Sur la Côte d’Azur, la consommation de cannabis est quasiment «déjudiciarisée» Une dépénalisation officieuse mais qui n’augure d’aucune légalisation, pure et simple!
La sortie de Cécile Duflot sur la « dépénalisation du cannabis » ne pouvait pas tomber au pire moment. En pleine campagne électorale des législatives, le credo de la nouvelle ministre, recadrée illico par Jean-Marc Ayrault, a du coup fait flop.
La vraie question reste donc posée : la France, championne d'Europe de consommation de « H », peut-elle se passer d'un vrai débat national sur le sujet. Débat cent fois reporté qu'en son temps, Charles Pasqua avait promis de lancer et que Cécile Duflot a été fermement priée de remballer.
Comme un principe de réalité
Si personne ne l'avouera, la dépénalisation sourde de la « fumette » est, en effet, presque une réalité. Parfois même affichée. Eric Bedos, le nouveau procureur de la République de Nice ne tient pas à évoquer le sujet. Avant son départ pour Bourges, son prédécesseur, Eric de Montgolfier, en avait fait, lui, un sujet de rupture avec le « judiciairement correct ». « La justice doit avoir les moyens d'être implacable avec ceux qui contournent la prohibition des drogues. Mais sanctionner un fumeur de H, c'est aussi vain que condamner quelqu'un qui boit de l'alcool dès lors que ce comportement n'a aucune conséquence sur la sécurité des biens et des personnes. L'usage de ce produit stupéfiant relève d'un traitement social, sanitaire, pas judiciaire.»
La loi n'a pourtant pas changé : un simple pétard peut en théorie coûter un an d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende. Tout en prônant la déjudiciarisation, Eric De Montgolfier tient d'ailleurs à ce que la loi demeure. Un peu comme un signe. « C'est ce que j'appelle la théorie de l'escalier. On peut toujours sauter la première marche, mais on ne peut pas s'en passer… sinon l'escalier s'effondre. Dépénaliser, c'est ouvrir la voie à la légalisation ; ce qui, là, n'est pas envisageable une seconde.»
En mode « off », nombre de policiers ou de gendarmes également confessent avoir abandonné la chasse aux fumeurs de H depuis des lustres… Sauf lorsqu'ils sont au volant. Là, en revanche, ça tombe comme à Gravelotte. Inflexible sur le sujet, le colonel Marchand, commandant le groupement de gendarmerie, n'est pas enclin à la mansuétude en pareil cas : « La semaine dernière, lors d'un contrôle routier sur la 6202 à la Mescla, 30 des 200 automobilistes que nous avons arrêtés étaient sous l'emprise du cannabis, et les sanctions sont tombées. »
La prison ferme part en fumée
En clair, les temps ont déjà changé. Le combat pour la dépénalisation serait surtout symbolique : « Jusqu'au début des années 80, on pouvait finir derrière les barreaux pour des faits de simple consommation de H,confirme le juge Philippe Dorcet, en charge au TGI de Marseille de nombre de dossiers d'instruction concernant de gros trafic de stupéfiants. Aujourd'hui, dans les grandes villes, la déjudiciarisation de l'usage du H est une réalité. Pour une raison simple, c'est que s'il fallait déférer tous les fumeurs de H, les tribunaux ne feraient plus que cela.»
Ainsi, la jeune mère de famille qui cultivait son herbe à Grasse pour financer les études de son fils au lycée international de Valbonne aurait sans doute filé droit en prison : elle n'a écopé, il y a quelques jours, que d'un an de prison avec sursis et 5 000 euros d'amende.
Manifestement, la réflexion sur la dépénalisation s'arrêtera là pour l'instant. Presque fatal.
Dépénaliser un produit prohibé ouvrirait fatalement un autre débat bien plus complexe, celui du « legalize it ».
Légalisation impensable - du moins en France, puisque d'autres pays y sont passés - qui ferait de l'État le premier et unique dealer de France.
Source: Nice Matin