Alors que l’Italie se penche sur la légalisation du cannabis, l'économiste Emmanuelle Auriol, professeure à la Toulouse School of Economics, explique pourquoi l’"État doit reprendre le contrôle de la situation".
L'économiste Emmanuelle Auriol explique pourquoi l’"État doit reprendre le contrôle de la situation". (Sipa)
Le Parlement italien étudie depuis le 25 juillet un projet de loi sur la légalisation de la consommation, de la détention et de l'autoproduction de cannabis. S'il était adopté, l'Italie deviendrait le premier pays de l'Union européenne à franchir le pas après l'Uruguay, plusieurs États américains et prochainement le Canada. "La légalisation est la seule voie raisonnable", argumente Emmanuelle Auriol dans son dernier ouvrage, Pour en finir avec les mafias. Sexe, drogue et clandestins : si on légalisait? (Armand Colin).
"La dépénalisation ne gêne pas le crime organisé"
En matière de drogue, vous prônez la légalisation et pas la dépénalisation, pourquoi?
Le seul avantage de la dépénalisation, ce serait d'éviter la prison aux consommateurs. Sinon, elle ne fait que cumuler les inconvénients : elle ne gêne pas le crime organisé et elle encourage les consommateurs qui ne risquent plus rien.
Quels seraient les avantages d'une légalisation?
Si l'objectif de l'approche prohibitionniste est d'éradiquer la consommation de drogue, c'est un échec malgré un coût considérable de l'ordre de 2,4 milliards d'euros par an de dépenses publiques. En tant qu'économiste, je constate que la demande existe. Et comme il n'y a pas d'offre légale, ce sont les criminels qui en profitent. L'État doit reprendre le contrôle d'une situation qui lui échappe.
Comment?
Certainement pas en proposant la drogue en vente libre au supermarché, mais en organisant sa commercialisation comme on le fait pour le tabac, avec une fiscalité adaptée. Au début, cette fiscalité doit être très modérée de manière à évincer le crime organisé, avant de la remonter comme pour le tabac, dont les taxes représentent 80% du prix d'un paquet de cigarettes. Ce qui ne veut pas dire abandonner le volet répressif. Au contraire, l'État devra être impitoyable avec les trafiquants résiduels.
"On peut imaginer des producteurs sous licence"
Comment s'organiserait la production?
On peut tout à fait imaginer, comme dans certains États américains, des producteurs privés sous licence. Quant à l'autoproduction qui, on le voit actuellement, est impossible à empêcher, une tolérance pour la culture de deux pieds de cannabis peut être envisagée.
Ce qui serait valable pour le cannabis le serait aussi pour la cocaïne ou l'héroïne?
Pourquoi ne pas, comme dans d'autres pays, médicaliser la consommation. Soit par des produits de substitution, soit par des prescriptions sur ordonnance. Ma conviction, c'est qu'il y a mieux à faire que de réprimer uniquement.
En maintenant l'interdiction sur ces produits, l'État ne peut agir sur la demande et se prive de tout un tas d'instruments en matière de prévention, d'éducation et de réduction des risques.
Par Stéphane Joahny
Source: Le Journal du Dimanche