Sur la drogue, l'Europe ne parle pas le langage de l'Union

Par Invité ,

Stupéfiants. A Dublin, les 25 ont confronté des politiques très opposées.

Sur la drogue, l'Europe ne parle pas le langage de l'UnionProblème. Prenez un consommateur de cannabis. Faites le croiser un policier

néerlandais. Avec moins de cinq grammes en poche, rien ne se passe. Prenez

un second policier. Suédois. Pour avoir porté un joint à sa bouche, le même

consommateur risque jusqu'à trois ans de prison. Prenez maintenant les deux

policiers et tentez de leur faire adopter une politique commune. Voilà le

genre de questions que se sont posées, lundi et mardi à Dublin, 200 experts

venus des 25 pays de l'Union, réunis à huis clos pour jeter les bases de la

stratégie antidrogues européenne des années à venir.

 

Front mouvant. Grossièrement, deux visions s'affrontent. Côté répression, la

Suède. Stockholm mène la guerre à la drogue et aux drogués, et rejette

l'essentiel de la réduction des risques. Côté libéral, les Pays-Bas, leurs

coffee shops et leurs expériences pilotes. Le laxiste et le bon soldat ? La

Suède est certes l'un des pays où l'on fume le moins de cannabis. Mais elle

aurait dépassé les 400 morts par overdose en 2003, quatre fois plus qu'en

1995 et quatre fois plus qu'en France... six fois plus peuplée. Les

Pays-Bas, eux, comptent, en Europe, le moins d'usagers par intraveineuse.

Entre les deux, le front est mouvant. L'Italie, longtemps parmi les plus

libéraux, s'est rapprochée de la Suède à Dublin. Quant à l'axe

franco-allemand, il est « naissant » en la matière, affirme Didier Jayle,

président de la Mildt (1), qui représentait Paris à la réunion. Les deux

pays ont défendu «une approche centrée sur les comportements plutôt que sur

les produits », permettant, par exemple, de s'attaquer aux médicaments

détournés. Sur le terrain, l'Allemagne a pourtant une approche plus libérale

que la France.

 

Autre inconnue de l'équation, les conséquences de l'élargissement. « A l'est

de l'Union, il y a désormais des pays qui ont des problèmes majeurs de sida,

insiste Didier Jayle. Et le virus, plus encore que les drogues, ignore les

frontières. Il y a un effort de solidarité à mener pour développer la

réduction des risques chez nos voisins.» «L'Europe de l'Est et la Communauté

d'Etats indépendants affichent l'un des taux de progression du VIH/sida les

plus rapides du monde », alertaient les Nations unies en février. On

compterait déjà un million de porteurs du virus dans la seule Russie, dont

80 % seraient liés à l'injection de drogues. « Face au redoutable défi de

l'élargissement, met en garde Georges Estievenart, directeur de l'OEDT (2),

l'Union ne dispose encore que d'une compétence diffuse, fragmentée et

faible, qui reste sous-utilisée faute de volonté politique.»

 

Politiquement, l'arrivée des nouveaux membres ne devrait pas bouleverser la

donne. «Pour schématiser, ils ont peut-être une approche plus répressive,

mais leurs législations ont été adoptées sous l'influence occidentale »,

explique Christopher Luckett, du groupe Pompidou (3), de retour de Dublin. «

Les nouveaux membres semblent plus ouverts à des politiques alternatives,

mais ils ne sont pas encore prêts à le dire. Ils se laissent mener»,

regrette Joep Oomen, membre de l'ONG antiprohibitionniste Encod, invitée,

pour la première fois, aux débats.

 

Coulisses. Le calendrier, lui, joue pour le «clan libéral». Les Néerlandais

exerceront la présidence de l'Union lors du Conseil européen de décembre,

chargé d'adopter la nouvelle stratégie. Un dossier qu'ils auront à coeur de

mener à bien et sur lequel ils travaillent déjà: si la réunion de Dublin

était organisée par la présidence irlandaise, en coulisses, «ce sont les

Hollandais qui ont tout préparé», affirme un participant. Enfin, une fois la

stratégie adoptée, la présidence luxembourgeoise devra, début 2005, établir

un plan d'action pour la mettre en musique. «Or, c'est un miracle s'ils ont

deux hauts fonctionnaires spécialistes des drogues. Ils devraient donc

s'appuyer sur les Néerlandais, s'amuse un autre. Le problème, c'est que dès

que La Haye avance quelque chose, certains, comme la France, y voient par

réflexe une dépénalisation déguisée.»

 

Au-delà de ces divergences, Dublin a permis de confirmer une certaine

sensibilité européenne sur la question des drogues, de plus en plus orientée

vers la santé. La réduction des risques plutôt que la guerre à la drogue

telle que la mènent Washington et Moscou. «Au niveau mondial, cette démarche

est relativement isolée. Nous devons maintenant l'exprimer d'une seule voix,

plaide Chistopher Luckett. A Dublin, «l'Europe a montré la voie en

privilégiant une approche pragmatique basée sur la santé publique, la

prévention et l'éducation, estime le Conseil de Senlis, centre international

de réflexion sur les drogues. Toutefois, sur le terrain, les hommes

politiques semblent en complet décalage avec ces bonnes résolutions et n'ont

pas pris conscience de l'échec des politiques purement répressives.»

«L'Union n'a pas pour rôle de mettre en place une politique unique, conclut

Luckett. Mais un cadre dans lequel Etats et pouvoirs locaux placent leurs

législations. On n'imposera jamais la politique hollandaise en Suède, ni

l'inverse.» Voilà nos deux policiers rassurés.

 

Arnaud Aubron (Libération)

 

(1) Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les

toxicomanies.

(2) Office européen des drogues et toxicomanies.

(3) Organe du Conseil de l'Europe chargé des stupéfiants

 

Source : CIRC Paris


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