Publié sur le site web du monde, une enquête se penche sur la question de la légalisation et la régulation du cannabis. En cette période de crise, nombre de personnes soutiennent une régulation sur le cannabis comme solution économique.
Source : le monde
Extrait:
“Au bord de la faillite avec 19 milliards de dollars de déficit, une administration paralysée et des services publics laminés, la Californie pourrait trouver dans le cannabis une solution pour soulager les caisses de l’État. Fin mars, les autorités locales ont annoncé la tenue, en novembre, d’un référendum sur une proposition de loi visant à "légaliser, taxer et réguler la marijuana“.
La mesure permettrait, selon ses initiateurs, non seulement de rapporter près de 1,4 milliard de dollars par an, mais aussi de soulager les forces de police et de décongestionner les établissements pénitentiaires. Autant dire une révolution. Aucun autre État américain et aucun pays au monde n’a légalisé ni taxé la vente de cannabis, les conventions de l’ONU imposant sa prohibition.
Arnold Schwarzenegger se dit ouvert à “un débat robuste”. Contrairement à 1972, quand la Californie avait massivement rejeté une initiative visant à légaliser la marijuana, défendue alors comme étant “inoffensive” et favorisant la “tolérance sociale”, la campagne de 2010 s’attaque aux aspects financiers. Et cela marche. D’après un récent sondage, près de 56 % des électeurs californiens voteraient en faveur de la loi. Toutefois, les nombreux opposants n’ont pas encore jeté leurs armes dans la bataille. Arnold Schwarzenegger, le gouverneur républicain de Californie, est personnellement opposé à la légalisation, mais se dit ouvert à “un débat robuste” sur la question. Une façon d’admettre que l’idée a progressivement fait son chemin.
On est loin de la “guerre à la drogue” proclamée par Richard Nixon en 1969, un mois avant le festival de Woodstock. Loin des déclarations d’intention de la communauté internationale qui, en juin 1998, réunie dans l’enceinte des Nations unies, se donna dix ans pour éradiquer la culture des drogues illicites et réduire leur consommation. A l’époque, l’ONU avait même trouvé un slogan: "Un monde sans drogue est possible.” La bataille a eu lieu, mais elle a échoué, et sur tous les fronts.
La drogue la plus prisée au monde. Jamais la consommation de drogues n’a été aussi importante. Jamais elle ne s’est autant répandue et diversifiée. L’exemple de la marijuana est à ce titre exemplaire et pas seulement en Californie. Drogue la plus prisée au monde, elle est consommée par plus de 170 millions d’individus (4 % de la population mondiale adulte), soit 10 % de plus que durant les années 1990, d’après l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC). Le cannabis était, il y a un demi-siècle, une drogue quasiment inconnue, à l’exception de certaines poches comme l’Inde ou la Jamaïque, ou de quelques cercles “avant-gardistes” dans les pays riches.
Tous les pays ont banni la production et l’usage de cannabis, à tout le moins depuis la Convention unique sur les stupéfiants de 1961. Mais aucun n’est parvenu à réduire la consommation de ses habitants avec des lois prohibitionnistes. Pire, celles-ci se sont révélées onéreuses, discriminatoires – particulièrement envers les jeunes et les minorités ethniques – et même prétextes à des atteintes aux libertés dans de nombreux pays. C’est le constat sans appel établi, cette année, par un groupe d’experts internationaux réuni par la Beckley Foundation, un groupe de réflexion britannique.
Une aubaine pour les organisations criminelles. Auteurs d’un rapport éloquent, comparant les usages et les politiques d’une vingtaine de pays, ils avancent qu’il n’y a pas de lien entre la consommation et la prévalence du cannabis avec la politique – répressive ou libérale – mise en place par les gouvernants. "On observe même une très légère baisse de la consommation en affinant les résultats dans les pays les plus permissifs, comme les Pays-Bas”, insiste Amanda Feilding, directrice de la fondation. Selon elle, les données récoltées plaident en faveur d’une approche “moins punitive” dans cette guerre “dont il est impossible de sortir vainqueur”.
En 2006, près de 750 000 personnes ont ainsi été arrêtées aux États-Unis pour possession de marijuana. Un taux qui, rapporté à la population totale (environ 300 millions d’habitants), est comparable à celui d’autres pays comme la Suisse ou l’Australie. Toutefois, seule une infime partie de ces arrestations a occasionné des peines d’emprisonnement. "Devant l’absence de preuves indiquant que ces arrestations entraînent une baisse de la consommation du cannabis, il est difficile de voir une quelconque justification dans ces chiffres démesurés”, note le rapport.
Depuis quelques années, de nombreuses voix s’élèvent pour pointer les positions de plus en plus difficiles, sinon intenables, des gouvernements. Un des meilleurs exemples est l’ouvrage du juge californien à la retraite, James P. Gray, paru en 2001 et intitulé Why Our Drug Laws Have Failed (“Pourquoi nos lois sur les drogues ont échoué”, non traduit).
L’argumentation développée par ce juriste vise à montrer comment la prohibition est devenue “une poule aux œufs d’or” pour les organisations criminelles, un point de vue partagé par un nombre croissant de personnes. Selon un sondage Gallup, 44 % des Américains sont en faveur d’une légalisation du cannabis. Ils n’étaient que 23 % en 1983.
Un phénomène culturel. En 2009, le Mexique et l’Argentine ont décidé de ne plus pénaliser les petits consommateurs. Au Brésil, la prison n’est plus obligatoire pour les consommateurs, même si la possession de drogue est toujours considérée comme un crime. Aux États-Unis, une quinzaine d’États étudient des projets de loi ou des référendums similaires à celui qui sera soumis au vote cet automne en Californie. Une dizaine d’autres planchent également sur des textes visant à décriminaliser ou à réduire les peines infligées aux consommateurs de cannabis.
Pointant du doigt ce phénomène culturel, le magazine économique Fortune avait d’ailleurs estimé, dans un article très remarqué, publié en septembre 2009, que “la question pertinente n’était plus de savoir s’il fallait légaliser ou non, mais plutôt jusqu’à quel point la marijuana ne l’était pas déjà – au moins en tant qu’option locale”.
Alors ? Il semble que l’idée d’une légalisation “contrôlée”, comme le préconise la Beckley Foundation, couplée à l’argument financier, gagne du terrain en ces temps difficiles. D’après Jeffrey A. Miron, économiste à l’université Harvard, l’impact d’une telle mesure rapporterait plus de 25 milliards de dollars annuels au budget fédéral des États-Unis. De quoi faire réfléchir.”
N. Bourcier