Manoeuvres à la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.
Source : Libération
«Sur la route le cannabis fait 230 morts par an.» Personne n'aura échappé, depuis le 27 mai, aux spots radio et aux affiches de la campagne concoctée par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) et la sécurité routière. Certes fumette et conduite sont totalement incompatibles. Mais dépenser plus de 800 000 euros pour sauver les jeunes fumeurs de joint, était-ce vraiment la priorité ? Le cannabis fait dix fois moins de morts sur la route que l'alcool. Sur son forum, les internautes sont critiques : «J'ai été choqué. C'est une honte surtout quand l'alcool est responsable de pire.» «Je parie qu'il y a cent fois plus d'accidents dus au Xanax et à des antidépresseurs, mais où sont les chiffres ?» «Un vieux au volant, c'est plus dangereux qu'un "fonsdé" [défoncé]», peut-on lire. Cette campagne, «une première mondiale» selon ses organisateurs, illustre le zèle anticannabis de la Mildt et de son président, Didier Jayle. «C'est lui qui a fait bosser la Mildt à 70 % sur la diabolisation du cannabis. Son discours prépare à l'évolution défendue par Sarkozy : des contraventions contre l'usager "visible", c'est-à-dire le jeune à capuche», dénonce Eric Labbé, chargé des drogues à Act Up. D'où vient cette focalisation ? «Le fils de sa plus proche collaboratrice a eu de graves problèmes avec le shit. Ça a beaucoup joué dans sa perception», explique un de ses collègues. «Et puis c'est plus facile, il n'y a pas de lobby des cannabiculteurs, contrairement aux viticulteurs.»
Alarmistes. La droite réactionnaire veut instruire le procès de la gauche pétard ? Didier Jayle joue les procureurs zélés. Alors que Nicole Maestracci, à la tête de la Mildt sous Jospin, usait de connaissances scientifiques validées, lui n'hésite pas à tordre les résultats des études. Par exemple lors de la publication de l'enquête «Stupéfiants et accidents mortels» (SAM) (Libération du 3 décembre 2005) qui a servi de socle à l'actuelle campagne : «Didier Jayle voulait que l'on mette en avant les chiffres "cannabis" qui paraissaient les plus alarmants. C'est-à-dire la proportion de gens qui conduisaient sous cannabis et non pas la fraction d'accidents mortels attribuables au seul cannabis. Il ne souhaitait pas contrarier les politiques qui ne voulaient pas que la vérité scientifique soit dite», raconte Claude Got, un des parrains de l'étude. A preuve, le communiqué de presse de la Mildt explique que «8,8 % des conducteurs responsables d'accidents mortels ont été retrouvés positifs au cannabis». Un néophyte en déduirait que le cannabis est responsable de 8,8 % des accidents mortels. Ce qui est faux : c'est 2,5 %. Mais il s'agit de donner des gages à Perben et à Sarkozy.
Caricature. «C'est le mythe cannabis que l'on veut attaquer», martèle Didier Jayle. C'était déjà l'ambition de la campagne «Le cannabis, une réalité», en mars 2005. Dans la brochure, le «Dr Jayle» prodiguait lui-même ses conseils sur les dangers du cannabis au volant : un exploit pour un dermatologue ! Qu'importe que les spots caricaturaux (en gros : «Tu fumes un joint, puis deux, tu ne fous plus rien à l'école, tu n'as plus d'amis et tu vomis.») fassent franchement rigoler les jeunes. Et alarment surtout leurs parents. Ces initiatives auront toutefois eu le mérite de faire connaître au grand public un réseau de 240 «consultations cannabis» destinées aux jeunes ayant une consommation problématique.
Didier Jayle répète à l'envi «qu'il ne faut pas diaboliser ou faire peur». Mais il met systématiquement en avant les informations les plus angoissantes : la corrélation éventuelle entre cannabis et schizophrénie, le goudron cancérigène du joint, le taux de THC en croissance «exponentielle». Et des jeunes de plus en plus réguliers dans leur consommation : à 17 ans, un garçon sur six fume du cannabis au moins dix fois par mois. De quoi alimenter tous les fantasmes.
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