Soixante-quinze ans après la fin de la prohibition de l'alcool aux Etats-Unis, une organisation de policiers et de juges américains plaide pour que cesse la "lutte antidrogue", une politique de prohibition qui a échoué selon eux.
Source : Le monde
"La lutte contre les drogues (War on drugs) est un échec, une tragédie nationale qui demande une réforme immédiate", a déclaré mardi lors d'une conférence de presse Richard Van Wickler, un des responsables du système carcéral de l'Etat du New Hampshire (nord-est) qui participe au groupe "We can do it again", rassemblant fonctionnaires de police, juges et militants qui veulent changer la politique de répression.
"De la même manière que la prohibition de l'alcool a permis à des gangsters comme Al Capone de ramasser de riches profits, l'illégalité du marché aujourd'hui aide à financer les efforts de cartels internationaux et de réseaux de terroristes comme Al-Qaïda ou les talibans", affirme un rapport publié mardi par l'organisation.
Le rapport note qu'avant le lancement en 1970 de la politique de "lutte antidrogue", 4 millions d'Américains reconnaissaient avoir usé d'une drogue illégale au cours de leur vie (2% de la population) alors que ce chiffre est monté à 114 millions d'Américains en 2007 (46% de la population).
"Les Etats-Unis ont les plus forts taux d'usage de marijuana et de cocaïne tout en ayant la répression la plus forte", ajoute le rapport qui souligne que 67% des chefs de la police et 76% du public estiment, dans les sondages récents, que la "guerre contre les drogues" est un échec.
Les experts du rapport ajoutent que, malgré la lutte antidrogue, les substances sont devenues beaucoup plus puissantes et concentrées: "la pureté moyenne de la cocaïne au détail est passée d'un taux de 40% en 1981 à 70% de pureté en 2003 pour un prix qui a baissé, à la vente en gros, de 84% sur la même période". La pureté de l'héroïne a aussi triplé tandis que son coût a baissé de 83% également sur les trois décennies.
Selon les estimations d'un professeur d'économie de l'université d'Harvard, Jeffrey Miron, la légalisation des drogues économiserait 44 milliards de dollars par an au gouvernement en dépenses de police et de justice.
Le commerce légalisé des drogues pourrait rapporter aussi 32,7 milliards de dollars de taxes par an, si elles étaient taxées comme l'alcool ou le tabac.
Le groupe "We can do it again", qui milite pour un abandon de la politique américaine antidrogue de la même manière qu'en 1933 la prohibition a été abolie, comprend les associations Law Enforcement Against Prohibition (LEAP) et Criminal Justice Policy Foundation (CJPF).
"La prohibition est une occasion en or pour le crime organisé", a poursuivi M. Van Wickler: "Imaginez une affaire brassant des milliards, sans régulation, sans surveillance, sans conseil d'administration, sans impôts, constituée que de profits et qui ne rend aucun compte sur le mal qu'elle fait".
Durant la prohibition de l'alcool entre 1920 et 1930, uniquement à New York, de quelque 15.000 "saloons" avec pignon sur rue on était passé à quelque 32.000 tripots clandestins.