L’iboga va-t-il être victime de son succès? Pour la deuxième année consécutive, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) s’inquiète dans son rapport annuel, publié aujourd’hui, de l’engouement grandissant en France pour le chamanisme et les plantes enthéogènes...
Source : Drogues news
«Au cours de l’année écoulée, cette mouvance s’est indéniablement développée, et, de façon très rapide. En effet, une transposition/adaptation du chamanisme sud-américain dans un premier temps, puis du chamanisme africain dans un second temps, s’est établie en France. Toutes sortes de stages et de cures de désintoxications (alcool, tabac, drogues,...) sont proposés, le plus souvent, sans aucun contrôle médical, scientifique ou psychologique.»Principaux visés: l’ayahuasca (classé comme stupéfiant depuis le 20 avril 2005) et surtout l’iboga (qui n’est pas classé). La Tabernanthe Iboga est un petit arbuste qui pousse dans la forêt équatoriale, principalement au Gabon, en Guinée Equatoriale, dans les deux Congo et au Cameroun. Sa racine, psychotrope, est utilisée dans le culte Bwiti, très ancienne religion africaine. Elle a des vertus psychothérapeutiques, particulièrement pour le traitement des toxicomanes. Plusieurs recherches sont en cours dans divers pays occidentaux, dont la France. «Mais aucune expérimentation validée scientifiquement ne vient, pour l’heure, confirmer ces propos un peu trop péremptoires», tranche la Miviludes.
Les autorités s’inquiètent en fait du développement, dans la mouvance new-age, de stages de «mieux-être» menés par des «apprenti-sorciers» et dans lesquels est utilisé l’iboga, parfois hors de tout cadre traditionnel ou médical. Un décès suspect est également survenu le 18 juillet dans un centre en Ardèche. La mission dénonce enfin des cas de «coupure avec le milieu familial, abandon de ses projets initiaux, abandon, dans certains cas, de son travail et demande d’argent aux familles pour participer à d’autre stages, etc. Tous ces critères figurant au nombre de ceux généralement retenus pour qualifier les dérives sectaires.»
Une dérive que ne nient pas les associations traditionnelles qui défendent l’iboga, comme le collectif Meyaya : «Notre association n'est pas comptable des agissements d'un certain nombre de personnes qui surfent actuellement sur la mode iboga et proposent leurs services alors qu'elles ne possèdent pas les qualifications requises. […] On ne fait le "voyage d'Eboka" qu'une fois dans sa vie, s'il est réussi, il est totalement inutile de recommencer. Méfiez-vous des dérives sectaires (ou financières) toujours possibles ... Soyez prudents, on ne joue pas impunément avec des traditions chamaniques vieilles de plusieurs millénaires.» Mais pas question pour elles, à propos d’une plante sacrée et médicinale, de parler «d’hallucinogène» ou de «stupéfiant».
Car c’est bien de cela qu’il s’agit pour la Miviludes: obtenir le classement comme stupéfiant de l’iboga, qui ne fait aujourd’hui l’objet d’aucune interdiction en France (à la différence des Etats-Unis, de la Suisse et de la Belgique). De ce point de vue, les choses pourraient très vite changer. A la suite du décès en Ardèche, l’Afssaps (l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) enquête sur l’iboga, tandis qu’un rapport parlementaire sur les sectes en date du 12 décembre dernier demandait déjà son classement. Le ministère de la Santé a enfin annoncé qu’une vaste enquête serait menée sur les «plantes hallucinogènes» (terme que rejettent leurs contempteurs, qui préfèrent parler «d’enthéogènes», «qui donnent le sentiment du divin»). Les autorités semblent en fait attendre les résultats du recours intenté par le Santo Daime français contre le classement de l’ayahuasca (enthéogène sud-américain) pour s’attaquer au cas de l’iboga.
Une chose est sûre: les ventes d’iboga sur Internet vont exploser avant que le couperet ne tombe. Soit exactement ce que voulaient éviter les défenseurs traditionnels de l’iboga… et les autorités.