Les récepteurs au cannabis - Technique
Pr. Hervé Allain, Dr Stéphane Schück, Dr Elizabeth Polard, Olivier Tribut, François Duchêne, Gwendal Galesne
Laboratoire de Pharmacologie Expérimentale et Clinique
2, av du Pr. Léon Bernard 35043 Rennes cedex
mis à jour le 3 septembre 1999
1 Introduction
La plante Cannabis sativa est utilisée depuis plus de 4 000 ans pour traiter divers signes ou
maladies : la migraine, l'épilepsie, le glaucome, la douleur, les crampes musculaires. De cette plante a pu être extrait le Cannabis ou marijuana, utilisé de manière illicite. Le composé
principal du cannabis est le .-9-tétrahydrocannabinol (.9-THC) (Figure 1). Cette substance agit sur des récepteurs spécifiques (les récepteurs cannabinoädes) dont deux ont été clonés et séquencés, les CB1 (principalement représentés dans le système nerveux central) et les CB2 (principalement situés sur le système immunitaire périphérique). La découverte de
récepteurs (endogènes) au cannabis (exogène) a conduit à l'identification de composés
lipidiques endogènes qui se lient sélectivement sur ces récepteurs cannabinoädes, tant dans
le cerveau que dans les tissus périphériques. Ces ligands, agonistes des récepteurs, sont appelés les endocannabinoädes. La réceptologie du cannabis est indispensable à connaître aujourd'hui pour aborder la pharmacologie de la dépendance de l'addiction et du plaisir et
surtout entrouvrir des chemins peu classiques en neuropsychopharmacologie.
2 Les récepteurs cannabinoädes
C'est la synthèse d'un ligand moins lipophile que le .9-THC, très sélectif et de haute affinité
pour les sites au cannabis, le CP 55940, qui a permis la découverte de deux types de récepteurs cannabinoädes, le CB1 et le CB2.
Le CB1 a été cloné et séquencé chez le rat, la souris et l'être humain ; ce récepteur
appartient à la famille des récepteurs couplés à la famille des protéines G, présentant des
boucles transmembranaires (Figure 2). Le CB2, cloné plus tardivement chez l'homme et la souris présente une faible homologie de séquence d'acides aminés avec le CB1 (44%) sauf au niveau des séquences transmembranaires (68 %). Des souris Knocked-Out en CB1 et CB2 ont été obtenues, expériences laissant présager l'existence d'autres types de récepteurs cannabinoädes.
La distribution des CB1 dans le cerveau humain correspond aux structures anatomiques
impliquées dans les effets principaux du cannabis sur la mémoire, les perceptions sensorielles et les contrôles moteurs soit l'hippocampe, le cortex associatif, le cervelet et les ganglions de la base. L'absence de CB1 dans le thalamus, le tronc cérébral et la moëlle épinière expliquerait que l'abus de marijuana ne s'accompagne pas de risques vis à vis des fonctions vitales ou végétatives. Les CB1 existent également en dehors du système nerveux central : testicules, intestin grêle, vessie, vas-déferens, musculature lisse des vaisseaux cérébraux ainsi que sur les terminaisons nerveuses pré-synaptiques du système
orthosympathique.
La distribution des CB2 est essentiellement périphérique en dehors des cellules microgliales
du rat : les cellules de l'immunité (monocytes, lymphocytes B et T...) les amygdales, la rate.
3 Les ligands endogènes
3.1 L'anandamide
Le premier agoniste endogène des récepteurs cannabinoädes est l'anandamide (ananda en
Sanskrit signifie la béatitude) correspondant à l'acide arachidonique lié à l'éthanolamine par
une liaison amide. Ce composé endogène existe en grande quantité dans le cerveau mais également dans le testicule et la rate.
L'anandamide déplace le binding des agonistes cannabinoädes des CB1 et CB2, se comporte en inhibiteur de l'activation de l'adénylcyclase, inhibe les courants calciques des canaux N et stimule la mobilisation (indépendante des récepteurs) de l'acide arachidonique et du calcium. Ce composé endogène, quoique faiblement affine pour les récepteurs, mime les effets du .9-THC : hypothermie, analgésie, hypomotricité et catalepsie. Le R(+)-
Méthanandamide (M186) est plus affine et plus résistant à l'hydrolyse par les aminopeptidases.
3.2 Le 2 arachidonyl-Glycérol (2 AG)
Le 2 AG est un autre endocannabinoäde identifié dans le cerveau. Il est également peu affine
pour les CB1 et les CB2, mais ses concentrations cérébrales sont 200 fois plus importantes
que celles de l'anandamide. Il est relargué lors d'une stimulation par la ionomycine (ionophore calcium) via probablement la stimulation de la phospholipase C.
Toute une série d'autres acides gras éthanolamides possédant une chaine carbonée, sont
des candidats potentiels dans cette famille de ligands endogènes ; ils pourraient déboucher
sur la mise en évidence de nouveaux sites récepteurs (exemple du récepteur périphérique
palmitoyl-éthanolamide).
3.3 Métabolisme
a) La synthèse de l'anandamide se fait à partir d'un précurseur phospholipidique hydrolysée
par la phospholipase D. En présence d'un excès de calcium, l'acyl transférase conduit au Narachidonyl
phosphatidyl éthanolamide.
Le catabolisme enzymatique (aminohydrolase) et une recapture contribuent à la dégradation rapide des ligands endogènes des récepteurs aux cannabis. L'enzyme de dégradation (qui admet également comme substrat un facteur inducteur de sommeil, l'oléamide) est appelée la "Fatty Acid Amide Hydrolase" ou FAAH. Des inhibiteurs de cette
FAAH ont été développés. L'enzyme se trouve dans le cytoplasme des neurones ce qui signifie que le catabolisme enzymatique implique au préalable, une diffusion ou une recapture. La recapture de l'anandamide est sélective, saturable et dépendant de mécanismes sodiques et énergétiques. Un inhibiteur du transporteur (non clairement
identifié) de l'anandamide a été développé, l'AM 404.
4 La pharmacologie des récepteurs au cannabis
4.1 Les agonistes
Plusieurs agonistes non spécifiques ont été synthétisés, notamment des analogues de la
structure tétrahydropyrane du .9-THC : HU 210, Nabilone ; d'autres agonistes sont éloignés
de la structure des cannabinoädes : CP 55 940, WIN 55 212-2, Levonantradol. Des agonistes
des CB2 sont en cours de développement : JWH 015, 1-déoxy HU 210 ou le dérivé indole de
l'indomethacine, le morpholinylamide.
4.2 Les antagonistes
Plusieurs antagonistes sélectifs des CB1 ont été synthétisés : SR 141716A, AM 630, LY 320
135. Un puissant antagoniste sélectif des CB2, existe : le SR 144528.
4.3 La notion d'agoniste inverse
L' AM 630 et le SR 1417 6A spécifique des CB1 ont des propriétés agonistes inverses ; ceci
laisse suggérer que l'activité spontanée de ce récepteur est très élevée, la liaison avec les
ligands atténuant cette activité "physiologique".
5 Les mécanismes effecteurs
Les CB1 et CB2 diffèrent notablement dans leur couplage aux mécanismes de transduction, même si tous deux inhibent l'adényl-cyclase via les protéines G (Famille Gi/Go) sensibles à la toxine pertussis.
L'activation des CB1 bloque les canaux calciques de type N, P et Q et active les canaux potassiques. C'est le blocage des canaux calciques de type N qui rend compte de l'effet
inhibiteur du cannabis sur des systèmes identifiés de neurotransmetteurs : inhibition du
relargage de l'acétylcholine dans l'hippocampe, de la noradrénaline dans l'hippocampe, cortex, cervelet et au niveau des terminaisons nerveuses périphériques, inhibition de la transmission glutamatergique dans l'hippocampe.
L'activation par les CB1 et les CB2 des protéines Gi/Go explique l'inhibition de l'accumulation d'AMP cyclique dans les cellules cibles. Cette inhibition de la messagerie AMP cyclique, en cascade, rend compte de la diminution de la synthèse d'oxyde nitrique (NO) par les substances cannabinoädes (répression du gène NO synthase) ainsi que l'atténuation des fonctions immunitaires (CB2). D'autres phénomènes intracellulaires sont liés à une modulation directe des sous-unités beta et delta des protéines G. C'est le cas, par exemple, de l'activation par les agonistes cannabinoädes des mitogen activated protein (MAP) Kinases. Cette activation des MAPKinases conduit, en cascade, à l'activation de facteurs de transcription (Facteur Krox 24) et de l'activité tant des facteurs Fos (C-fos ; .-Fos que du binding de l'AP1 à l'ADN (site du gène des GluR2). Cette cascade de réactions est un exemple supplémentaire de l'impact d'une substance exogène (ici le cannabis) sur l'expression génique et donc une explication des modifications retardées et à long-terme survenant dans le cerveau après administration d'une substance exogène (plasticité cérébrale, dépendance, transformation d'une réponse aiguë en une adaptation structurale à long-terme, mémoire...) La dépendance induite par le cannabis et la marijuana s'explique tant par l'inhibition de l'adénylcyclase que par l'induction du .-FosB.
Références :
1. HIROI et al. PNAS 1997 ; 94 : 10 397-10402
2. CHEN et al. Mol pharmacol 1998 ; 54 : 495-503.
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