Pour lutter contre le narcotourisme, les Pays-Bas ont mis en place un "passe cannabis" qui autorise l'entrée dans les coffee shops. En principe, il est facile à obtenir : il suffit de prouver qu'on habite le pays. Un journaliste néerlandais a tenté l'expérience : pas si simple...
Photo: Des officiers de police vérifient les "passes cannabis" de clients dans un coffee shop de Maastricht, 2 mai 2012.
Le videur est débordé. La plupart des clients du coffee shop The Grass Company rentrent chez eux bredouilles. "Tu as pensé à apporter un extrait du registre de l'état civil ?" me demande aussi le videur. J'y ai pensé. Je suis une des rares personnes à pouvoir entrer.
Depuis le 1er mai 2012, pour se rendre dans un coffee shop du sud des Pays-Bas, il faut être inscrit. Et on ne peut s'inscrire que si l'on habite aux Pays-Bas. Ivo Opstelten, ministre de la Sécurité et de la Justice, entend ainsi chasser les narcotouristes. Voilà pourquoi je me suis mis en quête d'un passe cannabis dans la ville où j'habite, Tilburg. Cela n'a pas été une mince affaire, car les coffee shops ne sont pas tous prêts à se plier au système.
Fermeture temporaire
La première étape a consisté à me procurer un extrait du registre de l'état civil pour prouver que je réside bien aux Pays-Bas. "Vous en avez besoin pour quel usage ?" m'a demandé la personne au guichet de la mairie. Je n'ai pas souhaité le lui dire, car je tiens à ma vie privée. Le fonctionnaire a tapoté de mauvaise grâce sur les touches de son clavier. "Il y a plusieurs types d'extrait", a-t-il poursuivi d'un air renfrogné. "Je dois savoir de quel type d'extrait vous avez besoin." Quand j'ai fini par le lui expliquer, son visage s'est illuminé d'un sourire. "Il y a pire, vous savez", a-t-il dit.
Sur le trottoir devant le coffee shop Toermalijn est rassemblé un groupe d'employés et de clients. La police vient d'effectuer un contrôle. Le coffee shop n'a pas dressé de liste de ses membres et a accueilli des étrangers. Willem Vugs a fermé temporairement son établissement. "Les gens sont des dégonflés. Il faut qu'ils se révoltent."
Il pense rouvrir dans le courant de la semaine. En attendant le procès, face aux protestations, il va tout de même inscrire les clients. Il ne sait pas vraiment comment il va s'y prendre : les lecteurs de passeport qu'il a commandés il y a deux semaines ne sont pas encore arrivés.
Stockage des données
A Tilburg, beaucoup de coffee shops sont restés fermés le 1er mai pour témoigner leur solidarité à Willem Vugs. A défaut d'un autre choix, je me rabats sur The Grass Company pour obtenir mon passe. Jasper Rutten, le gérant de l'établissement, est installé dans le hall d'entrée avec un ordinateur portable. Il inscrit mon nom, ma date de naissance et mon adresse dans une base de données. Il n'accepte pas la photocopie de mon extrait du registre de l'état civil. Il veut l'original, qu'il n'a pas l'intention de me restituer. "Nous allons le conserver dans un coffre", dit-il. Est-ce bien nécessaire ? Rien n'est moins sûr. Mais Jasper Rutten préfère ne pas prendre de risques.
Les informations me concernant sont stockées uniquement dans l'ordinateur portable, me dit-il. Celui-ci n'est pas connecté à un réseau. "Mais deux personnes y ont accès, précise-t-il. Et, si la police vient, nous lui montrerons une sortie papier." On lui a posé aujourd'hui beaucoup de questions relevant de la vie privée. "Nous ne sommes pas d'accord, souligne-t-il, mais nous avons le couteau sous la gorge." Dommage : on ne me donne pas de vrai passe cannabis. Dans presque toutes les municipalités, le passeport sert de carte d'accès.
Bienvenue au club
Les clients se contentent pour la plupart de venir chercher leur joint au guichet, mais il y en a toujours quelques-uns assis dans la salle. Pas aujourd'hui. Pour consommer une boisson ou un encas, il faut aussi être membre. Rick Verwiel, le barman, et Amée, son collègue, s'ennuient. "Aujourd'hui, tout ce que nous avons fait, c'est le ménage de fond en comble", soupire Amée, qui frotte une pile de menus. "D'habitude, je n'arrête pas de servir des cocas", dit Rick.
Environ 70 % des clients viennent aujourd'hui pour rien, selon l'estimation du gérant Jasper Rutten. "Je n'ai encore jamais vu autant de têtes déçues. Il y a aussi des réactions de colère et d'incompréhension : 'Tu plaisantes ! C'est ridicule !' Il a inscrit aujourd'hui une trentaine de membres, et ces derniers jours une trentaine également. Cela ne représente rien par rapport au nombre habituel de visiteurs. Les heures qu'assurent les employés qui travaillent à temps partiel ont déjà été réduites.
Rick me sert un thé et fait un large geste des deux bras dans le coffee shop par ailleurs désert. "Bienvenue au club !"
Par Marten Van de Wier
Source: Courrier International