Depuis plusieurs jours, les parlementaires italiens discutent de la légalisation de la consommation, de la détention et de l'autoproduction du cannabis. Une mesure qui pourrait accentuer la pression sur d'autres pays européens, comme la France, sans pour autant régler en l'état le problème de l’approvisionnement qui participe largement à l'enrichissement des réseaux criminels.
Atlantico : Depuis le 25 juillet, le Parlement italien étudie la possibilité de légaliser la consommation, la détention et l'autoproduction du cannabis, ce qui pourrait faire de l'Italie le premier pays de l'UE à franchir le pas. Qu'est-ce qui a conduit l'Italie à envisager cette possibilité ?
Pierre Kopp : L'Italie est en but aux mêmes problèmes que la France, à savoir que la consommation de cannabis y est importante, et tout particulièrement chez les jeunes. A cela s'ajoute le fait que le coût de mise en oeuvre d'une loi de prohibition est démesuré par rapport à ses effets. On remarque alors des effets de découragement sur les forces de police, qui sont obligées de lancer des procédures de plus en plus lourdes pour des ILS, ou l'équivalent des ILS italiens, de 2 ou 3 grammes de cannabis.
Dans le cas où l'Italie légaliserait le cannabis, quelle serait alors la différence avec les Pays-Bas, déjà réputés dans l'Union pour sa politique libérale à l'égard de la consommation de cannabis ?
Il faut tout d'abord saluer le courage qu'ont eu les Néerlandais de s'opposer à l'idéologie ambiante du moment et de mettre ainsi en place un système totalement novateur.
Selon leur système, la consommation est dépénalisée. On remarque néanmoins une zone de gris relative à l'approvisionnement des coffee-shops. Celui est assuré par l'importation et une production locale, toutes deux étant encore interdites et réprimées. C'est donc ce qui rend ce système quelque peu imparfait.
Pour en revenir au cas italien, l'autoproduction dont il est question visera de 1 à 3 pieds de cannabis par personne. Cela ne règlera pas en l'état la question de l'approvisionnement. Dans le cas de la France, il faut savoir que nous sommes actuellement à plus de 1 000 tonnes, une quantité qui n'est pas évidente à mettre en oeuvre. Le projet italien, s'il était accepté, permettrait de dépénaliser l'usage et l'autoproduction, mais ne réglera pas le problème majeur qui est le suivant : aujourd'hui, les organisations criminelles, en France comme en Italie, tirent une partie importante de leurs profits du cannabis. Cette manne restera en leurs mains tant qu'on ne légalisera pas la production de cannabis.
Compte-tenu du principe de libre-circulation qui régit l'Union européenne, quelles pourraient être les conséquences, vis-à-vis des autres pays de l'Union, dans le cas où l'Italie légaliserait la consommation, la détention, et l'autoproduction du cannabis ?
Il conviendra de voir de quelle manière l'Italie parviendra à cette légalisation compte tenu du fait que le pays est signataire d'une convention européenne qui pourrait être un obstacle à ces mesures de libéralisation. Cela permettra de voir dans quel espace les Italiens souhaitent s'inscrire et de quelle manière ils tordent un peu le cou à cette convention.
Le fait d'acheter et de détenir du cannabis en Italie n'autorisera pas la consommation de ce cannabis en France au regard des textes actuels.
Sur le plan politique, la pression va s'accentuer sur les hyper-prohibitionnistes à la française. Les changements survenus à propos de la légalisation du cannabis aux Etats-Unis ont contribué à la ringardisation des tenants de ce discours de prohibition ; cette tendance n'en serait que renforcée dans le cas où l'Italie légaliserait le cannabis à son tour.
Cette légalisation aurait-elle un impact sur les filières liées au trafic du cannabis dans les pays voisins de l'Italie, et notamment sur les filières en France où la consommation de cannabis est encore passible de poursuites pénales ? Que nous enseigne en la matière le cas des Pays-Bas ?
Si l'on considère le cas néerlandais, on a pu constater une très forte production locale in doors, c'est-à-dire dans des serres, et avec une substitution du cannabis par l'herbe puisque cette dernière est produite directement in doors sans avoir besoin d'être transformée immédiatement. On est là en présence d'une production nationale, mais qui demeure pénalisée au regard de la loi néerlandaise.
Cela montre bien le problème résiduel du système néerlandais : il participe à la stimulation des activités criminelles qui se sont reportées précisément sur la production in doors et non la vente au détail. Ainsi, le projet italien ne devrait pas permettre une baisse significative de ces activités criminelles malgré une légère substitution induite par l'autoproduction, dans la mesure où il ne réglera pas le problème de l'approvisionnement massif de l'Italie en cannabis.
Propos recueillis par Thomas Sila
Pierre Kopp est avocat au barreau de Paris et professeur à l'université Panthéon Sorbonne (Paris-I). Il est l'auteur de L'économie de la drogue (La Découverte, collection Repère, traduit en portugais et en grec, 2006) .
Source: atlantico.fr