Drogues: haro sur les tests salivaires et urinaires
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Invité,
Commercialisés (près de 500 euros les 25 doses) sous le nom de marque Rapid STAT, le test salivaire utilisé par la police et la gendarmerie depuis août 2008 est présenté comme pouvant, en 13 minutes seulement, détecter «de 2 à 6 drogues». Il s’agit des amphétamines et des méthamphétamines, de la cocaïne, du cannabis, des opiacés et des médicaments de la famille des benzodiazépines. Son fabriquant vante les mérites de sa sensibilité précisant que le cannabis peut être détecté à partir de 15 nanogrammes par millilitre de salive.
Manifestation en faveur de la dépénalisation du cannabis à Madrid en 2008. REUTERS/Susana Vera -
Faux négatifs, faux positifs
Le Rapid STAT avait été officiellement retenu après une série d’expérimentations au terme desquelles il avait été perçu comme «le plus fiable et le plus réaliste». L’Académie nationale de pharmacie ne se prononce pas sur le caractère «réaliste» de ce test de dépistage mais bien sur sa fiabilité :
«Les tests salivaires utilisés par les forces de l’ordre depuis août 2008 non seulement ne fournissent pas les performances annoncées et requises, mais, de plus, leurs conditions d’utilisation ne sont pas correctement définies, dénonce-t-elle Plusieurs études récentes ont montré que leur mise en œuvre est à l’origine d’un grand nombre de résultats faussement négatifs et/ou positifs.»
En d’autres termes, avec Rapid STAT, vous pouvez être identifié, à tort, comme ayant consommé des substances illicites ou en avoir consommé sans être identifié. Pour l’Académie, «c’est seulement le contrôle sanguin a posteriori qui permet de justifier le contrôle de police.» Ces conclusions font suite aux travaux conduits par le Pr Patrick Mura chef de service du Laboratoire de Toxicologie et Pharmacocinétique du CHU de Poitiers. «Rapid STAT a été choisi en France en 2008 alors même que ce test n’avait fait l’objet d’aucune validation scientifique, explique-t-il. En avril 2010 un article publié dans le Journal of Analytical Toxicology révèle qu’il n’est pas suffisamment performant pour le cannabis, avec 10,8% de résultats faussement positifs. Un autre article de 2010 dans Forensic Science International indique qu'il conduit à 16% de faux positifs et 19% de faux négatifs, alors qu'un autre test salivaire, le Drug Test 5000, présente «seulement» 4 % de faux positifs et 6% de faux négatifs. Une étude réalisée en France également en 2010 sur les résultats du Rapid STAT confirme ces données.»
Il en va de même, selon le Pr Mura avec le test urinaire NarcoCheck Prédosage. Ce dernier, commercialisé depuis mats 2010 en France, est proposé par le fabriquant avec, sur le même test urinaire, trois seuils différents de positivité, permettant ainsi «aux parents de savoir si leurs enfants fument du cannabis et d'établir un réel suivi de leur consommation, en distinguant concentrations urinaires faibles, significatives ou fortes». Or pour le Pr Mura, «cet argument de vente ne résiste pas à l'analyse scientifique». Le fabriquant évoque quant à lui une «fiabilité à 99%» et des résultats en dix minutes.
Rendre la lutte contre la toxicomanie plus productive
«Les home-tests urinaires, de plus en plus largement et librement diffusés, notamment sur internet, ne permettent pas comme prétendu, d’estimer valablement l’importance de la consommation de cannabis, résume l’Académie nationale de pharmacie. Plus inquiétant encore ils sont susceptibles, faute d’expertise scientifique, d’induire une fausse information, avec les dégâts familiaux, sociaux, professionnels … que cela risque d’engendrer.»
Ces tests ne devraient pas être autorisé à la vente «sans une sérieuse évaluation scientifique préalable effectuée par des professionnels, tant sur leurs performances que sur leurs indications.»
On aurait tort de conclure que les membres de cette prestigieuse institution plaident indirectement ici en faveur de la dépénalisation de la consommation de cannabis. Bien au contraire. Cette Académie considère que seuls des professionnels de santé peuvent garantir l’utilisation pertinente des tests de dépistage urinaire des drogues, en particulier du cannabis. «Il ne faudrait pas, conclut-elle, que l’intensification indispensable de la lutte contre la toxicomanie, et notamment la pandémie cannabique qui en est une des composantes majeures, soit hypothéquée par des pratiques incontrôlées au risque d’être contre-productives.»
Par Jean-Yves Nau
Source : Slate.fr