Stéphane Gatignon, maire de Sevran, qui propose de légaliser le cannabis pour lutter contre le trafic de drogue, a répondu aux questions des internautes. Et défendu sa position.
Marijeanne: Votre projet, est-ce une légalisation totale ou bien une dépénalisation?
Marie-Jeanne, faut lire le livre La Fin des dealers! On parle ici de légalisation et non de dépénalisation. C'est évidemment une étape sur le chemin de la sortie de la prohibition, mais ça va bien au-delà: il faut penser en termes de politique de santé, de sécurité, d'économie,et même de démocratie!
Perth182: Ayant fait un mémoire sur les drogues, je me réjouis de voir un homme politique soutenir l'idée de la légalisation du cannabis. Si un jour nous légalisons ce produit, comment feriez-vous concrètement (système de coffee shops, usage thérapeutique...) ?
Je crois que l'exemple hollandais n'est pas le bon. Ce qui serait l'idéal, c'est de faire pour le cannabis comme on le fait pour l'alcool et le tabac: une vente contrôlée.
Toietmoi: Pourquoi ne proposez-vous pas seulement une dépénalisation?
Tout simplement parce que la dépénalisation ne règlera qu'une partie de la question. On vit une crise telle qu'il faut penser la société dans sa globalité, apporter du sens. Nos réponses doivent être politiques, et pas seulement techniques.
Mriko Arica: Sauf votre respect, il semblerait que votre connaissance du "cannabis" soit extrêmement limitée pour pouvoir lancer un tel débat dans les meilleures conditions possibles. Seriez-vous prêt à suivre pendant une journée une formation qui vous apporterait toutes les connaissances dont vous avez besoin pour pouvoir naviguer en toute tranquillité à travers l'océan d'ignorance qu'est le sujet du cannabis en France? Ou pensez-vous que vous avez en main toutes les informations dont vous avez besoin?
Mon objectif n'est pas de connaître en détail le cannabis, mais de régler la question des trafics de drogue. L'enjeu pour des villes comme Sevran, et pour les politiques en général, c'est de régler les problèmes. En l'occurrence, la situation est devenue insupportable pour les habitants. Il y a urgence.
Papareveur: Vous êtes maire de Sevran. Comment se fait-il que votre ville soit devenue une plaque tournante de la drogue?
Sevran connaît le trafic de drogues depuis plus de 30ans. Entre-temps, la présence policière a diminué depuis 2002, et le trafic a pris de l'ampleur au niveau national, prenant appui sur quelques territoires déjà concernés, comme Sevran pour l'Est, ou Gennevilliers pour l'Ouest.
Yassine93270: Faut-il détruire les HLM où la vente de drogue n'en finit jamais?
Détruire ne suffira pas. Il faut sortir d'un système hypocrite, la prohibition, où tout le monde fume, mais tout le monde fait semblant de fermer les yeux. On doit poser le problème, enfin, pour régler les désastres collatéraux au trafic, notamment les violences à Sevran et ailleurs.
Salim93 : J'habite Sevran et je pense qu'il faut d'abord nous aider à trouver du travail, non?
Vous avez raison. Ce livre est une contribution à un débat qui me semble nécessaire pour Sevran, les Sevranais, et le pays entier. Aujourd'hui un débat est indispensable pour mener la bataille de l'emploi. Notre économie doit connaître sa révolution verte, notamment avec les nouveaux emplois liés aux nouvelles énergies (photovoltaïque, isolation thermique des bâtiments...). Ces emplois industriels doivent être implantés en France.
Le cannabis rapporte à la Californie environ 1,3 milliard de dollars par an. (REUTERS/Wolfgang Rattay)
Les répercussions économiques
Chrisys : Aujourd'hui, nombre de jeunes font du trafic de cannabis pour gagner de l'argent facilement. Avez-vous fait une pré-analyse du comportement de ces personnes après cette légalisation?
Rien ne sera simple. Mais si nous ne faisons rien, un système mafieux qui s'installe aujourd'hui, contrôlera des zones entières de notre pays, avant 10 ans.
Mriko Arica: Où l'Etat se procurerait-il les variétés utilisées dans le cadre d'une production par monopole d'Etat?
Je ne parle pas de monopole d'Etat. Il y a les cannabiculteurs, les accords internationaux avec les pays comme le Maroc, et la production nationale par les agriculteurs. Tout cela doit permettre de régler la question des variétés.
JeanMichel: En envisageant une légalisation, et donc une législation, comment considéreriez-vous le "statut" des cannabiculteurs auto-producteurs?
La réponse est dans votre question: ils doivent être cannibiculteurs auto-producteurs.
Jilou: L'auto-culture serait donc légale?
Oui, elle serait légale.
Jilou: Et qui serait susceptible de tenir les points de revente?
Des vendeurs agréés, comme pour le tabac et l'alcool avec la licence 4.
Totodu29: Faudra-t-il une licence payante pour commercialiser le cannabis made in France?
Pourquoi pas? C'est clair qu'il faut que tout soit réglementé, les enjeux sont trop importants pour laisser place au hasard.
James: Ne serait-il pas plus simple de commencer à cultiver chez soi? C'est ce que je fais, et je n'ai pas à aller dans des endroits pourris pour trouver "de la bonne".
La cannabis-culture est une forme de réponse, mais elle ne suffit pas au vu de la consommation de masse. Il faudra:
1/ la cannabis-culture,
2/ un accord avec les Etats où sont produits la résine,
3/ une production en circuit court avec les agriculteurs, sur le territoire national.
LeLibrinstinct: Stéphane, votre idée est intéressante, mais je vois un hic. L'Etat n'est pas en mesure de prendre en charge une telle exploitation, et confiera donc cela à des 'privés', dont à terme le but sera vendre un maximum. En supposant une légalisation, qui serait aussi accompagnée d'une libération des moeurs/cannabis, comment voyez-vous ce marché nouveau dans 15 ans? Et ses conséquences?
1/ Sur le production, il faut bosser avec les agriculteurs. Certains, et ils sont déjà nombreux, en cultivent déjà pour arrondir leurs fins de mois. N'oublions pas que 30% d'entre eux sont au RSA aujourd'hui.
2/ Il faut une structure d'Etat comme la SEITA pour le tabac, qui lèvera des taxes sur l'achat de cannabis, tout comme il le fait pour le tabac.
3/ Si on va au tabac pour acheter, on peut imaginer que le buraliste vende des cigarettes au cannabis, tout simplement.
Ricki: Des grosses recettes, des emplois par milliers et donc une relance de l'économie?
Ne soyons pas naïfs, cela ne suffira pas! Mais cela peut faire partie d'un grand plan de relance de l'économie, oui. Encore une fois, je parle de production par les agriculteurs: on sait que leur situation aujourd'hui est plus que délicate, avec 30% d'entre eux au RSA.
Noux: Peut-on faire une estimation de ce que le cannabis rapporterait à l'Etat?
L'estimation pour la Californie est de 1,3 milliard de dollars par an. La France est le plus consommateur en Europe, on peut s'attendre à de grosses recettes!
Danmath: Ne craigniez vous pas que les personnes et les familles qui vivaient de ce trafic et qui finançaient indirectement l'économie parallèle ne se tournent vers des activités illégales plus violentes?
Beaucoup de ceux qui dealent sont précaires. Contrairement à ce qu'on pense! On ne parle pas de hordes de Tony Montana, mais bien de smicards du shit pour la plupart.
Il est évident que ce débat est une part du débat global pour le projet de société que l'on doit mettre au point pour demain. Il faut parler d'emploi, de politique économique, industrielle, sociale, etc...
Les conséquences sur les addictions
Bet: Votre souci est-il d'empêcher le trafic, quitte à multiplier les addictions?
Les addictions existent déjà. Il ne faut pas cacher la réalité! Nous sommes le plus gros consommateur de psychotropes au monde...
La priorité en tant que maire de Sevran, c'est de régler le problème de trafic. Je crois que cette question mérite un débat national, parce que le phénomène est justement national.
Phiphi: Dans la bataille contre la drogue, légaliser le cannabis ne revient-il pas à rendre les armes et hisser le pavillon blanc, tout en essayant de sauver la face en faisant passer ça pour une ruse?
Surtout pas. En sortant de la prohibition, qui est un échec patent dont souffre chaque jour les habitants des villes concernées par le trafic, on pourra enfin mener une véritable politique de prévention et dire ce qui est un fait incontestable: les drogues sont dangereuses, elles empêchent de bosser, d'étudier...
Et je rappelle que le livre est co-écrit avec un policier, qui vient du terrain et a aussi écrit des rapports pour le ministère de l'Intérieur: le constat d'échec, il le tient à partir de sa propre expérience de policier de terrain.
La récupération politique
Vinz: Comment comptez-vous raisonner les gens qui sont plus pour la répression que pour la légalisation?
Le problème, c'est qu'on est dans l'impasse en termes de répression. La police fait son travail, mais aujourd'hui elle vide la mer avec une petite cuillère. On a dépensé des milliards d'euros, pour quel résultat? Aujourd'hui, le trafic continue de prospérer.
Etudiant nantais: Ce sujet a un caractère urgent, comment comptez-vous porter rapidement le débat au niveau national?
Avec ce livre et la mobilisation importante qu'il a déclenchée, le débat est porté au niveau national. Chaque semaine, nous comptons de nouveaux morts liés au trafic. Nous ne cesserons notre combat que lorsque nous aurons gagné cette bataille.
Wood: Au sujet de la loi, sera-t-elle votée par la population française?
Il faut d'abord que le débat soit mené dans la société française, afin de pousser les politiques à prendre position et faire évoluer la loi. Je pense que nous y contribuons aujourd'hui
Clo: Pensez-vous que la légalisation ou la dépénalisation peut être un argument électoral pour l'élection présidentielle?
Il faut que cette question soit présente dans le débat public, et très largement au-delà de la présidentielle.
Et dans les moeurs...
Benjamin49: Pourquoi le cannabis n'est pas légal alors que l'alcool, qui est plus dangereux pour la santé, est légalisé?
L'alcool fait des ravages: 1,8 millions de victimes par an, comme pour le tabac qui en fait 5 millions par an. Je rappelle que les drogues illicites font 300 000 morts par an. Chaque mort est un mort de trop. Ca pose évidemment le problème de la prohibition.
Jmlc94: Croyez-vous que ce soit raisonnable? Le cannabis et la conduite automobile ne font pas bon ménage!
Entièrement d'accord, vous avez absolument raison. C'est pourquoi il faut sortir de la prohibition, dépénaliser, pour engager de grandes campagnes de prévention comme nous savons bien le faire sur l'alcool pour informer des dangers réels qu'il y a à la consommation du cannabis.
Si nous avons réussi à faire baisser le nombre de morts dus à l'alcool, sur les routes, nous y arriverons, n'en doutons pas, pour le cannabis.
Ali: Que pensez-vous de ce que dit Alain Ehrenberg au sujet des drogues?
On est dans une société malade, il a raison. Nous sommes les premiers consommateurs au monde de psychotropes, et nos héros TV sont Dr House et Nurse Jackie, c'est dire! Ce sont des héros qui nous ressemblent...
Source : L'express