Le serpent de mer du débat sur la dépénalisation du cannabis, voire sa légalisation, resurgit en France. En Europe, certains pays ont fait le choix d'une politique moins répressive
En Espagne, les clubs de consommateurs de cannabis fleurissent. Ici, le Cannabis social club (CSC) Ganjazz, à San Sebastian, en Espagne. ©
Archives Pantxika Delobel
Le débat sur l'évolution de la législation sur le cannabis qui divise profondément l'opinion publique et les politiques, se rallume régulièrement dans l'Hexagone, notamment à la veille des grands rendez-vous électoraux.
Rien d'étonnant à ce que, à huit mois de la présidentielle de 2017 la question revienne sur la table, par l'intermédiaire de deux candidats aux primaires, Benoît Hamon (PS) favorable à la légalisation du produit, et Nathalie Kosciusko-Morizet (LR) qui se prononce pour sa dépénalisation.
L'échec de la répression à la Française
L'Uruguay est le premier pays au monde à avoir légalisé le cannabis, en décembre 2013.© Photo Archives AFP
Alors qu'un certain nombre de pays dans le monde et en Europe se sont engagés dans la voie de la décriminalisation, en réponse aux difficultés de la lutte antidrogue, à la hausse de la consommation et au développement de l'économie parallèle générée par le commerce illicite des stupéfiants, la France, elle, a opté pour une répression accrue. Sans grand succès toutefois. Un constat d'échec objectif, largement partagé par les Français.
"Drogues douces" et "drogues dures"Plus de 80% des Français pensent que la législation actuelle est inefficace et 52% des personnes interrogées sont favorables à l'ouverture de ce débat, à la faveur de l'élection présidentielle de 2017, alors que 47% sont contre. Sondage Ipsos, 10 octobre 2016
Si la législation concernant le trafic de drogue est sévère partout en Europe, conformément aux conventions internationales, elle diffère pour l'usage : certains pays distinguent "drogues légères" ou "douces", comme le cannabis, et "drogues dures" (héroïne, cocaïnes, ecstasy, hallucinogènes, psychostimulants...). D'autres non. Quelle différence y a t-il entre dépénalisation et légalisation ? Quels sont les pays européens qui ont dépénalisé l'usage du cannabis ces dernières années ? Le point.
1. Dépénalisation, légalisation : quelle différence ?
Les conventions internationales prévoient que la consommation des stupéfiants doit rester interdite, mais que les pays ont le choix des sanctions de l'usage.
►La dépénalisation ou la décriminalisation consiste à retirer à l'usage ou à la détention de cannabis son caractère pénal. Si l'interdit perdure, il n'y a pas d'incarcération pour simple consommation de drogue.
►La légalisation, actuellement contraire aux règles internationales, consiste à lever l'interdit de l'usage de cannabis, et à organiser sa production et sa distribution. L'Etat se substitue au marché clandestin pour réguler l'offre en excluant certains consommateurs, comme les mineurs.
2. Les 16 pays européens où le cannabis est illégal
Une saisie de cannabis.© Photo AFP
Comme la France, l'Autriche, la Bulgarie, Chypre, la Grèce, la Hongrie, le Royaume-Uni, l'Irlande, le Luxembourg, Malte, la Norvège, la Pologne, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède, considèrent l'usage simple de drogue, y compris le cannabis, comme une infraction pénale. Dans ces pays, la possession de drogue constitue toujours un crime, même si elle n'entraîne pas toujours la prison.
►Que prévoit la loi française ?
La loi destinée à lutter contre la drogue, promulguée depuis le 31 décembre 1970, et reprise par l'article L.3421-1 du Code de la santé publique, pénalise l'usage et le trafic de tous les stupéfiants. La consommation est un délit pénal, passible de 3 750 euros d'amende. Cette interdiction concerne aussi bien l'usage public que l'usage privé et elle ne fait aucune différence entre les drogues.
Qu'il s'agisse de cannabis ou d'héroïne, les peines encourues pour usage illicite de stupéfiants sont les mêmes et peuvent aller jusqu'à un an d'emprisonnement. Ces mesures parmi les plus répressives en Europe, sont insuffisantes pour sortir d'une impasse sanitaire et sécuritaire.
Augmentation massive des interpellations
D'après les chiffres de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), le nombre d'interpellations pour usage simple est passé de 25 000 à 150 000 entre 1990 et 2008, alors que les interpellations pour trafic et usage-revente sont restées stables depuis 1990.
Une consommation de drogue parmi les plus importantes en Europe
Selon l'agence nationale Santé publique France, 700 000 Français fument du cannabis tous les jours et 1,4 millions d'entre eux fument au moins 10 joints par mois. Le durcissement de la réponse pénale engagée sous Nicolas Sarkozy depuis 2002, n'a réduit ni le trafic de drogue, ni sa consommation.
Toutefois, la France n'est pas le pays de l'Union européenne le plus sévère. A Chypre, la possession de cannabis peut être punie de huit ans de prison, et sa consommation valoir une peine d'emprisonnement à perpétuité.
3. Les 12 pays où le cannabis est dépénalisé
L'Allemagne, la République tchèque, la Belgique, le Danemark, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Croatie, le Portugal et la Slovénie, ne tolèrent pas le cannabis. Mais, dans ces douze pays, les amendes prévues sont plus légères et les législations font la différence entre drogues "légères" et "dures".
Douze pays en Europe, moins répressifs, font la distinction entre le cannabis, "drogue douce", et les "drogues dures".© Photo Archives AFP
►Une situation contrastée selon les pays
A titre d'exemple, l'Allemagne a un régime assez particulier de prohibition, qui en fait le pays le plus laxiste malgré l'interdiction de possession. Le cannabis à des fins thérapeutiques pourrait être autorisé outre-Rhin dès 2017. .Au Danemark, l'usage de drogues n'est pas considéré comme une infraction criminelle, et ne fait l'objet d'aucune loi. Cependant, la possession de drogues est illégale et passible d'un maximum de deux ans d'emprisonnement.
Depuis 2010, la République tchèque a adopté une nouvelle loi qui dépénalise la possession de produits stupéfiants en petite quantité.
►Le Portugal, pays pionnier
Dès 2001, le Portugal est devenu le premier pays européen à décriminaliser l'usage personnel de toutes les drogues. Toutefois, si la consommation de cannabis est autorisée, sa culture est toujours considérée comme un délit, même si elle est destinée à un usage personnel. La vente est également prohibée. Le bilan de la loi portugaise est positif : si la consommation de drogue a légèrement augmenté chez les adultes, elle a nettement régressé chez les jeunes.
►L'Italie sera-t'elle le premier pays européen à légaliser le cannabis ?
L'Italie interdit toute possession de drogue, mais prévoit des peines différentes pour la possession à usage personnel et le trafic (au-delà de 5 grammes de cannabis). Elle pourrait devenir le premier pays de l'Union européenne et le second au monde après l'Uruguay, en 2013, à franchir le pas de la légalisation, si elle vote le projet de loi porté par 218 parlementaires sur la légalisation de la consommation, de la détention et de de l'autoproduction de cannabis, à l'étude au Parlement depuis le 25 juillet 2016.4. Les 2 pays où le cannabis est toléré
Aucun pays européen ne légalise la possession de cannabis. Deux d'entre eux la tolèrent et l'encadrent.
►L'Espagne et ses "Cannabis social clubs"
La 5e édition d'Expogrow s'est ouverte le 16 septembre 2016 au public, à Irún. 165 stands présentait les nouveautés de 180 entreprises venues du monde entier.© Photo AFP IROZ GAIZKA
De l'autre côté des Pyrénées, en Espagne, la culture du cannabis sur une propriété privée et à destination d'une consommation personnelle, et la consommation par des adultes dans un espace privé sont légales.
Il existe d'ailleurs plus de 500 cannabis clubs privés, les «Cannabis social clubs». équivalents des clubs de cigare, dont 300 à Barcelone, surnommée la "nouvelle Amsterdam" par less touristes, et une cinquantaine au Pays basque. Outre Bidassoa, Irún accueille d'ailleurs depuis cinq ans Expogrow, une grande foire expo dédiée à la marijuana. L'achat ou la vente de cannabis sont en revanche toujours illégaux et peuvent être sanctionnés par de la prison.
►Les Pays-Bas, un système atypique en Europe
Aux Pays-Bas, on peut fumer du cannabis dans les coffee shops.© Photo Archives AFP
Mises en places pour casser les réseaux clandestins et réinsérer les jeunes qui y entraient, les lois hollandaises ont abouti à la tolérance, en 1976.
La différence entre la Hollande et les autres pays est que, s'il est interdit de cultiver la plante qui reste illégale, la vente et la consommation de cannabis sont tolérées dans les "coffeeshops", pour les touristes comme pour les locaux. A condition, toutefois, que la quantité ne dépasse pas 5 grammes.
De même, la police tolère que les citoyens aient une petite quantité sur eux. Ce système de compromis à deux niveaux permet donc aux Hollandais de respecter l'essence des traités internationaux mais, selon certains experts, il encourage l'économie souterraine du marché de la drogue.
DEPENALISATION : QUI EST POUR ? QUI EST CONTRE ?
Selon un sondage Ipsos publié le 10 octobre 2016, 50% des Français se disent favorables à une autorisation de la consommation sous conditions (interdiction aux mineurs, notamment), 49% s'y opposent.
En France, certains élus écologistes et de gauche, comme Stéphane Gatignon (Parti écologiste) et Daniel Vaillant (PS), depuis 2001, défendent une légalisation contrôlée, pour réguler la production de haschich afin de tuer l'économie parallèle du trafic de la drogue et d'assécher les activités mafieuses de quelques 100 000 personnes.
Un rapport interministériel préconisant le recours à l’amende pour l’usage de cannabis, remis à Manuel Valls en octobre 2015, est resté lettre morte. Le club de réflexion Terra Nova, classé à gauche, avait alors proposé de légaliser le cannabis en l'encadrant comme les jeux en ligne, en créant notamment une Autorité de régulation du cannabis, calquée sur l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel).
►LES POUR
Parmi les personnalités politiques qui se disent favorables à une levée de l'interdiction : Cécile Duflot (EELV), Benoît Hamon (PS, qui défend la légalisation), Nathalie Kosciusko-Morizet (LR, qui défend la dépénalisation), Jean-Christophe Lagarde (UDI), Pierre Laurent (PCF), Daniel Vaillant (PS)...
►LES CONTRE
La ministre de la Santé, Marisol Touraine (PS), Arnaud Montebourg (PS), Jean-François Coppé (LR), Marie Le Pen (FN), Nicolas Sarkozy (LR), s'y opposent. Alain Juppé, candidat favori à la primaire de la droite, y est "radicalement hostile" :
Source: sudouest.fr