Il est environ 22 heures à Hollywood et la limousine noire vient enfin de s'engager dans le parking du supermarché Ralphs. Parvenue à ma hauteur, la voiture s'arrête. L'une des vitres teintées s'ouvre lentement.
Source: Rue89
Je vois apparaître le visage de Bong Rip, 30 ans, général de la Stoner Army, leader du groupe Marijuana the Band et animateur de la première émission consacrée aux fumeurs de « weed » diffusée quotidiennement en direct et en ligne sur BongTVLive.com de 16h30 à 4h30 du matin.
« Entrez », dit-il en ouvrant la porte de la voiture. « Faites comme chez vous. »
Bong -qui refuse de donner son vrai nom car, dit-il, dans notre univers, personne ne connait le vrai nom de personne- est beaucoup plus petit et chétif que je ne l'avais imaginé. Sa chevelure noire frisée est en bataille. Il porte un short, un T-shirt avec une feuille de marijuana dessus. Il est pieds nus.
« Peut-être que je devrais mettre mes lunettes », suggère-t-il, « pour être davantage dans la peau de mon personnage ».
Bong se défonce et, très accessoirement, milite pour la légalisation
La limousine n'est plus toute neuve. Elle date de 1988. L'intérieur rappelle la chambre d'un adolescent désordonné. Dans chaque recoin, des pipes fourrées au cannabis. Un ordinateur portable est posé sur un pied.
Dans quelques instants, Bong sera en direct avec les soldats de son armée, des « pot heads » comme lui qui suivent ses périgrinations nocturnes. Car, presque chaque nuit, Bong et son chauffeur quadrillent les rues de Los Angeles en fumant des joints et, très accessoirement, en militant pour la légalisation de la marijuana.
« J'ai environ 20 000 fans dans le monde. Je leur fait découvrir la ville et ses dispensaires. Lorsque je veux leur montrer quelque chose, je pointe mon ordinateur dans cette direction. Ils voient ce que je vois. »
D'entrée, Bong se met à tirer sur sa pipe à eau tandis que la limousine s'engage sur Hollywood Boulevard. Les volutes odorantes de l'herbe se répandent dans la voiture. Au cours des quelques heures passées avec lui, il fumera une quantité impressionnante d'herbe. Comment est-il capable, dans ces conditions, de tenir un discours cohérent ? C'est un mystère. Toutes les cinq minutes, il attaque une nouvelle pipe ou un nouveau joint.
Certains people acceptent de monter dans sa limousine
https://asset.rue89.com/files/2009_17_10_cannabis_californie_bongtv_ok.jpg[/img]Mais il parle sans discontinuer des bienfaits du chanvre et de la marijuana, un médicament naturel qui endort la douleur, ravive l'appétit, calme les nerfs. De temps en temps, il s'adresse à ses fans. Il a un vrai talent d'animateur. Assez doué pour s'être créé une niche et faire sa pub.
On l'a vu en compagnie de célébrités comme Paris Hilton. Certaines se joignent parfois à lui dans sa limousine. Devant les journalistes, il fait d'intéressants discours sur la nécessité de légaliser l'herbe. En leur absence, il devient grossier et son programme se résume à fumer.
« C'est génial, non ? », dit-il. Je fume avec mes fans, j'anime la plus grosse « pot party » du monde mais mes invités ne salissent rien. Et en plus, ils ne fument pas mon herbe. Ils ne sont chez moi que virtuellement.
Sur l'écran de l'ordinateur, on voit des fans fumer eux aussi des joints. Tu parles d'une armée de militants !
« J'ai fait le voeu de faire quelque chose de positif pour la planète »
Bong passe presque toutes ses nuits dans sa limousine. C'est pour ainsi dire sa maison, surtout que les recettes publicitaires de BongTVLive n'étant pas exactement mirobolantes, il a dû récemment se replier à Huntington Beach (comté d'Orange) chez ses parents, des « gens très droits et très travailleurs ».
On passe devant plusieurs dispensaires. Bong les connaît tous. Surtout qu'il a une ordonnance pour fumer légalement, à part qu'il refuse de me la montrer. De toutes façons, ordonnance ou pas, il consomme bien plus que les doses autorisées.
« J'ai fait le voeu de faire quelque chose de positif pour la planète. On sait tous que si la culture du chanvre était légalisée pour le bois et la fabrication du papier, on arrêterait de couper les arbres qui mettent deux cent ans à arriver à maturité. Imagine l'effet sur le réchauffement climatique ! »
Ses arguments tiennent la route. Je me demande quand même comment il peut faire avancer sa cause en étant raide du matin au soir. En dehors de son cercle de fans, je doute qu'il soit pris très au sérieux par les législateurs. Et puis il dort jusqu'à 14 heures tous les jours et à part son « émission », n'a pas de job.
Vers minuit, nous faisons une halte au dispensaire de Ras Forchion, Liberty Bell Temple. Bong y tire sur une pipe offerte par Ras et achète un paquet de popcorn fourrés au cannabis.
La culture de la marijuana est permise, mais sous conditions
Au bout d'une heure, on retourne dans la limousine. Un producteur de marijuana nous y attend. Il a accepté de parler, mais sous son nom de guerre, que j'ai d'ailleurs oublié. « John » cultive légalement, mais il refuse quand même catégoriquement de révéler le lieu de sa plantation.
La loi n'est pas très claire, explique-t-il, et il y a des flics qui se sont donnés pour mission de nous empêcher de planter. On ne peut pas prendre le risque d'emmener qui que ce soit voir nos opérations. C'est top secret.
La culture de la marijuana médicale est en effet permise, mais avec des limites. Un producteur doit être associé à un dispensaire et ne cultiver que la quantité nécessaire à ce dernier, en fonction du nombre de ses patients. On imagine tout de suite les dérapages.
Des militants utiles à la cause ?
Presque 600 dispensaires fonctionnent sans permis, rien qu'à Los Angeles. Et parmi eux, qui sait combien sont coulants sur l'obligation d'exiger la présentation d'une ordonnance.
Les dispensaires sont censés être à but non lucratif. Mais Ras Forchion a refusé de donner son chiffre d'affaires. « Tout ce que je peux vous dire, c'est que je vis très bien », s'est-il contenté de dire.
Bong et « John » continuent de fumer tout en mangeant le popcorn et en dissertant sur les différentes variétés de cannabis et leurs effets. Le producteur milite lui aussi pour la légalisation de la marijuana mais on l'imagine tout aussi mal aller plaider sa cause auprès d'élus ou même d'électeurs.
Je finis par me demander s'ils ne font pas plus de tort que de bien à la cause qu'ils défendent.
Par Armelle Vincent
Illustrations : captures d'écran de BongTVLive.com
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► Le site BongTVlive.com (en anglais)