Passée inaperçue en 2010, une condamnation d'OCB pour concurrence déloyale dissipe, en partie, l’écran de fumée entourant les méthodes de la marque pour préserver son (quasi) monopole sur le marché des feuilles longues, chères aux fumeurs de joints.
OCB ou Rizla+? Dans la plupart des quelque 28 000 tabacs français, le choix du fumeur de pétards est simple car le plus souvent limité à ces deux marques. Des petits nouveaux comme Yeuf, Jass paper, ou encore Tourn’feuille ont bien essayé d’arriver chez les buralistes. Mais pour cela, il faut pousser une porte d’entrée bien gardée par les grands distributeurs.
Plus précisément par deux sociétés historiques: la SPF (Société pipière française) et la SAF (Société allumettière française), qui contrôlent près de 80% du marché français d'approvisionnement des tabacs. Officiellement, les consommateurs achètent à 90% des feuilles OCB, il n'y a donc pas de place sur le marché pour de nouveaux acteurs.
En "off", la marque aux trois lettres -O pour la première usine historique d'Odet, C pour la seconde de Cascadec et B pour Bolloré, l'ex propriétaire pèse de tout son poids sur les distributeurs.
Les Inrocks ont mis la main sur la condamnation judiciaire de Republic Technologies International (RTI), multinationale d'origine américaine propriétaire d'OCB depuis 2000, pour "concurrence déloyale" envers une nouvelle marque de feuilles longues. Datant de janvier 2007, l'affaire apporte un éclairage nouveau sur les pratiques d'OCB et des distributeurs.
Feuilles transparentes
L'histoire débute en 2006. La société Onda e maresia (OEM) propose aux amateurs de joints une nouveauté: les paquets de marque brésilienne ALEDA. Particularité, les feuilles sont longues et transparentes. Une promesse est faite au consommateur : "Ne contient pas les composants chimiques généralement utilisés dans le papier blanc."
Distribué par la SPF, le produit prend un bon départ. En quelques mois, OEM voit son chiffre d'affaires passer de 16 000 à 325 000 euros. Mais en janvier 2007, l'euphorie retombe. Une note interne à la SPF relate que "des traces de mercure et de plomb" auraient été détectées dans les nouvelles feuilles à l'allure plastifiée. La note précise que l'information provient d'un employé d'OCB.
Immédiatement, la SPF fait passer le message à ses grossistes qui stoppent dans la foulée commandes et paiement. Problème: des analyses seront bien produites fin 2007 par OCB mais elles sont postérieures aux accusations et n'apportent aucune preuve.
Le tribunal de commerce de Créteil, conforté par un jugement définitif de la Cour d'appel de Paris en janvier 2010, condamne donc OCB à verser environ 100 000 euros à Onda e maresia et la même somme à ALEDA pour "concurrence déloyale" par dénigrement de marque.
La communication d'OCB précise aux Inrocks ne pas avoir "souhaité se pourvoir en Cassation afin que toutes les parties en présence puissent se concentrer sur leurs métiers respectifs et le développement de leurs activités".
Voeux louable mais pieux. Depuis février 2007, en dépit d'une étude du CNRS concluant à l'innocuité des feuilles transparentes, les ventes de feuilles ALEDA n'ont cessé de chuter. Même OCB arrêtera par la suite sa propre collection transparente, OCB Crystal, lancée a posteriori pour concurrencer ALEDA.
"Nous ne nous sommes jamais relevés de cette histoire, explique aux Inrocks Alexander Walk, co-gérant de Onda e maresia. On souhaite toujours revenir sur le marché français, mais déjà que les feuilles avaient un aspect plastique, si vous ajoutez la rumeur de nocivité qui persiste auprès des consommateurs, ça devient vraiment compliqué."
"OCB c'est comme Coca-cola"
Une question demeure. Pourquoi la SPF a-t-elle été si prompte à relayer l'information fournie -sans preuve- par OCB, concurrent direct d'ALEDA ? Pour Stéphane Vay, co-gérant de la SPF et responsable en son sein de la commission fumeurs, la réponse est évidente:
"Nous avons préféré employer le principe de précaution. Je vous rappelle, qu'à l'époque, j'ai transmis (aux huit grossistes français composant la SPF) cette note en employant le conditionnel."
"Dans son esprit c'était du conditionnel", rétorque Cédric de Pouzilhac, avocat d'OEM et d'ALEDA, précisant que la note était au présent de l'indicatif et assortie d'une demande de blocage des paiements dans l'attente des résultats officiels annoncés par ALEDA. Pour un commercial de la SPF, souhaitant garder l'anonymat, le principal problème serait avant tout la puissance d'OCB sur le marché:
"La marque bloque l'entrée de nouveaux arrivants en menaçant les distributeurs de jouer sur le non-approvisonnement et la réévaluation des conditions d'achat. OCB, c'est comme Coca-cola, les volumes sont tellement gros qu'on ne peut pas s'en passer."
Sébastien Brousse et Pierre Lemercier, les deux jeunes fondateurs de la marque Yeuf, connaissent bien le problème "au présent", insistent-ils. Installés dans l'Essonne, ils lancent leur marque en 2006. Un concept simple: faire du papier long de qualité, moins cher, avec des paquets un peu design, comme leur dernière collection décorée par le graffeur Kayone.
Ils se souviennent parfaitement de leur premier entretien avec Philippe Geoffroy, ex-PDG de la SAF (deuxième plus gros distributeur des buralistes avec la SPF qui appartient désormais à Imperial Tobacco, également propriétaire de Rizla+).
"Il trouvait notre idée géniale. Il nous a proposé deux solutions: soit il rachetait notre marque (solution déclinée) pour en faire une MDD (marque de distributeur) de la SAF, soit il tentait de négocier notre arrivée sur le marché avec OCB..."
Depuis maintenant cinq ans, impossible pour eux de se faire référencer chez l'un des deux gros distributeurs. Du coup, à quelques exceptions près, pour trouver des Yeuf, il faut aller chez les épiciers du coin ou dans des stations service.
90 millions de carnets pour la fumette
Stéphane Eletufe, commercial de Noza, entreprise qui distribue et possède la marque de feuille Jass Paper, estime avoir contourné ces difficultés. "Nous, on a pas de soucis avec OCB vu qu'on se distribue nous même dans environ 1000 tabacs. Mais si on voulait passer par la Socopi (l'un des huit grossistes de la SPF) ce ne serait pas possible."
Face aux accusations d'entrave du marché, OCB ne joue pas les étonnés et invoque, à mots couverts, une certaine jalousie:
"Il est compréhensible que la marque qui occupe, depuis si longtemps, une place importante suscite des propos de cette nature, de la part de concurrents dont les produits ne rencontrent peut-être pas le même succès auprès des clients."
Un succès particulièrement difficile à quantifier. "C'est carrément l'omertà", assure le député UMP Yanick Paternotte, auteur, en 2008, d'une proposition de loi visant à interdire les feuilles longues. Il a estimé que sur 150 millions de carnets (courts et longs) vendus chaque année, environ 90 millions seraient directement destinés aux fumeurs de cannabis.
D'après le commercial anonyme de la SPF, distribuant des feuilles dans deux départements, les statistiques sont un sujet "tabou".
"Aussi bien dans les cités, les villes ou la campagne, 60 % des feuilles que l'on livre dans les tabacs sont des longues, donc, qu'on le veuille ou non, destinées à la fumette. Et plus de 90 % sont des OCB."
Une situation de quasi monopole à laquelle les buralistes s'adaptent très bien. "Les feuilles sont un produit à marge, avec lequel les buralistes se gavent sur les fumeurs", regrette Mathias Wang, qui vend dans son tabac d'Ivry-sur-Seine plus de 25 marques de feuilles. Acheté entre 30 et 50 centimes aux grossistes, le paquet de slim est ensuite revendu deux à trois fois plus cher aux consommateurs. Le soucis premier des commerçants n'est donc pas l'arrivée dans leurs échopes de concurrents d'OCB. "Alors vous prenez les Rizla+ ou les OCB ?"
Geoffrey Le Guilcher
Source : les inrocks