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Mon métier : testeur de cannabis
José est testeur de cannabis au Canada, un job en vogue depuis la légalisation de la marijuana, en octobre 2018. Notre journaliste a suivi son eneignement. Enfin, jusqu’à la première taffe. Après, c’était plus compliqué…
Une belle couleur verte. Au nez, des arômes de conifères. Au goût, un fond d’épices. L’effet ? Un soupçon d’euphorie et une envie pressante de s’enfiler des tonnes de chips. José Dominguez, Québécois de 38 ans, note des échantillons de fleurs séchées sur des critères précis. Il est sommelier en cannabis. Chaque mois, l’entreprise canadienne Ahlot lui envoie un lot qui comprend cinq à sept variétés différentes. A lui de les tester, à l’aveugle, et de les évaluer. Un boulot rendu possible depuis que le Canada a légalisé le cannabis à des fins récréatives, en octobre 2018. Depuis, ils sont huit à évaluer les produits d’Ahlot, pour environ 1 000 dollars canadiens par mois (soit 690 euros). Les meilleurs échantillons seront ensuite vendus aux distributeurs autorisés partout dans le pays.
José fume pas moins de 2 500 joints par an. Ce soir, je l’accompagne dans son métier de sommelier. Devant nous, des petits paquets contenant 1 gramme d’herbe chacun. José en ouvre un : « C’est toujours avec ses yeux qu’on goûte en premier. » Nombre de feuilles, allure des trichomes – il s’agit des petites excroissances sur les feuilles et la tige dont la couleur peut aller du blanc laiteux à l’ambré – fleur sèche ou spongieuse… Tout ça permet à l’expert de savoir si la plante a été cultivée avec soin.
Son expertise, José la tient de ses quinze années en tant que cultivateur et de ses trophées. Il a remporté quarante-trois Cannabis Cup, des compétitions pendant lesquelles le meilleur cannabis est désigné par un jury de testeurs.
Je prends une belle tête de beuh entre mes doigts et l’observe de près. Puis j’approche mon nez, ferme les yeux… « Ça sent juste le cannabis », dis-je. J’essaie encore. Pour m’aider, José me montre une sorte de diagramme des goûts, allant de l’ananas au chili, en passant par la terre et la noix. « Trouve le premier mot qui te vient en tête quand tu la sens », me conseille-t-il. Je lance sans grande assurance : « Tropical ? »
Je suis incapable de dire autre chose que : « J’aimais mieux l’autre… »
José effrite la fleur aux ciseaux, puis roule un beau joint. Pur, s’il vous plaît. « Moi, je prends une première taffe à sec, sans allumer. On sent tout de suite un goût », assure l’expert. Je fais de même. Effectivement, un arôme subtil se dépose sur mes papilles. Mon manque d’expérience m’empêche de le définir. On allume. Je tire une première bouffée. José me conseille de taper un peu ma langue sur mon palais et de recracher une partie de la fumée par le nez.
Malgré ses conseils, je ne suis pas capable de détailler le goût de ce que je fume. « C’est la chose la plus difficile à définir, parce que tu as le goût de la combustion qui s’y mêle. » Nous testons ensuite l’autre échantillon. Le goût est totalement différent, mais je suis incapable de dire autre chose que : « J’aimais mieux l’autre… »
Je demande à José ce qui fait une bonne herbe. « C’est un cannabis qui plaît à la majorité, décrit-il. Le goût n’est pas tellement important. Ce qui l’est, c’est qu’il doit être bien cultivé, bien récolté et bien séché. » On tire encore une taffe. Je ne fais plus vraiment l’effort de sentir quoi que ce soit. J’ai un sourire figé. José part dans un monologue dans lequel il m’explique sa vision de la légalisation de la marijuana au Canada. A côté de son travail de sommelier, il conseille Neptune, une entreprise de transformation. Il y travaille sur la meilleure manière de proposer le chanvre sous différentes formes : bonbons, tisanes, crèmes… Il parle et ça me semble absolument interminable, mais intéressant. Je me demande comment je vais faire pour me souvenir de tout ce qu’il me raconte, puisque j’ai arrêté de prendre des notes.
Il semble dans un état totalement normal, contrairement à moi
Je fixe sa montre gravée de feuilles de cannabis et me rends compte à quel point c’est une passion pour lui. « Je vais le terminer, si ça te va », me dit-il en reprenant le joint en main et en enchaînant. Je perds le fil. Puis il se lève, me laisse quelques échantillons de sa récolte personnelle, « rien que des variétés primées », précise-t-il. Il semble dans un état totalement normal, contrairement à moi qui me demande encore comment je vais faire pour me cuisiner quelque chose. Il me lâche en passant le pas de la porte : « Weed makes friends » (le cannabis fait les amis).
Delphine Jung
Article publié dans le magazine NEON en Février-Mars 2020