Comment survit-on 70 jours à plus de 700 mètres sous terre? Cette question a tenu la planète en haleine cet automne, vibrant au rythme des nouvelles des 33 mineurs chiliens pris au piège au fond d’un gisement de charbon du désert de l’Atacama. Grâce à du cannabis et à des posters de pin-ups envoyés depuis la surface, nous apprend le livre Los 33, signé Jonathan Franklin, journaliste au New York Times. L’envoi d’une poupée gonflable aurait même été envisagé, assure l’auteur, mais les risques de jalousie que le partage de la belle en plastique risquait de susciter étaient trop grands.
Las, le cannabis, s’il a sûrement aidé à faire passer le temps de certains, a provoqué des tensions au sein du groupe. En effet, Samuel Avalos, l’un des 33, s’est plaint que ses camarades n’étaient pas très enclin à faire tourner les pétards reçus dans les courriers de leur famille, et ce au mépris de toutes les règles de courtoisie: « Ils ne m’en ont jamais offert un seul. »
A la lecture de ce triste récit, une collègue des Inrocks à cheval sur les bonnes manières m’a soumis cette question oh combien épineuse: « Quelles sont les règles de savoir-vivre en matière de rotation de pétards? » Autrement dit, comment, en société, allumer le pet’ sans déterrer le hasch de guerre?
Première précaution: s’assurer que le lieu est fumeur, ce qui, dans le cas d’une mine de charbon, est douteux. Probablement la raison pour laquelle, toujours selon les dires de Samuel Avalos, ses camarades s’isolaient pour fumer. A éviter en société: le côté contre-soirée fumage de pétards dans la cuisine pendant que la soirée peine à décoller au salon est offensant pour la maîtresse de maison. Il est par contre recommandé de se mettre légèrement à l’écart en phase de roulage, ce qui présente le double avantage de ne pas mettre en porte-à-faux les plus fervents prohibitionnistes mais aussi de ne pas attirer de trop nombreux amateurs potentiels.
Une fois le joint préparé, les difficultés commencent. Très souvent, un léger attroupement se crée autour du détenteur du Graal. Certains malotrus y allant même d’un « Tu fais tourner, hein?!?… » Une solution, un peu raide, peut alors consister à prendre prétexte du caractère non-fumeur du lieu pour aller l’allumer sur le balcon.
Une fois allumé, un non-consommateur de mes amis hasarde: « On tire sur le pétard deux fois et on fait tourner. » Généreux, mais dans ce cas, les efforts consentis pour le rouler sont bien peu récompensés, sachant que le pétard a très peu de chances de repasser. Dans le cas d’un pétard de taille moyenne (deux petites feuilles ou une grande), aller jusqu’à cinq lattes parait raisonnable pour son propriétaire.
On fait ensuite généralement tourner vers la droite et surtout, surtout, on ne s’occupe plus de savoir ce qu’il advient du pétard, chacun étant responsable de passer au voisin qu’il souhaite. Il est ainsi recommandé de continuer à alimenter la conversation en évitant soigneusement de parler de cannabis. Un non-fumeur ne doit pas se sentir exclu.
Question à ce propos: comment éviter la boulette de faire tourner à un non-fumeur? Le mieux est de lui poser la question en incise de la conversation, sans s’y arrêter, l’air complètement détaché, tout en tendant discrètement l’objet du délit: « Vous fumez? » Eviter le clin d’oeil lourdingue. En cas de non-réponse, interdiction d’insister pour ne pas mettre son interlocuteur mal à l’aise. On passe alors au suivant.
S’ils sont bien élevés, les suivants se contentent eux de tirer deux fois, ce qui présente l’intérêt de ne pas trop se défoncer pour ne pas tuer l’ambiance de la soirée. Le fait de se déplacer pour se retrouver à la droite de celui à qui l’on vient de refiler le pétard afin de le récupérer est éliminatoire.
Petite astuce: dans le cas d’une quantité de produit suffisante et d’une certaine aisance à rouler, l’idéal est de rouler de petits joints (« sticks ») à intervalles réguliers. Chacun ne tire alors q’une fois ou deux. Evidemment dans le cas d’une soirée jécoute-Bob-Marley-allongé-sur-le-sofa, ces règles peuvent être adaptées.
Rappelons enfin que la consommation de cannabis reste sévèrement punie par la loi française et que ces conseils s’adressent donc exclusivement à des mineurs chiliens pris au piège à plus de 700 mètres sous terre au cours d’une très longue soirée de 70 jours…
Arnaud Aubron
Source : Les Inrocks