Sur les drogues, les Français sont en avance sur les pouvoirs publics et la plupart des politiques. Une majorité d'entre eux considèrent que l'alcool est une drogue, que la prise en charge sanitaire des usagers est préférable à leur criminalisation, que l'interdit n'est guère efficace, et que la délivrance sous contrôle médical de l'héroäne ne devrait plus être un tabou. Dévoilé aujourd'hui, le rapport de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) sur l'état des drogues et des dépendances en 2002, illustre ce fossé entre les pratiques et leur cadre légal.
«Bible»
Le cas du cannabis est le plus édifiant. D'un côté, l'Observatoire constate sa banalisation: la moitié des adolescents l'ont expérimenté et la population considère sa dangerosité inférieure à celle de l'alcool (lire infographie ci-dessous). Mais il note d'autre part une véritable «explosion» des interpellations de fumeurs de joints dans le cadre de la loi de 1970, qui en proscrit toujours le simple usage. A trois mois des élections présidentielles, la quatrième édition de cette «bible» produite par un organisme oeuvrant sous le seul contrôle de son collège scientifique, devrait alimenter le débat. Sauf que pour l'instant les tabous ont la vie dure dans la classe politique.
«La surprise, c'est le positionnement des Français, souligne le directeur de l'OFDT, Jean-Michel Costes. «Par exemple, dans cette enquête (1), ils mettent déjà sur le même plan les drogues licites et illicites, au moment où les pouvoirs publics adoptent cette nouvelle orientation. Quand on leur demande de classer les produits selon leur dangerosité, ils citent d'abord l'héroäne, puis la cocäne, l'ecstasy, l'alcool, le cannabis et le tabac.»
Drogues légales
Un tiers des Français de 15 à 75 ans estiment par ailleurs qu'une consommation régulière de cannabis est sans danger. Et la même proportion se dit favorable à une dépénalisation via une «réglementation» de son usage: interdiction de la vente aux mineurs, de la consommation au volant ou dans les lieux publics. Seuls 17 % se prononcent pour sa mise en vente libre. «Ils sont encore deux tiers à vouloir le maintien du statut illicite du cannabis. Mais d'un point de vue moral. Car ils sont une majorité à reconnaître que l'interdit n'est pas efficace en terme de prévention chez les jeunes», précise Jean-Michel Costes.
Plus les Français sont jeunes ou en situation de proximité avec ces produits, plus ils penchent pour une réforme. En février 2001 (2), un sondage exclusif Libération-CSA confirmait cette tendance: ils étaient 52 % chez les 18-24 ans, 54 % chez les 25-34 ans, contre 34 % sur l'ensemble de la population, à se déclarer «plutôt favorables» à la dépénalisation. Si les Français évoluent sur les drogues douces, ils restent de grands consommateurs de drogues légales. Ils sont les premiers buveurs mondiaux d'alcool, même si les plus jeunes sont moins ivres que leurs homologues d'Europe du Nord. Ils fument toujours autant de tabac. Et dévorent les médicaments psychotropes arrivés dans les pharmacies dans les années 90.
«Entonnoir»
Pourtant, hormis de rares expériences novatrices, la réponse de la police et de la justice reste largement axée sur la répression. Du petit consommateur et non du gros trafiquant. En 1999, 400 usagers ont été incarcérés. L'Observatoire chiffre ainsi à 94 300 le nombre d'interpellations pour usage ou usage-revente de stupéfiants en 2000. Et «neuf fois sur dix», il s'agit de fumeurs de joints. «Les interpellations pour usage de cannabis ont quadruplé depuis 1990 [...] et constituent désormais un des grands contentieux de masse, quasiment au même niveau que celles pour coups et blessures volontaires», note l'Observatoire, qui s'interroge sur les suites données par la justice, mal mesurées, et sur leur utilité sociale. Car, dans une grande majorité des cas, ces procédures se soldent par une absence de poursuites. L'OFDT parle même d'«effet d'entonnoir»: ces dossiers encombrent les commissariats et les palais de justice pour pas grand-chose.
(1) Enquête téléphonique en population générale réalisée en avril 1999 auprès de 2 000 personnes âgées de 15 à 75 ans.
(2) Réalisé du 20 au 22 février sur un échantillon représentatif de 1 000 personnes âgées de 18 ans et plus.
issu du quotidien le Libération en 2001
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