Par Agnès Piernikarch, 56 ans, pédo-psychiatre en banlieue parisienne.
Rien ne peut changer dans les banlieues si le trafic de cannabis n'est pas éradiqué. A l'évidence, la réponse répressive ne suffit pas. La vente du tabac et de l'alcool est réglementée. Il s'agit de produits nocifs. On peut se demander pourquoi le cannabis est à ce point tabou. Ne pas en parler, c'est laisser faire...
Source : Marianne2007
Peu de candidats se risquent à proposer la réglementation de la vente du cannabis; il s'agit de développer l'idée d'une réglementation et pas d'une vente libre: interdire la vente aux mineurs, et maintenir l'interdit de la conduite sous l'emprise du cannabis.
Proposition réaliste, car elle prend en compte la réalité quotidienne de l'expansion de la consommation. La banalisation de fait du produit, malgré l'interdit, induit une multitudes de phénomènes calamiteux.
Les usagers, en premier lieu, ignorent la composition du produit qu'ils achètent, et peuvent être victimes de produits frelatés ou absorber un produit dont la concentration en substance active est particulièrement nocive. Les usagers sont au contact des dealers qui peuvent soit les entraîner dans des circuits de délinquance plus grave, soit les agresser. Les pré-adolescents sont sollicités, de plus en plus jeunes, et les enquêtes officielles ont toujours de 2 à 3 ans de retard sur la réalité; ces enquêtes ne prennent pas en compte l'impact réel de la consommation cannabique chez les moins de 15 ans. Si les consommateurs sont minoritaires, ils ne sont pas catalogués consommateurs d'habitude, lorqu'ils fument deux joints par semaine. Cette quantité suffit pourtant dans le cas des moins de 15 ans pour qu'ils soient en état d'ébriété du lundi au vendredi. Les résultats scolaires vont s'en ressentir. Il n'y a pas d'étude sérieuse effectuée sur les effets du cannabis chez les moins de 15 ans. On extrapole les effets connus chez l'adulte aux adolescents, sans doute sensiblement égaux pour les plus de 15 ans. Cliniquement l'observation montre des effets prolongés chez les moins de 15 ans.
Le deuxième effet très pernicieux est la « réussite sociale », du petit dealer qui devient le modèle d'une minorité d'enfants et d'adolescents dans les banlieues; toute une stratégie est mise en oeuvre afin d'étendre leur pouvoir sur des territoires de plus en plus vastes. Tout attitude pédagogique de respect de la loi est vaine si au vu et au su de tout le monde, les dealers ont pignon sur rue; qu'elle le veuille ou non, la police n'y peut rien. Les banlieues sont le centre d'un commerce très lucratif; pour l'exercer, les bandes sont capables d'assurer leur pouvoir par la menace et les exactions sur les habitants qui ne peuvent pas se plaindre; une chape de plomb vient camoufler ces activités.
Rien ne peut changer dans les banlieues, si cette activité n'est pas éradiquée. A l'évidence, la réponse répressive ne le permet pas. Il n'y a pas lieu de persister dans l'erreur. La vente du tabac et de l'alcool est réglementée. Il s'agit de produits nocifs.
On peut se demander pourquoi ce sujet est à ce point tabou. Ne pas en parler, c'est permettre que le trafic continue.
Sans doute, à l'origine de ce silence, il y a plusieurs facteurs:
–la sous-évaluation de la dangerosité du produit, séquelle des représentations de « drogue douce »,
–la position largement répandue des « pas de vagues »: le problème n'existe pas si on ne le voit pas et si on n'en parle pas.
–reste la question de la corruption qui favorise la non-intervention.
–il va bien falloir s'y atteler pour traiter le problème des banlieues, car l'absence de traitement de cette question induit la persistance des attitudes maffieuses et de son cortège de nuisance. Cette nuisance a un coût social qui n'a jusqu'à présent pas été réellement évalué.