Alors que quatre candidats à la primaire à gauche souhaitent légaliser le cannabis, « 20 Minutes » a demandé à trois spécialistes leur avis sur la question…
Marseille, le 21 octobre 2012 - Illustration sur la culture du cannabis - P.MAGNIEN / 20 MINUTES
Bientôt des bars à joints à Paris ? Renoncer à la pénalisation du cannabis, vieux serpent de mer, fait son retour sur le devant des débats avec la primaire de la gauche. Benoît Hamon, Sylvia Pinel, Jean-Luc Bennahmias et François de Rugy plaident pour une légalisation de cette drogue. Et jeudi dernier, onze députés ont déposé une proposition de loi pour une légalisation du cannabis.
A différencier de la dépénalisation, mise en place au Portugal et Pays-Bas : la consommation est autorisée, mais la production et la vente restent interdites. Au-delà des arguments sécuritaires ou économiques, 20 Minutes a tenté d’imaginer les effets sur la santé des Français d’une éventuelle légalisation du cannabis.
Sortir du tabou
La France est la championne d’Europe de la consommation de cannabis :environ un tiers des Français a déjà consommé cette drogue pourtant illicite, selon l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies. La preuve, pour de nombreux observateurs, que le tout répressif a échoué. « Aujourd’hui, un collégien peut se procurer du cannabis avec une simplicité absolue », résume Bertrand Dautzenberg, pneumologue favorable à la légalisation.
Depuis la loi Evin de 1991, les ventes de cigarettes ont baissé de 50 %, celles d’alcool de 25 %… Et les ventes de cannabis ont augmenté de 20 % ! »
Pour beaucoup d’observateurs, légaliser permettrait de sortir de l’hypocrisie à l’école, en entreprise, dans les familles. « Aujourd’hui, l’éducation au cannabis, c’est une visite de gendarme au collège pour expliquer que l’herbe c’est comme l’héroïne : vous êtes un délinquant si vous consommez », renchérit Renaud Colson, professeur de droit à l’université de Nantes et co-auteur de Les Drogues face au droit.
Un manque de nuance qui ne permet pas d’aborder les réels risques. Et le message est brouillé : celui qui fume du cannabis risque un an de prison… sur le papier. « Puisque la loi est inappliquée et inapplicable, le message éducatif reste inaudible. »
Une baisse du nombre de consommateurs ?
Selon le rapport de la commission mondiale pour la politique des drogues de juin 2011, une étude sur le Portugal de 2010 « montre une légère hausse du taux global de l’usage de drogues au Portugal au cours des dix années suivant la décriminalisation, mais cette hausse est comparable à celle d’autres pays similaires où la consommation de drogues est restée pénalisée ».
« Les études dans les pays qui ont mené une politique soit de dépénalisation, soit de légalisation du cannabis montrent qu’il n’y a pas de corrélation entre le changement législatif et la consommation, assure Renaud Colson. Si les Français consomment plus de stupéfiants qu’au Portugal, ce n’est pas parce que c’est illégal ! » Une chose est sûre, certains jeunes pourraient se détourner du cannabis s’il devenait légal en raison de la disparition du goût de l’interdit.
Une situation impossible à chiffrer. Difficile également d’évaluer combien de néophytes s’y mettraient. Mais l’expert souligne que le vrai problème de santé publique ne concerne pas les fumeurs occasionnels, mais les accros. « Or, une légalisation ne va pas pousser ceux qui ont une consommation excessive à fumer plus. »
Des produits contrôlés
« Si on légalise sous contrôle de l’Etat, cela garantit une traçabilité et donc un cannabis moins dangereux, plaide Renaud Colson. Alors qu’aujourd’hui personne ne sait ce qu’il consomme. » Selon plusieurs études, l’herbe comme la résine sont de plus en plus chargées en THC et souvent coupées avec des produits parfois dangereux, notamment des microbilles de verre. « Dans tous les pays où le cannabis a été légalisé, les formes les moins toxiques de cette drogue sont arrivées sur le marché », avance Bertrand Dautzenberg.
Financer la prévention et l’accompagnement
Dans son programme de campagne, Benoît Hamon précise : « J’utiliserai les 568 millions d’euros annuels utilisés pour la répression à des fins de prévention et d’information sur les risques associés à cette consommation. » Plus de moyens pour la prévention, c’est l’argument prioritaire pour Renaud Colson : « Aujourd’hui, seule une part minoritaire des fonds pour la lutte contre la toxicomanie vont à la prévention et l’accompagnement. »
Une condition : évaluer
Pour l’addictologue Michel Lejoyeux, « la légalisation doit s’appuyer sur des données scientifiques. Le problème, c’est que beaucoup demandent un débat, mais personne ne veut débloquer de fonds pour évaluer dès aujourd’hui combien de personnes consomment de cannabis ? » Pour cet expert, rien ne sert de s’insiprer de l’exemple portugais car les usages ne sont pas les mêmes qu’en France. Il préconise de « dépénaliser dans une ville pilote et de voir les conséquences ».
Et le médecin de rappeler les dangers de cette drogue : « Sous prétexte que ça serait bon pour l’économie ou la sécurité, attention à ne pas diffuser un discours pro-cannabis. »
Oihana Gabriel
Source: 20minutes.fr
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