La violence du narcotrafic est devenue spectaculaire au Mexique. Tenter, comme l'a fait, avec courage et détermination, le président Felipe Calderon, d'attaquer de front les mafias qui contrôlent le commerce et le transport des drogues, a exacerbé cette violence.
L'arrestation la semaine dernière de l'un des chefs du cartel « La Familia » a provoqué une série d'attaques de postes de police dans deux Etats mexicains. L'année 2009 pourrait être plus meurtrière encore que 2008, marquée par l'assassinat de 6 200 personnes dont la mort est directement liée à des affaires de drogues, soit plus du double qu'en 2007.
Source: Rue89
C'est à la fin de 2006 que Calderon a fait de la lutte contre le narcotrafic sa priorité. Le Mexique, jusqu'alors essentiellement un lieu de transit vers les Etats-Unis, est aujourd'hui de plus en plus consommateur de drogues. Les cartels y gèrent un business que s'évalue en milliards de dollars.
Ils ont depuis longtemps infiltré et corrompu des institutions publiques, des fonctionnaires, des politiques et des membres des forces de sécurité et s'ils vendent toujours une grande partie de leurs stupéfiants aux Etats-Unis, ils y achètent aussi un armement de plus en plus sophistiqué, défiant l'état de droit et minant la démocratie mexicaine.
Les autorités mexicaines ont décompté 233 « zones d'impunité » des mafias
Ainsi, malgré les efforts de autorités, des arrestations et des saisies spectaculaires, la situation ne cesse de se dégrader, non seulement dans les zones frontalières avec les Etats-Unis, depuis longtemps problématiques, mais également dans des zones beaucoup plus éloignées du grand marché nord-américain, comme au sud et à l'ouest du pays.
Dans la ville d'Acapulco, par exemple, haut lieu du tourisme mexicain, une bataille de rues a fait 18 morts en juin entre des membres du cartel « Bertran Leyva » et des policiers.
Les autorités mexicaines identifient chaque année ce qu'elles appellent des « zones d'impunité » au sein desquelles les mafias se comportent comme un Etat dans l'Etat, levant des impôts, imposant leur loi et contrôlant les routes.
Ces zones seraient au nombre de 233 aujourd'hui, contre plus de 2000 l'année dernière. Calderon, tout récemment, affirmait que l'avenir de la démocratie était en jeu dans cette lutte contre la corruption et le crime organisé.
La population lassée de cette guerre ultraviolente contre les narcos
Les dernières élections parlementaires n'ont été favorables au PAN (Parti d'Action Nationale), le parti conservateur du président Calderon, et ont marqué le retour politique du PRI (le Parti Révolutionnaire Institutionnel, qui monopolisa le pouvoir pendant sept décennies).
Ces résultats peuvent être expliqués de nombreuses manières –la transformation autoproclamée du PRI, la faiblesse de la gauche, la crise économique– mais on ne peut totalement exclure de cette analyse la lassitude des Mexicains à vivre dans la peur et l'insécurité provoquées par la politique de Calderon a l'encontre des cartels.
En d'autres termes, de même que « la guerre contre la drogue » menée depuis deux décennies par les Etats-Unis en Amérique latine a démontré son échec, de même la guerre de Calderon contre les mafias n'est toujours pas un succès.
Trois poids lourds de la politique latino-américaine s'engagent
Dès lors que faire ? Penser différemment, suggèrent trois anciens présidents latino-américains.
Ces trois anciens présidents ont eu, en leur temps, à affronter le narcotrafic. Le premier est le brésilien Fernando Henrique Cardoso, le deuxième est le colombien Cesar Gaviria et le troisième Ernesto Zedillo, l'ultime président du PRI au Mexique, une sorte de Gorbatchev mexicain qui a, lui aussi, conduit en douceur son pays vers la fin d'un système de parti unique et a donné en 2000 les clés du pouvoir à Vicente Fox, vainqueur des élections et membre du PAN.
Cardoso, Gaviria et Zedillo ont rédigé un rapport, rendu public en février dernier, sur la drogue et la démocratie en Amérique latine et plaident pour une nouvelle approche : la dépénalisation de l'usage des drogues et la légalisation de la vente de marijuana.
Ils suggèrent de ne plus traiter les consommateurs comme des délinquants mais comme des malades et écornent -prudemment- le tabou de la légalisation de la drogue. Cardoso, plus tard, a fait savoir qu'il est même favorable à la décriminalisation de la cocaïne.
Les politiques au pouvoir auront-ils le courage d'embrayer ?
Il est évident qu'une telle dépénalisation serait un coup dur pour tous les trafiquants du continent américain et une aubaine fiscale pour les Etats, si toutefois ces derniers restaient aussi vertueux que pourraient l'être, disons, un marchand de tabac ou un vendeur d'alcool.
Ils pourraient utiliser cette manne nouvelle dans les domaines de la santé et de l'éducation, tout en économisant sur les dépenses liées aux renforts policiers et à la lutte, souvent vaine, contre la corruption.
La dépénalisation n'est pas une réflexion nouvelle. Ce qui est nouveau, c'est qu'un ancien président du Brésil -qui sait les ravages causés par les narcos dans les favelas -un ancien président de Colombie- qui sait que la drogue alimente la plus vieille guérilla d'Amérique latine dans son propre pays- et un ancien président du Mexique qui sait combien les cartels ont corrompu la police et la politique de sa nation, appellent à un débat, urgent, au sujet de cette dépénalisation.
Celle-ci est toujours jugée politiquement très incorrecte, mais les trois anciens présidents ne sont candidats à aucune élection et peuvent s'autoriser le luxe de dire ce qu'ils pensent vraiment.
Ceux qui sont toujours dans le jeu politique devraient avoir le courage d'accepter d'en parler, car l'enjeu est bien celui de l'avenir de la démocratie et la fin de la liaison fatale qu'entretiennent les mafias avec la prohibition.
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