Nouveau discrédit pour l'Office de l'ONU contre les drogues

Par Invité ,

 

Dans l'univers feutré de la diplomatie onusienne, l'attaque paraît assez violente. Le mois dernier, l'unité indépendante d'évaluation de l'Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) a remis sa copie sur les politiques de développement alternatif, qui consistent à fournir aux cultivateurs de plantes à drogues des revenus légaux, notamment en encourageant le passage à des cultures licites. Un rapport interne très sévère ­ dont Libération s'est procuré une version non définitive ­(télécharger en pdf), qui tombe mal pour une agence de l'ONU déjà controversée.

 

Source : Libération

«Il n'y a pas de preuve que les politiques agricoles de développement alternatif aient permis de réduire les quantités de plantes à drogues cultivées, dit le rapport. Là où la production baisse, d'autres facteurs comme la croissance économique ou des changements politiques peuvent être déclencheurs.» Et de citer des exemples : la production d'opium a explosé en Afghanistan depuis la chute des talibans, malgré les efforts de la communauté internationale qui y a fait la promotion de cultures de substitution comme le safran ou les roses. Alors que les cultures de coca ont baissé en Bolivie et au Pérou, elles ont explosé en Colombie... Les rapporteurs dénoncent les effets pervers de ces politiques qui, parfois mal conçues, poussent les paysans à cultiver des plantes à drogues pour s'inscrire dans les programmes destinés aux ex-producteurs.

 

«Danger». Faut-il, dès lors, tourner la page du développement alternatif ? Miser sur l'éradication militaire des cultures, comme le font les Etats-Unis en Colombie ? Certainement pas, répondent les auteurs : «L'éradication est plus pernicieuse et politiquement moins acceptable que le développement alternatif. [...] Elle met les communautés en danger, sans supprimer les causes de la production.» Plus qu'au développement alternatif c'est à sa gestion par l'ONUDC que s'en prennent les auteurs. A ces projets pilotes isolés, l'office n'aurait pas su substituer une approche plus globale. «Ces projets ne sont pas intégrés aux programmes de développement régionaux ou nationaux, confirme le sociologue Alain Labrousse (1). La destruction d'économies locales reposant sur les cultures illicites n'est pas susceptible d'être immédiatement remplacée par une autre économie dont les populations n'ont aucune expérience.» De plus, note le rapport, «les procédures bureaucratiques de l'office entravent ses activités».

 

Remous. Des faiblesses qui irritent les donateurs : Grande-Bretagne, Japon ou Australie ne financent plus de développement alternatif au sein de l'ONUDC. Qui ne dépend que des donations. «Le financement des projets n'est même pas assuré pour une année fiscale, s'insurgent les rapporteurs. L'office est souvent injustement critiqué pour l'impact limité du développement alternatif, alors que le manque de fonds entrave son travail.» Après en avoir appelé à des «changements rapides dans l'organisation», les auteurs souhaitent la mise en place d'une mission de réflexion. «Aucune question ne saurait être taboue, y compris celle de savoir si l'ONUDC ne devrait pas laisser à d'autres la responsabilité du développement alternatif.» «L'office devrait se concentrer sur ce qu'il sait très bien faire : les rapports sur les drogues, confirme le géographe Pierre-Arnaud Chouvy (2), et laisser à d'autres des politiques de développement pour lesquelles il n'a ni l'expertise ni les moyens.»

 

A Vienne, siège de l'office, où le rapport provoque des remous, on en minimise l'impact : «Je ne suis pas d'accord avec tout, concède un porte-parole, mais nous devons en tirer le meilleur pour améliorer nos pratiques. [...] Il faut un peu de toutes les politiques dans les bonnes proportions. Notre but doit être de devenir le meilleur cuisinier possible et de trouver la bonne recette.» Reste à savoir si elle sera du goût de la Commission des stupéfiants de l'ONU, le parlement des drogues, qui se réunira en mars pour discuter de l'avenir du développement alternatif.

 

(1) Auteur d'Afghanistan, opium de guerre, opium de paix (Mille et Une Nuits).

(2) Animateur de Geopium.org

 


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