REPORTAGE - Ils pourraient être amenés à vendre le produit en cas de légalisation, un sujet relancé, dimanche, par les candidats de la primaire à gauche. Les pharmaciens, également concernés, sont moins enthousiastes face à cette éventualité.
Une pharmacie à coté d'un bureau de tabac à Paris-Photo AFP
Dans ce petit bar-tabac du IIe arrondissement de Paris, les boiseries habituelles sont remplacées par des portraits d'une célèbre icône du reggae. Bob Marley est partout sur les murs, parfois en train de chanter, parfois en train de... fumer. Ici, les responsables attendent avec impatience la légalisation du cannabis, et se verraient bien vendre cette drogue douce.
«Les gens feraient la queue comme ils font pour un café ou un paquet de cigarettes», s'imagine Thomas Rousseaux, gérant de l'établissement. «Je ne vois que du positif dans une telle mesure. Cela réduirait le trafic dans les cités, et pour nous, on aurait plus de monde, donc plus d'argent», se réjouit-il.
Cette problématique a été relancée dimanche soir par la candidate Sylvia Pinel, lors du deuxième débat de la primaire à gauche. Favorable, comme Benoît Hamon, à la légalisation, l'ex-ministre du Logement y voit un enjeu de santé publique et a appelé les responsables politiques à regarder la réalité en face. «On nous propose de faire plus de chiffre d'affaires, comment refuser?», questionne Pierre Thaï, responsable du Pia Hour, dans le IXe arrondissement parisien.
«Honnêtement, les marchés de la presse et des cigarettes sont en déclin donc ça nous permettrait de nous diversifier. Puis quand on voit que l'on peut acheter du poppers (des produits euphoriques, qui se présentent sous la forme de liquides volatiles à inhaler, NDLR) dans des tabacs, pourquoi pas du cannabis? C'est rentré dans les mœurs maintenant», ajoute le buraliste.
«On espère vraiment que ça va se faire», confirme Frédéric Coudouel, du tabac des Petits-Champs, dans le Ier arrondissement. Ce dernier craint néanmoins les conséquences d'une telle mesure: «Ce qui me préoccupe, ce sont les dégâts que ça peut faire dans les banlieues, notamment à Paris. Des familles, des immeubles vivent grâce à ça. Si on légalise, j'ai peur que ça explose dans les cités.»
Dans le IIe arrondissement, Hervé Zhu, propriétaire de La Tabatière, admet que la légalisation lui rapporterait. Mais il s'avoue «inquiet» de la clientèle éventuelle que pourrait amener une telle mesure. «Si on a une file de personnes droguées, de délinquants, là ça serait inquiétant. J'imagine que des gens vont vouloir du cannabis mais refuseront de payer, et ça pourrait entraîner des conflits», suppose-t-il. «Après, je pense que les bureaux de tabac sont plus adaptés que les pharmacies pour cette drogue, puisqu'on vend déjà des cigarettes, et les feuilles à rouler.»
Les pharmaciens plus nuancés
En cas de légalisation, le cannabis pourrait également être vendu dans les pharmacies. Et la question fait débat dans la profession. «Il faut absolument encadrer son utilisation. Ce n'est pas un produit à banaliser. C'est la porte ouverte à des abus. Je suis sûr que des gens pourraient venir nous braquer pour ça», se méfie Catherine Blanc, responsable de la pharmacie de Choiseul. «Si c'est vendu librement et aussi en pharmacie, je suis contre.
Mais si c'est uniquement dans les pharmacies et encadré par l'État, alors oui pourquoi pas. Mais je ne vais pas sauter de joie», résume la spécialiste. Sa collègue, Lydie Melouli, juge que ces produits «n'ont rien à faire dans un établissement comme le nôtre. Cela va nous apporter plus d'ennuis que l'inverse. Imaginez, vendre ça au même titre que des médicaments. On parle d'une drogue tout de même!»
Escale dans la pharmacie Monsigny, aux allures traditionnelles. Ici aussi, les avis divergent. «On est beaucoup trop tolérants concernant le cannabis à usage récréatif. On ne dit pas assez les méfaits de cette drogue sur la conduite, ou quand elle est couplée avec l'alcool. Et on sait combien les jeunes sont adeptes de mélanger les deux. En revanche, pour soigner les gens ça me semble logique de la commercialiser.
En tant que thérapeutes, si cela doit être vendu quelque part, c'est bien chez nous», explique Marie-Bernadette Pochon, pharmacienne. Sa responsable, Odile Bargain, se questionne. «Quand on voit certaines personnes aux douleurs neurologiques importantes contraintes d'aller jusqu'en Belgique pour se faire prescrire du cannabis, ce n'est pas normal. C'est même étonnant que nous ne l'ayons pas encore fait. On fournit déjà des stupéfiants, vous savez».
Alain Ferrari, responsable de la pharmacie de la Michodière, a quant à lui «peur des conséquences». Ce pharmacien a été condamné pour complicité dans une affaire de trafic de Subutex, un substitut de l'héroïne. «Des médecins corrompus fournissaient de fausses ordonnances à des patients qui nous les achetaient, et les revendaient au marché noir. Je suis persuadé qu'avec le cannabis, on peut avoir droit au même type de dérives», prévient-il. «Je suis pour la dépénalisation, mais si l'État veut le faire, qu'il le fasse dans des dispensaires.»
Source: lefigaro.fr