Drogue : un addictologue propose de retirer l'argent du trafic du PIB pour que l'Etat "ne soit plus complice"
Emmanuel Macron a estimé depuis Marseille que "les consommateurs de drogue sont des complices" des trafiquants. L'addictologue William Lowenstein estime que l'État devrait montrer l'exemple "pour éviter complicité et cynisme".
D'après William Lowenstein, l'état déclare 2,7 milliards d'euros issus du trafic de drogue dans son PIB chaque année. (LIONEL VADAM / MAXPPP)
Emmanuel Macron a affiché à Marseille sa fermeté contre le trafic de drogues et dénoncé les consommateurs qu'il accuse d'être des "complices" des trafiquants. William Lowenstein, addictologue et président de l’association SOS Addictions, a pointé ce jeudi sur franceinfo l'hypocrisie de l'État qui inclut chaque année depuis 2018 dans son PIB les profits réalisés par l'argent de la drogue. "Sortons un peu du bal des hypocrites", dit-il avant de proposer que l'État montre l'exemple "pour éviter complicité et cynisme".
franceinfo : Le consommateur est-il complice des trafiquants de drogues ?
William Lowenstein : Par définition, selon la politique des drogues qui est retenue par tel ou tel pays, cela devient un délit. Bien évidemment, Emmanuel Macron a raison en disant que les consommateurs sont des complices, mais ce sont des complices, forcément à cause du système de prohibition qui a été retenu et, comme chacun sait, est un échec aussi cruel que coûteux depuis 50 ans. Sortons un peu du bal des hypocrites ! Pour éviter complicité et cynisme, nous pourrions commencer en France par retirer de notre PIB le chiffre de 2,7 milliards d'euros que nous déclarons via l'Insee très officiellement et discrètement chaque année sur le trafic de drogue [Depuis 2018, l'Insee intègre l'activité générée par la production et la consommation de stupéfiants à la croissance]. Comment montrer l'exemple ? Ça serait déjà de ne plus inclure dans notre PIB le chiffre du trafic de drogue pour ne pas être complice.
Cette opposition dealer du quartier pauvre contre consommateur du quartier chic, c'est un cliché ?
Emmanuel Macron a remis au goût du jour l'extraordinaire sketch de Coluche où fumer du "hakik" n'était pas patriotique. On était un peu "droite-Ricard"=bons citoyens et "gauche-pétard"=traîtres à la patrie. On est dans la com et on est très, très loin du sérieux sur une politique nationale de santé sur les addictions. On est déjà en période électorale et j'espère qu'on pourra travailler sérieusement ces sujets pénibles, à la fois sur le plan de la santé publique, mais aussi de la sécurité publique. Parce que de Medellín à Marseille, 50 ans d'échec et d'enrichissement des mafias sans frontières, on voit bien à quel point on s'est trompé de voie pour protéger l'individu et la société.
Il ne faut rien attendre de cette campagne électorale sur le sujet ?
Hélas, alors qu'on adispose d'n certain nombre de travaux. Il n'y a évidemment aucun système parfait, il nous faut parfois choisir entre le gris et le gris, mais on va partir dans une période électorale où les punchlines vont caricaturer le choix entre le blanc et le noir. Je trouve que le débat est hélas, déjà, dans l'impasse pour des raisons sécuritaires. La droite et l'extrême droite accusant le président de laxisme dans la lutte contre l'insécurité, il répond à nos jeunes médecins et addictologues politiquement et non pas de façon pragmatique et protectrice pour notre société.
Dans les pays qui ont légalisé la distribution, on observe une plus forte consommation ?
Globalement, non, même s'il faut rester prudent et c'est pour cela qu'on se dirigerait, nous, vers la demande d'un moratoire sur la régulation de trois à cinq ans pour pouvoir évaluer. Parce qu'il y a tellement de différences d'un pays à l'autre ! Mais globalement, ce qu'on voit bien, c'est qu'on gagne non seulement en sécurité publique –le cannabis, c'est 60% du trafic–, mais que l'on gagne aussi en messages de prévention, en régulation, en pureté des produits.
"Ce n'est pas tant le cannabis qui tue, beaucoup moins que l'alcool ou le tabac, qu'évidemment le trafic et les armes qui sont liés à ce trafic."
William Lowenstein, addictologueà franceinfo
Encore une fois, on a tous ce souvenir de cette période de Chicago et de la prohibition de l'alcool qui a installé la mafia aux États-Unis pendant un siècle. On est en train de continuer les mêmes bêtises et ce ne sont pas 200 gendarmes à Saint-Tropez ou à Marseille qui feront trembler les descendants d'El Chapo ou Pablo Escobar.
Ce n'est pas la légalisation qui endigue le trafic ?
Non, cela sera insuffisant, mais c'est vraiment beaucoup de travail et de questions précises, que ce soit sur la prévention, ou la réduction des risques. Tout est horriblement complexe. Cela ne sera pas du noir ou blanc. Mais la seule certitude qu'on ait, hélas, sauf pour faire de la com politique, c'est que ce système de prohibition depuis un demi-siècle a totalement échoué. On parle de guerre à la drogue, mais en fait, la plupart des guerres ont une fin. Si on continue comme ça, cela ne sera même pas une guerre parce qu'elle sera sans fin.
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