La consommation de drogues au travail préoccupe de plus en plus les entreprises mais aussi les pouvoirs publics. La question du dépistage et d’une éventuelle modification de la réglementation s’est trouvée au cœur des débats lors du forum régional sur le sujet, le 2 juillet, à Angers; avant des Etats généraux, en 2010.
Source: le Journal de l'Environnement
Plus de 65% des chefs d’entreprise et 50% des salariés considéraient en 2006 que les questions de toxicomanie au travail étaient de plus en plus préoccupantes, d’après une enquête de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). L’alcool demeure le problème le plus fréquemment rencontré. Néanmoins, 11% des entreprises ont déjà été confrontées à des problèmes avec des usagers de cannabis et 2% avec des usagers d’autres drogues (cocaïne, ectasie, etc.). Certains secteurs comme les transports, l’hôtellerie, la restauration et la construction sont particulièrement concernés par les pratiques addictives.
«Il n’existe pas de données scientifiques suffisantes permettant d’établir le lien entre la consommation de stupéfiants et le risque d’accidents au travail», explique Corinne Dano du service d’addictologie du CHU d’Angers. Des études ont cependant estimé que 20% des accidents au travail, des comportements inadaptés et des cas d’absentéisme étaient liés à la consommation d’alcool, mais aussi de drogues illicites et de psychotropes.
La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (Mildt), présidée par Etienne Apaire, s’est emparée de cette question en programmant des Etats généraux des conduites addictives en milieu professionnel au premier trimestre 2010. Deux forums préparatoires réunissant divers acteurs (Etat, Régions, juristes, scientifiques, partenaires sociaux) ont également été prévus. Le premier s’est déroulé à Angers (Pays de la Loire), le 2 juillet, et le second aura lieu à Bordeaux (Aquitaine), en novembre. «Le but est de recueillir des bonnes pratiques, de susciter la réflexion et de poser les questions éthiques et juridiques», explique Etienne Apaire. Au-delà des mesures qui pourraient être préconisées, une modification de la réglementation sera discutée. Elle viserait à donner plus de pouvoir à l’employeur en matière de lutte contre les addictions, à réglementer les pratiques de dépistage et réviser les sanctions.
De fait, «bien que l’usage de drogue soit illicite et sanctionné pénalement par le Code de la santé publique, il n’existe pas de dispositions spécifiques dans le Code du travail [excepté pour l’alcool]», souligne Sophie Fantoni, médecin au CHRU de Lille et docteur en droit. Or la responsabilité de l’employeur peut être mise en cause en cas d’usage ou de trafic de drogues au sein de l’entreprise, ou lors d’un accident d’un salarié sous l’emprise de drogues. Et il est tenu par la loi au devoir de prévention de la santé de ses salariés. Pour se protéger, l’employeur dispose d’un pouvoir disciplinaire limité au flagrant délit ou à la preuve irréfutable de faute.
Cette situation explique pourquoi le dépistage est au cœur des débats et suscite la controverse. Certains souhaitent développer cette pratique aujourd’hui très encadrée. Dans leur majorité, les dirigeants d’entreprise se déclaraient plutôt favorables à des contrôles sur le cannabis (69% des DRH dans les entreprises de plus de 50 salariés et 61% dans les TPE) selon l’enquête 2006 de l’Inpes. Actuellement, selon une circulaire datée de 1990 (1), seuls les tests de dépistage biologiques (urinaires ou sanguins) réalisés par le médecin du travail sont autorisés pour déterminer l’aptitude d’un salarié à un poste de travail et sous réserve d’une inscription dans le règlement intérieur. Un dépistage peut aussi être effectué sur certains postes à risque. Mais dans tous les cas, le dépistage systématique est proscrit. L’utilisation de tests salivaires, en cours d’expérimentation auprès de conducteurs routiers, se heurte à des freins scientifiques –leur fiabilité n’est pas encore totale- mais aussi éthiques. Mais leur développement est envisagé.
«Nous craignons que l’approche du dépistage soit uniquement répressive, déclare Jacques Bordron, responsable Santé au travail à la CFDT Pays de la Loire. Alors qu’elle doit aussi être préventive et collective, menée en association avec les CHSCT, les représentants de salariés et des consultants extérieurs.»
Aucune option ne semble pour l’instant privilégiée. «Dans tous les cas, la pratique du dépistage devrait être discutée en amont avec les partenaires sociaux», estime Sophie Fantoni qui prône la mise en place d’un dispositif d’information et de prévention prenant en compte l’impact des consommations sur le lieu du travail, mais également l’impact des conditions de travail sur les consommations. «Généraliser les tests de dépistage sans accompagner les salariés peut même se révéler dangereux en favorisant l’exclusion de certains jeunes vulnérables du monde du travail», affirme Corinne Dano. Le rôle-clé du médecin du travail a été souligné pour sensibiliser le personnel et prévoir le dépistage dans le règlement intérieur. En 2006, 41% des entreprises de plus de 50 salariés et 17% des très petites entreprises (TPE) avaient intégré les drogues dans leur plan d’évaluation des risques. Mais seulement 3% d’entre elles avaient mis en place des actions de prévention sur ce thème.
(1) Circulaire du ministère du travail (n°90/13) du 9 juillet 1990, relative au dépistage de la toxicomanie en entreprise
Par Sabine Casalonga
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