Le regard du patron de la brigade des stups à l'heure du départ
Le commandant François Corlay quitte la police après avoir passé l'essentiel de sa carrière dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Après trente-quatre années dans la police, le commandant François Corlay, « Fanch » pour tous ses amis, prend sa retraite. C'est un pilier de la rue Colbert qui s'en va et un des meilleurs connaisseurs des stupéfiants.
Source : Circ Paris PresseCe Brestois de Kerinou a fait l'essentiel de sa carrière, commencée à Tours, dans la brigade des stups. Récemment, il en était le patron au commissariat central, avant de devenir l'adjoint du commissaire chargé de la Sûreté. Il a vu évoluer le monde des dealers, arriver de nouvelles drogues comme l'ecstasy, constater le rajeunissement inquiétant des consommateurs. Interview de cet enquêteur passionné par l'investigation et qui n'a jamais considéré que son travail était une corvée.
Au cours de votre carrière, qu'est-ce qui a le plus changé dans le monde des stupéfiants ?
Sans aucun doute, c'est l'explosion de la consommation de cannabis et du trafic qui y est lié. Quand j'ai commencé dans la police, au début des années 70, le cannabis était consommé par un milieu intellectuel ou artistique, profs, musiciens, peintres. Il y avait aussi un peu de LSD. Ceux qui fumaient étaient déjà de grandes personnes. L'héroäne s'est « démocratisée » à la fin des années 70. Mais cela reste toujours confiné à un petit milieu. Heureusement d'ailleurs, car c'est une drogue redoutable.
Aujourd'hui, ce qui m'interpelle, me gêne, c'est la jeunesse des consommateurs de résine de cannabis. Ce sont des gamins de 13-14 ans et qui fument du shit de plus en plus fort. Le taux de THC (tétrahydrocannabinol, principe actif du cannabis) est de plus en plus élevé. Et l'utilisation du « bang », la pipe à eau, renforce encore les effets. Tous les milieux sont touchés et à partir d'un certain niveau de consommation, ça peut avoir des conséquences dramatiques. J'ai le souvenir d'un jeune qui dépensait 5 000 F par mois parce qu'il fumait 19 bangs par jour ! Maintenant, il est en hôpital psychiatrique.
Les dealers ont aussi changé ?
Oui. Désormais, ils vendent de tout. Du cannabis, de la cocäne, des ecstasys. J'en ai croisé des types qui juraient sur la tête de leur mère qu'ils ne vendraient jamais de poudre. Et je les ai retrouvés qui le faisaient.
Lors de la plus belle affaire que j'ai faite, on a découvert 35 000 cachets d'ecstasy, 31 kg de cannabis, 500 g de cocäne et 112 000 € ! Ça donne une idée de l'argent que brassent les dealers. On a retrouvé des photos lors de perquisitions, où on les voit parader dans des superbes hôtels, avec cigares et grosses bagnoles.
Je rajouterai que l'ecstasy, c'est une vraie saloperie. On a recensé plus de 400 types d'ecstasy. Et parfois, il y a n'importe quoi dedans.
La violence semble de plus en plus fréquente chez les dealers ?
Tout à fait. C'est un milieu sans pitié. Soit pour voler sa marchandise à un concurrent, soit pour une dette impayée, ils n'hésitent pas à enlever et torturer. J'ai le souvenir d'avoir arrêté, dans les années 90, un type qui, avec des complices encagoulés, avait enlevé un concurrent. Ils lui avaient brûlé les pieds au chalumeau... Sur cette affaire, on avait saisi 38 kg de cannabis.
Certains déplorent que la place de la Liberté soit un endroit où on peut se procurer facilement du cannabis...
C'est vrai, mais c'est aussi un endroit très central où se rencontrent un maximum de jeunes. Il ne faut pas croire que le business se fasse systématiquement sur la place. Mais nous faisons régulièrement des flagrants délits de vente de cannabis.
Que diriez-vous à des parents dont un enfant commence à consommer de la drogue ?
Je leur dirais d'être attentifs au comportement de leur enfant. Il y a immanquablement un changement d'attitude. Il ne faut pas rompre le dialogue, ne pas brusquer les choses tout faire pour que la personne soit orientée vers quelqu'un de compétent. Si on laisse faire une consommation basique, le gamin sera forcément amené à dealer (!!!) pour assurer sa consommation. Eux parlent de dépannage, mais c'est du deal. Et après, on les retrouve en garde à vue et quand on leur dit ça, ils tombent de l'armoire.
La banalisation du cannabis, cela doit être décourageant pour un policier des stups ?
Oui, quelque part, ça peut l'être. On a l'impression de ramer face à un phénomène que plus personne ne maîtrise. Je ne suis pas tellement optimiste quant à l'évolution des choses.
Propos recueillis par Yannig GUÉRIN