupéfiants » qu’il avait lui-même commandé en juillet 2015 ? Réunis sous l’égide de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), des représentants des ministères de la justice, de l’intérieur, des finances et de la santé sont arrivés à la conclusion qu’il serait pertinent de faire évoluer la loi de 1970 réprimant – notamment – la consommation de cannabis.
Sortie d'un conseil des ministres. - P.KOVARIK / AFP
Constatant l’inefficacité de la législation actuelle, ils se sont prononcés à l’unanimité en faveur de la suppression de la peine d’un an de prison pour simple usage de drogue et pour la mise en place d’une contravention de 5e classe pour usage de stupéfiant, avec une amende forfaitaire dont le montant pourrait être de l’ordre de 300 euros. Le groupe de travail a fait le choix de ne pas distinguer le cannabis - 90% des interpellations pour usage -, des autres stupéfiants, dans le but de ne pas le « banaliser ».
Le rapport, que le Monde s’est procuré, est sur le bureau du premier ministre depuis le 30 octobre 2015. Depuis, rien n’a bougé. Comme si, à quelques mois de la fin du quinquennat, réformer – ou même simplement toiletter – la loi de 1970 sur les stupéfiants était politiquement trop risqué pour l’exécutif. Nulle part pourtant, le rapport du groupe de travail ne propose une quelconque légalisation ou dépénalisation du cannabis, des sujets beaucoup plus polémiques.
Interrogée par Le Monde, la chancellerie dit avoir « conscience du problème soulevé » par le rapport mais assure qu’« il n’y a pas de volonté de modifier la législation à court terme, sous pression médiatique ». Les préconisations des spécialistes devraient donc rester lettre morte d’ici à la fin du mandat de François Hollande.
« Effet dissuasif limité »
Le constat des experts des ministères est sévère. Si la loi prévoit en théorie une sanction d’un an de prison et 3 750 euros d’amende pour un usager de drogues, rares sont les consommateurs qui sont finalement condamnés à une telle peine au regard du nombre de délits relevés.
En 2014, plus de 170 000 personnes ont été interpellées pour usage de stupéfiants, ce que les auteurs du rapport qualifient de « contentieux de masse ». Dans la plupart des cas, elles détenaient sur elles des quantités « modestes » de cannabis qui ne permettaient pas aux forces de l’ordre de les poursuivre pour « détention de stupéfiant », un délit plus grave, passible de dix ans de prison et 7 500 euros d’amende, qui concerne les personnes soupçonnées de trafic.
Sur les 100 000 faits d’usage ensuite traités par les tribunaux, les deux tiers ont fait l’objet d’alternatives aux poursuites (dont près de 41 000 rappels à la loi). Au final, seules 1 426 personnes ont été condamnées à de l’emprisonnement ferme. Et seules 150 personnes – récidivistes – purgent actuellement une peine d’emprisonnement pour la seule infraction d’usage de stupéfiants.
De fait, l’usage du cannabis semble s’être banalisé en France. Près de 700 000 Français fument chaque jour des joints. En 2014, 11 % des Français âgés entre 18 et 64 ans ont consommé du cannabis au moins une fois dans les douze mois précédents, selon une étude de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes, aujourd’hui Santé publique France) parue en avril 2015. Face à ces mauvais chiffres, en hausse, Danièle Jourdain-Ménninger, la présidente de la Mildeca, expliquait en octobre 2015 étudier « plusieurs pistes pour déterminer ce qui serait le plus efficace pour faire baisser les consommations ».
« Puisque les peines d’emprisonnement ferme sont rarement prononcées et encore plus rarement mises à exécution, l’effet dissuasif est limité », jugent les auteurs du rapport. « Un nombre important d’infractions constatées ne fait l’objet d’aucune procédure », constatent-ils également, estimant que cela contribue au « renforcement du sentiment d’impunité des usagers ».
Si la contraventionnalisation proposée permettrait une plus grande lisibilité de la réponse pénale aux yeux des consommateurs, elle permettrait également de dégager du temps aux policiers, gendarmes et magistrats submergés par le traitement de ces petits délits. Les forces de l’ordre consacreraient ainsi plus d’un million d’heures chaque année à traiter ces procédures pour usage de drogues et seraient même « contraintes », pour assurer ces tâches, « de se détourner fréquemment des missions et des secteurs initialement assignés », fait valoir le groupe de travail.
La mise en place d’une telle amende viendrait par ailleurs confirmer un mouvement de fond. En 2013, il y a déjà eu 21 159 condamnations à une peine d’amende pour usage de stupéfiants, un nombre multiplié par deux entre 2007 et 2012. « L’usage de stupéfiants est de plus en plus massivement traité par des peines d’amende », soulignait l’Observatoire français des drogues et toxicomanie (OFDT) en 2015.
Frilosité de la gauche
Les auteurs du rapport laissent cependant au législateur le soin de fixer le nombre de fois à partir duquel le recours au timbre-amende ne serait plus possible, entraînant le retour à une procédure de droit commun. En cas de récidive, synonyme de « consommation problématique », il faudrait par exemple pouvoir orienter l’usager vers une structure de soin adaptée. Un seuil en termes de quantité de drogue détenue devrait également sans doute être défini.
En dehors de ces deux points, et sous réserve que le montant de l’amende ne soit pas « prohibitif », car celle-ci risquerait de ne pas être acquittée, « une pré-étude d’impact de la faisabilité juridique d’une telle évolution révèle l’absence de difficulté majeure de mise en œuvre », font valoir les différents représentants des ministères.
Lors de l’examen de la loi santé en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, le 27 novembre 2015, alors même que le rapport avait été rendu à Matignon un mois plus tôt, la ministre de la santé Marisol Touraine s’était opposée à une telle mesure, défendue par des élus de l’opposition, en expliquant que « le gouvernement souhait[ait] attendre les propositions de la Mildeca » pour se prononcer. Deux mois plus tôt, elle avait rejeté l’idée, estimant que la contraventionnalisation « serait un mauvais signal à adresser ».
Face à la frilosité de la gauche, la droite pourrait finalement reprendre à son compte une telle mesure. Alain Juppé a inscrit dans son programme son souhait d’infliger une amende « d’une centaine d’euros, payable sur-le-champ, avec information de la famille » aux consommateurs de cannabis.
Nicolas Sarkozy, lui, avait déjà préconisé cette mesure en 2003, avant de faire marche arrière, critiquant sévèrement durant la campagne pour la présidentielle de 2012 François Rebsamen, le maire PS de Dijon alors pressenti pour le ministère de l’intérieur, lorsqu’il avait proposé une telle contraventionnalisation. A moins que la droite ne recule au dernier moment, comme le premier ministre Jean-Pierre Raffarin en 2004, déjà par peur du signal donné.
« C’est un débat inflammable qui peut être détourné de son objectif, à gauche comme à droite, estime Laurent Marcangeli, député LR de Corse-du-Sud et corapporteur en 2014 d’un comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques consacré à ce sujet. Certains ont le sentiment que contraventionnaliser, c’est descendre dans l’échelle de la peine, alors qu’en réalité, c’est garantir son effectivité. »
François Béguin
Journaliste au Monde
Source: lemonde.fr
Les nouvelles filles sont arrivées tard la nuit dernière et se sont toutes levées à sept heures pour faire le tour de la propriété. Elles portent encore des vêtements de ville – des jeans moulants et de jolies chaussures. Elles foulent la terre et le gravier tout en discutant avec enthousiasme et en essayant de protéger leurs yeux du soleil qui se lève lentement au-dessus de la montagne.
Illustration : Katherine Killeffer
À cette période de l'année, de nouvelles recrues arrivent tous les jours. C'est la mi-juillet dans le sud du comté de Humboldt, et la première récolte de cannabis de l'année – environ 500kg – est suspendue dans les hangars, prête à se faire tailler par nos soins.
À partir de maintenant et jusqu'à Noël, nous taillerons les têtes de weed 16heures par jour, tous les jours. Nous resterons assises à longueur de temps, nous prendrons des pauses avec parcimonie pour manger et nous irons aux toilettes seulement en cas d'urgence. Nous fumerons constamment, et de plus en plus. Même avec une équipe de 30, nous aurons du mal à tout finir avant la fin de l'année.
Les filles viennent d'être embauchées ; elles ne savent encore rien de tout cela.
J'appelle l'endroit notre Ferme, pourtant ce n'est pas la nôtre : c'est celle de Jim*. La ferme de Jim se trouve à deux heures de la ville la plus proche, à 90 minutes d'une station essence et d'une épicerie, au bout d'un long chemin forestier élevé dans la chaîne de montagnes du nord de la Californie. Il est difficile de s'y rendre et aucune voiture de patrouille n'ose s'y aventurer, ce qui est un soulagement, étant donné que Jim cultive sa weed illégalement. Il n'y a pas de réseau et pas d'Internet. La nuit, seuls les bruits du vent, des coyotes et des générateurs se font entendre.
Sur la route, des dizaines de nouveaux arrivants affluent à la recherche d'un endroit comme le nôtre : voyageurs, auto-stoppeurs, retraités, adolescents et couples hippies tiennent des pancartes sur lesquelles sont dessinés des sécateurs.
Sans parler du fait que la majorité des producteurs du comté de Humboldt opèrent illégalement, des milliers de travailleurs étrangers viennent de partout dans le monde pour travailler dans la capitale américaine du cannabis au moment de la récolte. Ces saisonniers risquent la prison ainsi que des accusations de délit pour avoir amassé un bon pécule grâce à un revenu non réglementé et non taxé. Selon moi, le jeu en vaut la chandelle. Je me sens chanceuse d'être ici, même si j'enfreins la loi.
Je vois les nouvelles filles avancer jusqu'à la colline de terre vers moi ; elles cachent toujours leurs yeux du soleil. Depuis le pont, je les regarde prendre les réservoirs d'eau et les quatre-roues. Notre pile massive d'ordures est en train de pourrir dans une petite clairière d'arbres. Je me souviens avoir été nouvelle et avoir essayé de comprendre. Elles me regardent, je leur souris et leur fais signe.
Photo : Jason Fiske
Même si je suis née et que j'ai grandi dans le comté de Humboldt, je n'aurais jamais pensé me retrouver un jour à tailler des têtes de weed. Quand je suis sortie diplômée de l'université en 2008, l'économie américaine venait de s'effondrer et je faisais partie de la première vague d'étudiants à être touchée par la crise. Il n'y avait plus de financements pour les domaines de l'art, de l'éducation et de l'environnement. Incapable de trouver un emploi avec mon diplôme en développement durable, j'ai demandé à un pote de lycée s'il avait eu vent d'un emploi dans une ferme – « ferme » étant un code, dans de nombreuses régions californiennes, pour désigner le cannabis.
Il m'a proposé un boulot dans la ferme où il travaillait, dans le sud du comté de Humboldt – une région éloignée au climat méditerranéen sec célèbre pour sa production de weed . Il m'a expliqué que je pouvais rester là-bas gratuitement et me faire 20 dollars de l'heure au noir, simplement en arrosant et en repiquant les cultures. Une fois la récolte terminée, je pourrais rester pour tailler les têtes. « Tout le monde le fait ici, m'a-t-il assuré. Ce n'est pas grand-chose. » Il m'avait convaincue. Une semaine après, je faisais mes valises et partais pour le nord, en me disant que c'était uniquement le temps de trouver autre chose.
Ce boulot était idéal à bien des égards ; j'étais dehors toute la journée, je dormais dans une cabine et j'avais beaucoup de temps pour lire et écrire. C'est là-bas que j'ai rencontré Jim ; à l'époque, il sortait avec une fille qui travaillait sur place et il installait sa propre ferme à quelques kilomètres. Mon ami avait raison : tout le monde semblait s'épanouir là -bas. Pourtant, il y avait un malaise général dans la vallée – un léger sentiment de danger imprégnait notre mode de vie paisible.
Photo : Evan Dalen via Stocksy
À l'époque, la légalisation n'était pas aussi d'actualité qu'elle l'est maintenant ; les raids fédéraux étaient des menaces réelles et constantes. Si certains producteurs possédaient des mandats médicaux pour légitimer leurs plantations, il n'était pas rare ni illégal que les fédéraux fassent une descente. À cause de cela, beaucoup de producteurs n'ont même jamais pris la peine d'obtenir un mandat ; ils ont juste saisi leur chance, à l'instar de Jim. Nous étions assez isolés et je me sentais relativement en sécurité, pourtant, nous mourrions de peur à chaque fois qu'un hélicoptère survolait la vallée. Jim gardait toujours un pistolet sur lui. « Si les choses tournent mal, me disait-il, mets-toi à courir ». Je hochais la tête, en essayant de ne pas penser au fait que je n'avais aucun endroit où me réfugier.
Au bout d'un mois, j'étais complètement paranoïaque. Je ne pouvais pas dire à mes amis et ma famille où je me trouvais, ni ce que je faisais, de peur d'être jugée, punie ou dénoncée. Mes parents me considéraient comme une cause perdue. Je me mettais en danger en restant là– je pouvais me faire arrêter, ou pire encore. J'avais 22 ans et j'étais hantée par le désir de trouver un travail significatif. J'étais perdue dans les montagnes, coupée de la société. Je passais mon temps à boire, à fumer, sans jamais lire les infos. Je suis restée dans la ferme quelques semaines avant de rentrer à Portland, en espérant que le marché du travail s'était un peu amélioré en mon absence.
Ce n'était pas le cas. Au contraire, il semblait même y avoir encore moins d'offres d'emploi qu'avant mon départ. J'ai passé l'hiver et le printemps suivant à essayer de payer tant bien que mal mon loyer – en faisant des petits boulots de baby-sitter ou de serveuse. J'ai envoyé des centaines de candidatures qui n'ont jamais abouti. Au début de l'été, alors que je commençais à redouter un potentiel retour chez mes parents, je reçus un texto de Jim : « Tu cherches du boulot ? »
Effectivement.
Je suis donc allée dans la nouvelle ferme de Jim pour tailler les têtes de weed cet été-là. Depuis, je retourne dans le comté de Humboldt presque chaque année. Je me dis toujours que ça ne vaut pas le coup : c'est trop loin ; c'est trop dangereux ; ça interfère avec mes études et ma carrière. Mais certains aspects du travail me plaisent. J'aime l'odeur des bois chauds, la douleur satisfaisante du travail manuel et tout le cash qui m'est remis une fois le travail terminé.
J'aime réellement ça, ou tout du moins, j'aime la sensation de liberté que ce travail me procure. En outre, je peux gagner assez d'argent en quelques mois pour tenir le reste de l'année. C'est la seule chose qui me permet de me consacrer à mes projets musicaux et artistiques, et la seule raison pour laquelle je possède un compte d'épargne.
Pourtant, être tailleuse comporte un certain lot de stigmates. Les médias présentent le cannabis dans une perspective de réforme sociale, d'activisme progressiste et d'autonomisation des femmes, mais dans les fermes, les choses sont bien différentes. Les rôles des sexes sont distincts et historiques : les hommes cultivent, les femmes taillent. Alors que les hommes ont généralement un poste fixe – ils sont les propriétaires – les femmes sont des travailleuses facilement remplaçables.
Les locaux traitent souvent les petites amies des producteurs de weed de « prostituées ». Les femmes qui travaillent sont aussi victimes de ce sexisme flagrant ; j'ai souvent entendu mes collègues nous dénigrer, et on m'a souvent proposé un supplément de 50 dollars par kilo si je bossais seins nus – une pratique qui, si elle n'est pas tout à fait la norme, est certainement beaucoup plus répandue qu'elle ne devrait l'être.
Photo : Jason Fiske
Le déséquilibre entre les sexes est bien ancré. Autrement dit : les hommes travaillent à l'extérieur et les femmes à l'intérieur. « On ne m'a donné que les tâches les plus légères », me dit mon amie Emily* quand je l'interroge sur son expérience. Originaire de la Nouvelle-Angleterre, elle a passé l'été 2008 à bosser dans une ferme du comté de Humboldt. Elle est rentrée frustrée et désabusée. « Ils me considéraient comme une petite femme sans défense et, naturellement, après un certain temps, j'ai commencé à me voir comme ça aussi », dit-elle.
Dans toutes les fermes où j'ai travaillé, la majorité des tailleurs étaient des femmes. Les hommes justifiaient cela en prétendant que « les doigts des femmes sont plus rapides que les nôtres » ou qu' elles sont plus douées pour rester assises ». En réalité, la taille est un travail fastidieux, difficile, ennuyeux et absolument nécessaire. Les producteurs ne veulent pas se charger de cette tâche déplaisante, mais ils ont tout de même besoin que leurs bourgeons soient taillés s'ils veulent vendre leurs produits.
« Hay que cortarlos como asi », explique Flor* en tenant un bourgeon non taillé entre ses deux ongles turquoise écaillés. Flor est la femme de Jim. C'est une belle Colombienne de 24 ans dont le travail consiste à former les nouvelles filles. Flor tourne doucement le bourgeon en retirant les feuilles séchées avec un sécateur. « Eso, eso, eso, eso, y ya », dit-elle en montrant le bourgeon à une jeune fille ; la jeune fille hoche la tête solennellement. Flor jette le bourgeon dans un sac et s'empresse d'aller faire sa petite démonstration à une autre fille.
Voilà comment le métier s'apprend dans de nombreuses régions du monde: des femmes expliquent à d'autres femmes comment le boss aime que ça soit fait. Quand je vois une nouvelle fille qui laisse des tiges trop longues ou qui coupe trop – je souris et lui fais signe. Je prends un bourgeon brut entre mes doigts et le fais tourner lentement en coupant les feuilles. Pas trop court, pas trop bâclé. « OK » , acquiesce-t-elle.
Photo : Jason Fiske
35 femmes sont employées à temps plein dans la ferme de Jim. Je suis l'une des deux seules femmes blanches ; les autres sont des amies ou des amies d'amies de Flor. Elles viennent toutes de Colombie. Dans une exploitation de cette taille, Jim préfère opter pour des travailleuses étrangères plutôt que de courir le risque d'embaucher des habitantes, plus familières de la région.
« Aucune chance que je confie mon code d'entrée à une nana locale, dit Jim. Je n'ai pas besoin que leur petit ami vienne fouiller ici et piquer ma weed ». Par là, il entend piquer sa weed avant qu'il n'ait la chance de la récolter lui-même, ce qui arrive dans beaucoup d'exploitations à cette période de l'année. Embaucher des tailleuses étrangères est une mesure de sécurité – ce sont des filles qui n'ont pas de voiture, pas de réseau et pas de petit ami américain. Une fois par semaine, Flor emmène certaines d'entre elles en ville pour dépenser un peu d'argent. À part ça, elles sont uniquement là pour travailler.
« Mes enfants me manquent », me dit Gabi* un soir tard, en regardant des photos d'eux sur son iPhone. Elle a 26 ans, est ronde, douce et belle. Elle a une fille d'un an et un fils de cinq ans. Je souris en voyant les photos de son petit garçon en costume de marin. « Mais il faut bien que leur maman gagne un peu d'argent », dit-elle, en se redressant et en souriant. Elle pose le téléphone, prend un sécateur et se remet au travail.
Je n'ai pas d'enfants ; je suis là pour prendre soin de moi. Jim me paie 200 dollars par demi-kilo de weed taillée. Dans les bons jours, et si les têtes sont grosses, je peux tailler jusqu'à deux kilos. En moyenne, c'est un kilo. En travaillant tous les jours, je peux me faire 3000 dollars en cash par semaine.
L'avantage de travailler dans la ferme de Jim est que le travail est constant ; il n'y a pas besoin de parcourir de longues distances pour constater qu'il suffit d'une semaine de travail. L'autre avantage est que Jim possède déjà un bon réseau de vente, ce qui signifie qu'il a réellement de quoi nous payer une fois notre travail terminé. Ce n'est pas toujours le cas ; alors que l'approvisionnement en marijuana ne cesse d'augmenter, les producteurs ont plus de mal à vendre leur produit lorsque la saison se termine, et les tailleurs en subissent les conséquences.
« Il est fréquent d'entendre des histoires de saisonniers qui n'ont pas été payés, sans aucune possibilité de faire un recours en justice », écrit Linda Stansberry dans le North Coast Journal. Stansberry, journaliste du comté de Humboldt, a plaidé en faveur d'un meilleur traitement des femmes dans l'industrie du cannabis. Parce que la culture du cannabis non médical est toujours illégale, ce secteur tend à être insulaire et secret. Comme Stansberry le dit, la culture « fonctionne suivant l'accord tacite que personne n'effectue jamais de contrôle ». Ce type d'exploitation peut être dévastateur pour les femmes qui ont tout quitté pour venir ici, faute de trouver un meilleur travail.
À cause de la nature isolée de la culture du cannabis, les travailleuses saisonnières sont en proie aux violences physique et psychologique. De nombreuses grandes exploitations sont situées dans des endroits isolés, souvent à plusieurs heures de toute forme de civilisation. Les travailleuses ne savent pas toujours quelles seront leurs conditions de travail. Si elles se trouvent dans une situation dangereuse ou abusive, en sortir sans éveiller les soupçons peut s'avérer difficile.
« On ne peut pas sortir et se plaindre à quelqu'un », écrit Maryann Hayes Mariani, coordonnatrice des services de la North Coast Rape Crisis Team, dans le North Coast Journal. Les exploitations sont trop éloignées et ne sont pas légalement autorisées sans mandat. De plus, les producteurs peuvent réagir violemment face aux étrangers qui frappent à leur porte. « Ce ne serait pas sans danger pour eux ou pour nous », dit-elle.
Pour Gabi, moi et les autres, travailler chez Jim est un risque calculé ; nous espérons être payées, que les fédéraux ne nous trouvent pas, que la récolte soit bonne et que l'on se fera assez d'argent pour justifier le fait d'avoir abandonné nos vies pour ces quelques mois. Nous espérons que rien ne se passe mal, que tout fonctionne.
Photo : Skyler Dahan via Stocksy
« Quand nous parlons de la weed et des femmes, nous ne parlons pas des mères célibataires qui font cela pour pouvoir acheter des vêtements à leurs enfants, écrit Stansberry. Nous ne parlons pas des femmes qui sont compétentes en permaculture, en homéopathie et en botanique, ou des femmes qui triment pour pouvoir envoyer leurs enfants à l'université. »
En tant que femme, je souhaite évoquer les problèmes de cette industrie intrinsèquement sexiste sans victimiser les femmes pour autant. Je veux voir un avenir où il sera légal pour les femmes et les hommes de cultiver leurs propres médicaments, d'en faire une structure agricole durable et d'en vivre.
Malgré tous ces problèmes, travailler dans l'industrie du cannabis m'a permis, à moi comme à d'innombrables autres femmes, de jouir d'une indépendance financière et spirituelle que tout le monde n'a pas. J'ai fait le trajet de Portland au comté de Humboldt presque chaque année afin de travailler lors de la saison des récoltes. Cela fait près d'une décennie que j'ai commencé et, même si je suis en paix avec les stigmates associés au travail que je fais, je me réjouis d'un avenir où les femmes ne devront plus faire face à ce genre de dérives.
Alors que la légalisation du cannabis devient une réalité dans le pays, de plus en plus d'organisations militantes prônent l'autonomisation des femmes pour les aider à participer à cette industrie en plein essor. Des syndicats pourraient bientôt voir le jour, même si les producteurs locaux menacent de prendre des machines pour effectuer le boulot. (Personnellement, je trouve que les bourgeons sont plus jolis lorsqu'ils sont taillés à la main.)
Les fermes comme celles de Jim – grandes, isolées, illégales – seront toujours susceptibles d'exister lorsque le cannabis sera légalisé, mais elles ne seront plus la seule option pour les femmes qui veulent tailler. Et tandis que beaucoup de gens dans le comté de Humboldt se lamentent déjà de la mort de l'industrie telle que nous la connaissons – à savoir un puits d'argent dangereux et sans fond –, la promesse de collectivités et de lieux de travail plus sûrs est inestimable.
Quand je suis chez moi à Portland hors saison, là où la weed est légale, je peux aller dans un dispensaire et acheter tout ce que je veux. Il me suffit de présenter mon permis de conduire. J'ai même le droit d' acheter des graines de cannabis et de les planter dans mon jardin, et ce, sans avoir besoin d'un mandat. Je peux les arroser et les traiter avec tendresse contre les acariens. Quand les bourgeons auront poussé, je pourrais les couper, les mettre à sécher, puis les tailler afin qu'ils soient prêts à consommer pour le reste de l'année. Je ne serai pas payée pour le faire, mais au moins, je le ferais selon mes propres règles.
Par Kelly Schirmann
Cet article a été initialement publié sur Broadly.
*Les noms ont été changés
Alors que l’Italie se penche sur la légalisation du cannabis, l'économiste Emmanuelle Auriol, professeure à la Toulouse School of Economics, explique pourquoi l’"État doit reprendre le contrôle de la situation".
L'économiste Emmanuelle Auriol explique pourquoi l’"État doit reprendre le contrôle de la situation". (Sipa)
Le Parlement italien étudie depuis le 25 juillet un projet de loi sur la légalisation de la consommation, de la détention et de l'autoproduction de cannabis. S'il était adopté, l'Italie deviendrait le premier pays de l'Union européenne à franchir le pas après l'Uruguay, plusieurs États américains et prochainement le Canada. "La légalisation est la seule voie raisonnable", argumente Emmanuelle Auriol dans son dernier ouvrage, Pour en finir avec les mafias. Sexe, drogue et clandestins : si on légalisait? (Armand Colin).
"La dépénalisation ne gêne pas le crime organisé"
En matière de drogue, vous prônez la légalisation et pas la dépénalisation, pourquoi?
Le seul avantage de la dépénalisation, ce serait d'éviter la prison aux consommateurs. Sinon, elle ne fait que cumuler les inconvénients : elle ne gêne pas le crime organisé et elle encourage les consommateurs qui ne risquent plus rien.
Quels seraient les avantages d'une légalisation?
Si l'objectif de l'approche prohibitionniste est d'éradiquer la consommation de drogue, c'est un échec malgré un coût considérable de l'ordre de 2,4 milliards d'euros par an de dépenses publiques. En tant qu'économiste, je constate que la demande existe. Et comme il n'y a pas d'offre légale, ce sont les criminels qui en profitent. L'État doit reprendre le contrôle d'une situation qui lui échappe.
Comment?
Certainement pas en proposant la drogue en vente libre au supermarché, mais en organisant sa commercialisation comme on le fait pour le tabac, avec une fiscalité adaptée. Au début, cette fiscalité doit être très modérée de manière à évincer le crime organisé, avant de la remonter comme pour le tabac, dont les taxes représentent 80% du prix d'un paquet de cigarettes. Ce qui ne veut pas dire abandonner le volet répressif. Au contraire, l'État devra être impitoyable avec les trafiquants résiduels.
"On peut imaginer des producteurs sous licence"
Comment s'organiserait la production?
On peut tout à fait imaginer, comme dans certains États américains, des producteurs privés sous licence. Quant à l'autoproduction qui, on le voit actuellement, est impossible à empêcher, une tolérance pour la culture de deux pieds de cannabis peut être envisagée.
Ce qui serait valable pour le cannabis le serait aussi pour la cocaïne ou l'héroïne?
Pourquoi ne pas, comme dans d'autres pays, médicaliser la consommation. Soit par des produits de substitution, soit par des prescriptions sur ordonnance. Ma conviction, c'est qu'il y a mieux à faire que de réprimer uniquement.
En maintenant l'interdiction sur ces produits, l'État ne peut agir sur la demande et se prive de tout un tas d'instruments en matière de prévention, d'éducation et de réduction des risques.
Par Stéphane Joahny
Source: Le Journal du Dimanche
Ce sont des confidences qui vont faire un peu de bruit. Nicolas Sarkozy a répondu à des questions sur RTL pour l'émission «Questions de confiance» diffusée ce samedi. L'actuel président des Républicains, qui devrait annoncer sa candidature à la primaire de la droite à la fin du mois, a tiré au sort plusieurs questions personnelles dans ses bureaux d'ancien chef de l'Etat.
ARCHIVES. Nicolas Sarkozy explique également qu'il «n'a jamais bu une goutte d'alcool».
LP / Arnaud Dumontier
«Excessif, gourmand et addict», se décrit Nicolas Sarkozy pour répondre à l'interrogation «si vous étiez l'un des sept péchés capitaux». «Je peux être addict, addict au sport, à la lecture, au sucre», ajoute-t-il. En revanche, sur la question «êtes-vous plutôt Ricard ou pétard », l'ancien président confie qu'il n'a «jamais touché une goutte d'alcool de sa vie». «Vous vous rendez compte ce truc-là ? Et pourtant je me suis amusé je vous le dis», sourit-il.
Mais surtout, Nicolas Sarkozy explique également qu'il «n'a jamais fumé un pétard de sa vie». «Ce n'est pas du tout que je suis contre, mais jamais», poursuit-il. Il n'est pas courant qu'un ancien chef d'Etat dise ne pas être contre le cannabis.
Cette phrase a notamment fait réagir l'écologiste Cécile Duflot qui se demande s'il s'agit d'un «dérapage» ou d'«hypocrisie».
En novembre 2015, invité du Petit Journal de Canal +, Manuel Valls avait lui lâché que cela «faisait longtemps qu'il ne s'était pas bourré la gueule». Et en 2014, il avait expliqué qu'il avait «peut être fumé une fois» du cannabis tout en rappelant que «c'est dangereux». «Je reste favorable à l'interdiction du cannabis», avait-il ajouté.
Sur un ton léger, l'entretien de Nicolas Sarkozy sur RTL se poursuit. Il y rappelle son goût pour la variété française, et cite notamment Jean-Jacques Goldman, Céline Dion ou encore C Jérôme. «Comme vous voyez je vais assez loin dans la provocation, s'amuse-t-il. Je ne me cacherai pas de ça, je n’ai pas honte de ça».
Interrogé sur le naturisme, le patron des Républicains affirme qu'il n'est pas tenté par cela et se dit d'un «goût classique». Enfin, il évoque les assises de l'UDR (ndlr : précédent du RPR) en juin 1975 comme son premier souvenir politique. «Je monte derrière la tribune et Chirac me dit C’est toi Sarkozy ? je dis Oui et il répond Alors écoute moi… t’as 2 minutes, au bout de 2 minutes je te coupe le micro, t’as compris ? … J’ai tellement compris que j’ai gardé le micro 15 minutes et c’est mon premier souvenir et j’ai compris que sans doute ça serait là une partie de ma vie», raconte Nicolas Sarkozy.
Depuis plusieurs jours, les parlementaires italiens discutent de la légalisation de la consommation, de la détention et de l'autoproduction du cannabis. Une mesure qui pourrait accentuer la pression sur d'autres pays européens, comme la France, sans pour autant régler en l'état le problème de l’approvisionnement qui participe largement à l'enrichissement des réseaux criminels.
Atlantico : Depuis le 25 juillet, le Parlement italien étudie la possibilité de légaliser la consommation, la détention et l'autoproduction du cannabis, ce qui pourrait faire de l'Italie le premier pays de l'UE à franchir le pas. Qu'est-ce qui a conduit l'Italie à envisager cette possibilité ?
Pierre Kopp : L'Italie est en but aux mêmes problèmes que la France, à savoir que la consommation de cannabis y est importante, et tout particulièrement chez les jeunes. A cela s'ajoute le fait que le coût de mise en oeuvre d'une loi de prohibition est démesuré par rapport à ses effets. On remarque alors des effets de découragement sur les forces de police, qui sont obligées de lancer des procédures de plus en plus lourdes pour des ILS, ou l'équivalent des ILS italiens, de 2 ou 3 grammes de cannabis.
Dans le cas où l'Italie légaliserait le cannabis, quelle serait alors la différence avec les Pays-Bas, déjà réputés dans l'Union pour sa politique libérale à l'égard de la consommation de cannabis ?
Il faut tout d'abord saluer le courage qu'ont eu les Néerlandais de s'opposer à l'idéologie ambiante du moment et de mettre ainsi en place un système totalement novateur.
Selon leur système, la consommation est dépénalisée. On remarque néanmoins une zone de gris relative à l'approvisionnement des coffee-shops. Celui est assuré par l'importation et une production locale, toutes deux étant encore interdites et réprimées. C'est donc ce qui rend ce système quelque peu imparfait.
Pour en revenir au cas italien, l'autoproduction dont il est question visera de 1 à 3 pieds de cannabis par personne. Cela ne règlera pas en l'état la question de l'approvisionnement. Dans le cas de la France, il faut savoir que nous sommes actuellement à plus de 1 000 tonnes, une quantité qui n'est pas évidente à mettre en oeuvre. Le projet italien, s'il était accepté, permettrait de dépénaliser l'usage et l'autoproduction, mais ne réglera pas le problème majeur qui est le suivant : aujourd'hui, les organisations criminelles, en France comme en Italie, tirent une partie importante de leurs profits du cannabis. Cette manne restera en leurs mains tant qu'on ne légalisera pas la production de cannabis.
Compte-tenu du principe de libre-circulation qui régit l'Union européenne, quelles pourraient être les conséquences, vis-à-vis des autres pays de l'Union, dans le cas où l'Italie légaliserait la consommation, la détention, et l'autoproduction du cannabis ?
Il conviendra de voir de quelle manière l'Italie parviendra à cette légalisation compte tenu du fait que le pays est signataire d'une convention européenne qui pourrait être un obstacle à ces mesures de libéralisation. Cela permettra de voir dans quel espace les Italiens souhaitent s'inscrire et de quelle manière ils tordent un peu le cou à cette convention.
Le fait d'acheter et de détenir du cannabis en Italie n'autorisera pas la consommation de ce cannabis en France au regard des textes actuels.
Sur le plan politique, la pression va s'accentuer sur les hyper-prohibitionnistes à la française. Les changements survenus à propos de la légalisation du cannabis aux Etats-Unis ont contribué à la ringardisation des tenants de ce discours de prohibition ; cette tendance n'en serait que renforcée dans le cas où l'Italie légaliserait le cannabis à son tour.
Cette légalisation aurait-elle un impact sur les filières liées au trafic du cannabis dans les pays voisins de l'Italie, et notamment sur les filières en France où la consommation de cannabis est encore passible de poursuites pénales ? Que nous enseigne en la matière le cas des Pays-Bas ?
Si l'on considère le cas néerlandais, on a pu constater une très forte production locale in doors, c'est-à-dire dans des serres, et avec une substitution du cannabis par l'herbe puisque cette dernière est produite directement in doors sans avoir besoin d'être transformée immédiatement. On est là en présence d'une production nationale, mais qui demeure pénalisée au regard de la loi néerlandaise.
Cela montre bien le problème résiduel du système néerlandais : il participe à la stimulation des activités criminelles qui se sont reportées précisément sur la production in doors et non la vente au détail. Ainsi, le projet italien ne devrait pas permettre une baisse significative de ces activités criminelles malgré une légère substitution induite par l'autoproduction, dans la mesure où il ne réglera pas le problème de l'approvisionnement massif de l'Italie en cannabis.
Propos recueillis par Thomas Sila
Pierre Kopp est avocat au barreau de Paris et professeur à l'université Panthéon Sorbonne (Paris-I). Il est l'auteur de L'économie de la drogue (La Découverte, collection Repère, traduit en portugais et en grec, 2006) .
A l’approche des jeux olympiques, l’Agence Mondiale Anti-dopage (AMA) a décidé de réhausser le taux maximum autorisé de THC dans le sang. Si le cannabis est toujours considérée comme un produit dopant, l’AMA se montre étonnamment clémente : elle ne prendra pas en compte les résidus résultant d’une consommation antérieure aux jeux.
Pour cela, l’AMA augmente le seuil maximum autorisé de 15 à 150 nanogrammes par millilitres. Cette hausse permettra de mettre de côté les sportifs qui auraient consommé avant les Jeux. Lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012, 4 athlètes ont été contrôlés positifs au cannabis, alors même que les tests avaient été effectués avant le début de la compétition.
D’après le porte-parole de l’AMA Ben Nichols : « Ce nouveau taux limite nous permettra de différencier ceux qui ont consommé durant la compétition et ceux qui ont consommé dans les jours et les semaines avant les Jeux. »
Quoiqu’arrivant un peu tard, l’AMA explore ici une nouvelle voie. Cette hausse de niveau permettrait de réduire de 90 % les contrôles positifs au cannabis et d’isoler les réels tricheurs.
Le cannabis restera cependant parmi les substances dopantes. Selon le Comité Olympique, le cannabis remplit toujours les 3 facteurs essentiels d’une substance illicite : il permet une augmentation de la performance, représente un potentiel danger pour la santé du sportif et heurte l’esprit du sport.
Hors compétition, certains sportifs utilisent le cannabis pour ses propriétés myorelaxantes ou comme antalgique pour réduire les douleurs musculaire. D’anciens sportifs américains demandent régulièrement de retirer le cannabis de la liste des substances dopantes. « C’est dur d’imaginer le cannabis au même titre que les autres substances, c’est encore une affaire de question morale » selon Ben Nichols.
De grands champions comme Michael Phelps et Usain Bolt ont reconnu avoir consommé du cannabis. Cela avait d’ailleurs coûté (ça et quelques autres frasques) 6 mois de suspension à Michael Phelps.
Huanito Luksetic a gagné: la Croatie a fini par autoriser une huile thérapeutique à base de cannabis, mais ce malade atteint de sclérose en plaques, qui a été le symbole de ce combat, risque la prison.
Huanito Luksetic, atteint de sclérose en plaques, tient une seringue d'huile de cannabis dans ses mains, le 13 juillet 2016 à Rijeka en Croatie (AFP/-)
En octobre 2014, la police fait irruption dans sa maison près de Rijeka, sur la côte adriatique, dans le nord de la Croatie. "Je savais que cela allait arriver. Quand ils ont frappé à ma porte, c'était une sorte de soulagement", dit cet homme de 38 ans.
Vingt kilogrammes de marijuana sont saisis. Il la cultivait dans son jardin pour fabriquer de l'huile destinées à apaiser les effets de la maladie.
Un an plus tard, la Croatie changeait sa législation après l'avis d'une commission d'experts, et autorisait un produit liquide à base de cannabis, contenu dans des gélules et importé du Canada. Cette décision est la conséquence directe du débat suscité dans le pays par l'arrestation de Huanito Luksetic.
Les effets bénéfiques du cannabis pour les malades atteints de cancer, du virus du sida, d'épilepsie ou de sclérose en plaques sont avancés depuis des années par associations, patients et médecins. Et plusieurs pays les ont reconnus avant la Croatie: Allemagne, Pays-Bas, Italie...
Mais si l'huile autorisée peut être vendue par les pharmacies depuis juillet sur prescription médicale, la machine judiciaire ne s'interrompt pas: Huanito Luksetic est poursuivi pour production et vente de marijuana. Le procès s'est ouvert cette année. Il risque douze ans de prison.
En 2008, Huanito Luksetic apprend qu'il est atteint d'une sclérose en plaques, maladie neurologique auto-immune évoluant par poussées, très handicapante.
Face à l'absence de réponse de la médecine traditionnelle, il cherche des réponses alternatives: il installe une ruche chez lui et s'inflige des piqûres d'abeilles, ayant lu que leur venin pouvait avoir un effet; il se fait opérer des veines.
Il se met à boiter, perd de la sensibilité, voit double, quand en 2011, il assiste à une conférence d'un Canadien, Rick Simpson, militant de la légalisation du cannabis thérapeutique.
"J'ai réalisé que la qualité de l'huile de cannabis était la clé, et qu'il allait falloir que je la fasse moi-même pour en avoir", dit-il. Après trois semaines de son traitement, le boitement et les crampes s'en sont allés, dit-il.
- 'Maltraitance à malade' -
Sa dizaine de jours de détention en fait un symbole. Il multiplie les interviews. "J'ai le droit de vivre, de me filer un coup de main sans que cela fasse de mal à quiconque", dit-il.
Il clame sa volonté de continuer à cultiver du cannabis jusqu'à la fin de ses jours et qualifie les poursuites contre lui de "maltraitance à malade".
"Sans l'indignation de Huanito contre l'injustice et sans ses appels à l'aide, rien ne se serait passé", dit Ognjen Brborovic, patron d'une commission d'experts désignée avant l'autorisation.
Le prix de ce produit, qui n'est pas remboursé par la sécurité sociale croate, les rend difficiles d'accès: entre 130 et 260 euros par mois quand le salaire moyen reste inférieur à 800 euros.
"Ces traitements sont à vie", relève Vladimir Komparic, ancien médecin et chef d'une association des malades de la sclérose en plaque.
La potion est provisoirement indisponible, les stocks ayant été rappelés après un problème de fuites de gélules. Mais selon Aisa Zanki-Zelic, une pharmacienne de Zagreb, de nombreux patients se sont manifestés. A ses yeux, ce médicament est un progrès: "Nous savons exactement quels sont les ingrédients et leur quantité."
Même s'il sait que c'est illégal, Huanito Luksetic continuera de produire son huile, de meilleure qualité, assure-t-il. Il multiplie les conférences, a lancé une association, un site internet, est en contact avec des centaines de patients.
Il affiche sa sérénité avant le verdict: "Je suis guéri et revenu à un point où je n'ai pas de symptômes". Il montre son jardin: "C'est ma santé".