Le cannabis s’est-il banalisé en France ?
Le cannabis, ou l’émergence d’un produit devenu normal
Depuis quelques années, le débat sur la consommation et la légalisation du cannabis ne cesse de revenir dans la presse à chaque fois qu’un Etat le légalise ou que les statistiques policières font leur apparition. Et pour cause, le sujet est assez sensible, avec d’un côté les partisans de la légalisation ou de la dépénalisation et de l’autre les tenants d’une politique plus répressive contre les stupéfiants.
Cette situation est inédite, car il est rare qu’un produit classé comme illégal suscite autant d’émotion et de passion dans le débat, appuyé à grand coup de chiffres, de comparaisons internationales et parfois de réflexions sur une potentielle légalisation.
Et malgré la tentative des gouvernements successifs à lutter contre le cannabis, le constat est plutôt sévère : la consommation ne fléchit pas, le trafic s’adapte et le produit lui-même devient made in France.
Une hausse de la consommation globale
Crédit photo: Wikimedia – JonRichfield
Depuis les années 2000, les politiques de répression contre le cannabis ont permis de réduire partiellement sa consommation. Avec un record atteint en 2002, où plus de la moitié des jeunes de 17 ans avaient notamment testé au moins une fois dans leur vie le cannabis pour tomber en 2011 à 41,5%.
Mais depuis 2011, les chiffres repartent à la hausse, passant à 47,8% de jeunes de 17 ans ayant expérimenté le cannabis d’après l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Un signe que la lutte semble avoir atteint ses limites dans cette tranche d’âge.
Si la lutte contre le cannabis fut plutôt positive pour cette seule catégorie, la consommation globale depuis les années 1990 n’a cependant jamais baissée, bien au contraire. En 1992, seuls 4% d’usagers sont recensés parmi les 18-64 ans. En l’espace de 20 ans, ce chiffre a presque triplé, passant à 11% d’usagers.
Au-delà des seuls usagers, la consommation occasionnelle ou l’expérimentation chez les 15-64 ans grimpe à 32,1%, plaçant la France au deuxième rang des pays consommateurs de cannabis en Europe, derrière les Danois. Ce qui représente au total environs 17 millions de personnes concernées en France, dont 4,6 millions en auraient consommé dans l’année et 1,2 millions seraient des consommateurs réguliers.
L’implantation d’un cannabis made in France
La consommation ne cessant de s’accroître au fil des années, le marché du cannabis s’adapte en conséquence. Et le constat est pour le moins surprenant : les usagers recherchent la « qualité » et la production devient locale.
Concernant la « qualité », le constat émane de l’Institut national de la police scientifique, qui observe une hausse notable du taux de THC (tétrahydrocannabinol). Pour la résine, le taux moyen serait passé de 7 à 17%.
Pour l’herbe de 8 à 12,5%. Une tendance qui reflète la recherche de produits considérés comme de meilleure qualité.
L’autre tendance majeure est l’implantation de la production en France. Et deux signes particuliers illustrent cette situation. D’une part, d’après l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), la saisie en France de plants de cannabis ne cesse d’atteindre de nouveaux records. En 20 ans, les saisies sont passées de 55 000 pieds en 2010 à 141 000 en 2013.
D’autre part, cette implantation réside dans le développement d’un genre particulier de commerce légal, en marge de la production de cannabis : les growshops. Ces magasins, spécialisés dans « l’horticulture d’intérieur », vendent du matériel expressément destiné à la production de cannabis : lampes, systèmes de ventilation, bacs de culture, engrais, etc. Tout y est ! En France, le site Growmaps.com ne recense pas moins de 400 établissements en 2014.
Un marché bien implanté et qui est arrivé à maturité
Crédit photo: Flickr – Rafael Castillo
Si une leçon doit être tirée de ces différents chiffres, c’est bien celle-ci : le marché du cannabis en France s’est très fortement implanté en l’espace de 20 ans et a fini par devenir pérenne.
Outre le nombre de consommateurs occasionnels ou réguliers, le signe d’une consommation de cannabis contenant davantage de THC, que ce soit de l’herbe ou de la résine, indique que le marché est devenu mature selon l’OFDT. Il y en a désormais pour tous les goûts avec une offre qui s’est diversifiée, allant de ceux recherchant des produits plus puissants aux personnes cherchant seulement à expérimenter en douceur.
Cette maturité se conjugue à des pratiques nouvelles, telles que les cannabiculteurs dits sociaux, dont la production sert essentiellement soit à fournir les amis et les proches, soit à mutualiser les dépenses et partager sa production au sein d’un discret cannabis social-club. Preuve d’un véritable engouement pour la culture et la consommation du cannabis chez un nombre croissant d’individus, selon David Weinberger (Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice).
Enfin, cette implantation locale s’avère en opposition avec d’anciennes habitudes. Par le passé, la seule solution était de solliciter un dealer qui appartenait à un réseau qui importe le cannabis de pays de l’étranger.
Mais avec l’apparition de productions locales, les habitudes changent : la volonté de s’adresser à des personnes de confiance ou le refus de financer des réseaux criminels devient un des critères majeurs des consommateurs, ce qui provoque une perte des parts de marché autrefois monopolisés par les trafiquants.
Le cannabis s’étant implanté durablement dans notre société, la question sur une éventuelle légalisation en conséquence ne manque donc pas de pertinence : selon un sondage réalisé en 2011, 71 % des Français s’y disaient favorables, sous certaines conditions.
Source: toolito.com