L’Uruguay, le paradis des cannabiculteurs

L’Uruguay, le paradis des cannabiculteurs
Par baf ,

L’Uruguay est devenu, il y a un an et demi, le premier pays au monde à contrôler la culture et la commercialisation du cannabis. Toute la chaîne de production n’est pas encore régulée. En revanche, l’auto-culture est en plein boom. Au mépris, souvent, d’une loi qui fait toujours débat parmi les consommateurs.

 

« Doucement mais sûrement », semble être le leitmotiv du nouveau gouvernement uruguayen en ce qui concerne la vente de marijuana en pharmacie. C’est le dernier point de la loi sur la régulation du marché du cannabis à mettre en place. C’est aussi le plus ambitieux.

L’Uruguay, petit pays d’Amérique du Sud de 3,3 millions d’âmes, coincé entre les deux géants brésilien et argentin, est devenu le 10 décembre 2013, le premier État au monde à contrôler la production et la commercialisation de la marijuana.

Outre la dépénalisation de l’auto-culture, cette loi propose de réguler toute la chaîne de production du cannabis sous l’autorité de l’Etat. Lequel vient d’octroyer cinq licences à autant d’entreprises pour produire dix tonnes de cannabis par an, vendu 1 $ le gramme en pharmacie. Les consommateurs pourront acheter jusqu’à 40 grammes par mois. « Le nombre de cannabiculteurs multiplié par quatre »

Le 1er mars, Tabaré Vázquez (Frente Amplio, centre-gauche) a remplacé le géniteur de la loi, Pepe Mujica (Frente Amplio), à la tête du pays. Le nouvel exécutif a annoncé ne pas être « pressé » afin de « ne pas commettre d’erreurs » dans l’application de la loi.

D’autant plus que l’opposition guette le faux pas. Veronica Alonso, députée du Parti national (droite), craint que « la marihuana soit subsidiée par l’État » : « Je ne comprends pas comment on va pouvoir la vendre 1 $ le gramme alors que ça coûte dix fois plus cher aux Pays-Bas ». Selon elle, cette loi est « trop ambitieuse » : « Notre pays n’est pas prêt structurellement à mener de front la culture domestique, les clubs et les licences privées ». Son parti proposait une simple dépénalisation de l’auto-culture, et sans registre.

 

Le 27 août 2014, le gouvernement a ouvert le registre national pour tous les Uruguayens majeurs qui souhaitent produire du cannabis. C’est, avec la vente en pharmacie, l’une des trois modalités mises en place par l’État pour en acquérir. Une fois inscrit auprès de l’Ircca (Institut de régulation et de contrôle du cannabis), chacun peut cultiver chez lui, légalement, jusqu’à six plantes pour une production maximale de 480 grammes par an (soit 40 grammes par mois, la consommation maximale autorisée quelle que soit la modalité choisie). Autre possibilité, ajoutée fin octobre : créer un club cannabique sous la forme d’une association civile à but non lucratif (entre 16 et 45 personnes pour 99 plantes).

« Cette loi a été faite par des gens qui n’y connaissent rien en cannabis »

Depuis l’implantation de la loi, « le nombre de cannabiculteurs a été multiplié par quatre », avance Juan Vaz, porte-parole de l’Association d’études sur le cannabis d’Uruguay (Aecu). Ils seraient aujourd’hui quelque 40 000 pour 200 000 consommateurs.

Juan fut le premier à s’inscrire comme auto-cultivateur. Pour cet activiste de 47 ans qui a passé onze mois en prison, en 2008, pour avoir cultivé la fleur défendue, c’est une revanche sur le système. D’autant plus qu’il a été condamné pour moins de plantes que la loi en autorise aujourd’hui.

 

Juan, comme d’autres militants, a participé aux débats avec le gouvernement lors de l’élaboration de la loi, mais il a le sentiment de ne pas avoir été entendu. « Elle a été faite par des gens qui n’y connaissent rien en cannabis », clame-t-il. Pour Julio Rey, 41 ans, président de la Fédération nationale des cannabiculteurs d’Uruguay, également présent lors des discussions, « il y a un haut niveau de restrictions parce que c’est une loi de synthèse. Tout le monde a été écouté, tant ceux qui étaient en faveur que ceux qui étaient contre ».

 

Aussi, la mise en place d’un registre national est restée en travers de la gorge de la plupart. « Ce fut la condition sine qua non de l’État pour que ça avance », affirme Julio. Beaucoup semble déjà le bouder : sur 40 000 possibles cannabiculteurs, quelque 2 000 se sont inscrits… Et on dénombre vingt clubs, selon l’Ircca.

 

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Alicia Castilla « Ce registre sert à contrôler la population qui fume »

Le gouvernement a assuré la protection des données, mais certains imaginent Big Brother tout contrôler et voient ressurgir les démons du passé : « Ceux qui ont connu une dictature savent très bien ce que l’État peut faire avec toutes ces informations », prévient Alicia Castilla, 70 ans dont 50 le pétard aux lèvres. Cette écrivaine et activiste argentine vit en Uruguay depuis 2010. Elle a également connu la prison, durant trois mois, en 2011. Les médias et la population découvrent le visage de celle qui a inspiré la loi : une dame à la chevelure argentée accusée de planter de la marijuana pour sa propre consommation. « Ce registre sert à contrôler la population qui fume », peste-t-elle.

 

Concernant ce présumé flicage, Juan prend l’exemple de la Californie : « Quand ils ont légalisé le cannabis thérapeutique et qu’il fallait donner son nom pour en obtenir, tous mes amis californiens me disaient que le gouvernement fédéral allait leur supprimer l’assistance sociale… 18 ans plus tard, rien de tout ça n’est arrivé, et ils ont tous leur carnet ! »

 

Manolo, 25 ans, propriétaire du growshop (magasin de jardinage spécialisé sur le cannabis) Urogrow dans le centre de Montevideo, n’a pas l’intention de s’immatriculer auprès de l’Ircca « pour que l’État ne sache pas combien de plantes [il a] ». Il précise que la majorité de ses clients pense comme lui. Et ajoute : « De toute manière, ils ne peuvent pas contrôler tout le monde ». Werner et Rodrigo, la vingtaine également, partagent un appartement à Montevideo. Six plantes poussent dans un petit placard. Ils cultivent pour la première fois. Ils assurent qu’ils iront s’inscrire, mais « plus tard, quand on aura plus de recul sur la loi ».

« Mujica pense que consommer de la drogue est un vice bourgeois »

Autres sujets de discorde : le nombre de plantes et la limitation de la consommation à 40 grammes par mois. « La simple fait de mettre un nombre est aberrant, juge Juan. On ne compte pas un champ de maïs en nombre de pieds, mais en hectares ! D’autant plus que la production est beaucoup plus importante en extérieur que dans un placard ! ». « Comment sont-ils arrivés à 40 grammes ? interroge Alicia. Quand tu demandes, on te répond que si tu fumes plus, il faut t’interner. Mujica est un ex-guerillero des années 70 qui pense encore que consommer de la drogue est un vice bourgeois ».

 

Les activistes auraient également préféré que la vente se fasse dans des dispensaires, comme c’est le cas dans l’État du Colorado aux États-Unis, et non en pharmacie. « Cela aurait permis de créer des emplois », assure Diego García, vendeur au growshop Planeta Ganja et jardinier du club cannabique El Piso. « Les utilisateurs de marijuana vont dans les growshops ou les coffee shops. Il faut vendre le produit là où vont les consommateurs. Et ce n’est pas à la pharmacie ! ». Selon ce trentenaire à la main verte, il a gagné la Cannabis Cup (festival où sont récompensés les meilleures variétés de cannabis) à Montevideo l’an dernier : «l’État a peur que les cultivateurs vendent. Je ne vois pas où est le problème si c’est légal. Pourquoi ne puis-je pas faire vivre ma famille avec mon travail ? »

« Cette loi a permis de décriminaliser les cannabiculteurs »

D’autres vont peut-être perdre leur emploi : les narcos. Cette régulation a pour principal objectif de couper l’herbe sous le pied des trafiquants. Jusqu’à présent, une marijuana de très mauvaise qualité était importée du Paraguay. Pour Juan, pas de doute, l’auto-culture a déjà commencé à leur mettre un coup derrière la tête : « Tout ceux qui se sont mis à cultiver ne s’approvisionnent déjà plus sur la marché noir ». Diego est plus critique : « Quelle est la réalité du pays ? Rien n’a changé. Il n’y a toujours pas de cannabis dans les pharmacies, et les consommateurs continuent d’acheter chez leur dealer ».

 

Selon Victoria de Pro Derechos, une ONG qui soutient la régulation depuis le début, cette loi, qui interdit la vente aux touristes, laisse « une niche aux trafiquants». Diego confirme : « Beaucoup de touristes nous demandent si l’on vend du cannabis. C’est une erreur de la loi de les exclure du marché légal ».

« Bien sûr que la loi est perfectible, mais au moins on en a une, analyse Juan, pragmatique. Nous avons déjà fait un grand pas. C’est grâce à la loi, les cultivateurs n’ont plus peur de se montrer ».

Même si 60% de la population uruguayenne est contre la régulation, Juan estime qu’« elle a permis de décriminaliser les cannabiculteurs ». Car, si la consommation de drogues est dépénalisée en Uruguay depuis 1974, il était interdit de vendre et de produire…

 

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Alvaro Calistro « Nous devons lutter contre les mensonges de la prohibition »

Chaque jour, une quarantaine de personnes montent les quelques marches qui mènent au growshop Planeta Ganja. « Pour beaucoup, la culture, c’est quelque chose de nouveau. Ils viennent s’informer et apprendre, affirme Juan, l’un des propriétaires. Mais il y en a aussi beaucoup qui sortent du placard et viennent acheter de quoi ils ont besoin en toute tranquillité ». Federico, gérant du growshop MedioGrow, a noté « une forte augmentation de la fréquentation » depuis le vote de la loi. Selon lui, « la société uruguayenne est dans un processus d’adaptation ». Et imagine que « dans un an, on verra des growshops comme on voit des quincailleries ».

 

Victoria précise que « la consommation est acceptée » dans le pays: « Un tiers des Uruguayens a déjà fumé dans sa vie, cela signifie que ce n’est pas quelque chose de si éloigné de la société ». Mais, ajoute-t-elle, « il y a encore beaucoup de mythes associés à la marijuana comme la théorie de l’escalade (on commence par un joint, on continue avec la cocaïne)». « Nous sommes face à trois générations conservatrices qui ont toujours reçu un message négatif sur cette plante, analyse Alvaró Calistro, 44 ans. Cet artisan, chapeau vissé sur la tête et pétard à la main, cultive depuis vingt ans dans sa maison de Porvenir, un quartier ouvrier de Montevideo.

 

Il est membre du Réseau d’utilisateurs de drogues et cultivateurs de cannabis d’Uruguay. Nous devons lutter contre les préjugés et les mensonges de la prohibition. Depuis le temps, tout le monde sait qu’il y a une culture de cannabis, ici. Avec la loi, certains voisins ont entendu parler des propriétés médicinales de la marijuana et posent des questions. Il n’y a pas de meilleure manière que d’informer pour faire tomber les préjugés ».

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Daisy Benitez Facundez « Avec quatre taffes, ça calmait mes douleurs »

Julio est lui aussi optimiste : « Ceci est un processus. C’est comme un jeu de domino, la première fiche vient de tomber. Il y en a une infinité d’autres qui vont suivre, notamment en ce qui concerne les aspects thérapeutiques de la plante. Cela permettra d’amener la marijuana à des gens qui sont peut-être totalement contre son usage récréatif ou qui ne connaissent tout simplement pas ».

 

C’est le cas de Daisy Benitez Facundez. La dame a 69 ans, et quatre plantes de cannabis qui poussent dans sa salle de bain. Jusqu’à ses 67 ans, elle n’avait jamais entendu parler du cannabis. Daisy a de gros problèmes de santé : sa colonne vertébrale se tord sur la droite depuis une trentaine d’années. Elle a perdu sept centimètres et ses mains frêles s’accrochent fortement à sa canne pour se déplacer. « Les douleurs sont insupportables et les cachets de morphine n’y font rien», dit-elle, assise sur une chaise dans un appartement exigu de Montevideo. Depuis deux ans, sur les conseils de son médecin, elle consomme de la marijuana.

 

Elle pensait « voir des éléphants roses », elle a découvert un médicament : « La première fois que j’ai fumé, je ne pouvais pas y croire. Avec quatre taffes, ça calmait mes douleurs. En plus, c’est naturel ! Tout le monde devrait pouvoir l’utiliser, du moins si ils souffrent ».

Mais, pour le moment, toujours pas de cannabis en pharmacie. Les consommateurs de marijuana médicinale ou récréative devront patienter. Ou cultiver.

 

Source: ijsbergmagazine.com


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Invité randy march

Posté(e)

Salut,

 

Mon dieu que ça fait du bien d’entendre un discours (assez) cohérent de la part de politiques.

 

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Merci de nous faire partager les débuts de la légalisation en Uruguay. Très bon article qui nous montre comment ça se passe dans la réalité. Ça met plus de temps que prévu pour se mettre en place, mais le mouvement est lancé et ne s'arrêtera plus. Reste à mettre en œuvre dans la pratique, mais je suis certain qu'ils vont y arriver. En attendant, les jardiniers sont aux avant-postes.

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