Le médecin Didier Jayle rappelle le coût énorme de la la répression pour la société et les systèmes mafieux que génère le trafic de cannabis.
Lors de la manifestation pour la légalisation du cannabis, le 9 mai 2015
Photo Albert Facelly pour Libération
Le 10 octobre, au Sénat, se déroule une journée sur la question de la dépénalisation du cannabis, à l’initiative de la chaire santé du Conservatoire national des arts et des métiers (Cnam) et des députés Verts. Quels changements peut-on attendre d’une évolution de la loi ? Quels sont les freins ? Quels pourraient être les effets recherchés ou non d’une légalisation ? Didier Jayle, professeur au Cnam, est à l’origine de cette rencontre. Médecin, il avait dirigé de 2002 à 2007 la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt).
Didier Jayle
Lors de la présidentielle, pensez-vous que la question de la dépénalisation sera abordée, voire portée, par certains candidats ?
S’il y a une certitude, c’est qu’un jour ou l’autre la légalisation se fera. La question est de savoir quand. J’aimerais que la France ne soit pas la dernière, qu’elle se mette en ordre de marche. Pour le moment, cela reste un combat. Il y a un blocage idéologique. Pour faire avancer le débat, il faut que la société civile se mobilise, mais je ne me fais pas d’illusion. Pour la campagne présidentielle de 2017, il n’y aura rien. Sauf miracle.
Pourquoi cet immobilisme de la classe politique ?
Elle pense globalement qu’il n’y a que des coups à prendre, et qu’en plus, une majorité de la population est plutôt pour le maintien de la prohibition.
Que faire alors ?
Convaincre la population, mais aussi les hommes politiques. Dire et redire que la prohibition n’empêche pas la consommation, bien au contraire, que la répression a un coût énorme, que la situation actuelle aboutit à financer des réseaux financiers mafieux et à entretenir un climat de violence et de mort.
Pourquoi ce discours ne passe-t-il pas ?
A gauche, il y a de plus en plus de personnalités qui en parlent, et qui l’évoquent, de Daniel Vaillant à Vincent Peillon mais aussi Jean-Marie Le Guen. Mais au niveau du parti, cela bloque. La ministre de la Santé y est opposée. De plus, il faut rappeler que lorsque la gauche est au pouvoir, elle a peur d’être taxée de permissive. Quant à la droite modérée, elle est encore plus coincée, par crainte de servir l’extrême droite qui est radicalement contre.
Quand je présidais la Mildt, en 2003, la «contraventionalisation» de la consommation - qui est une forme de dépénalisation - a failli passer. Jean-Pierre Raffarin, Nicolas Sarkozy, Jean-François Mattei étaient pour. Mais tout s’est effondré avec la canicule qui a cassé les priorités. Depuis, rien. C’est le statu quo, l’immobilisme. Treize ans de perdu.
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Dans le reste du monde, cela ne bouge pas beaucoup non plus…
Ce n’est pas tout à fait exact. Sur ce volet, ce sont les Américains qui font bouger les choses. Ils ont imposé depuis plus d’un siècle une guerre sans concession à la drogue. Aujourd’hui, un grand nombre de pays et des organismes internationaux constatent l’échec de cette politique. L’Uruguay est le premier pays d’Amérique à avoir dépénalisé.
Aux Etats-Unis, il va y avoir, en novembre avec la présidentielle, le référendum sur la dépénalisation en Californie. Cela va être un signe très fort : la dernière fois, la dépénalisation avait été repoussée de justesse à 53 %. Là, il semble acquis qu’elle va être votée. En Europe occidentale aussi, cela bouge. En Suisse, des cantons l’autorisent. Et il y a une dépénalisation de fait au Portugal.
Pour vous, l’évolution est inéluctable…
Oui, mais il ne faut pas y aller n’importe comment. Le cannabis n’est pas un produit anodin, il est dangereux pour les moins de 20 ans, il faut faire des campagnes, prévenir, débattre. Car on ne sait pas quelle loi il faudrait, ni quel cadre retenir. Plutôt que l’immobilisme, il faut travailler à ce changement.
Par Eric Favereau
Source: liberation.fr