Une mode nouvelle fait fureur. Du e-liquide qui contient du CBD, une des molécules du cannabis, est disponible sur le Net et dans les boutiques de cigarettes électroniques. Au grand dam de médecins.
On sait que la France est l'un des pays européens les plus accros au cannabis — avec près de 1,4 million de fumeurs réguliers et 5 millions de Français qui ont reconnu en avoir consommé au moins une fois en 2016. Mais ce que l'on découvre aujourd'hui, c'est qu'une molécule contenue dans cette drogue séduit de plus en plus.
Le cannabidiol (CBD), dont on connaît encore mal les effets sur la santé, cartonne sous forme d'e-liquide. Une fois extrait du cannabis, il est ajouté à certains mélanges aromatisés, carburants de la cigarette électronique. Mais est-il facile de s'en procurer ? Tout à fait. En quarante-huit heures, nous avons pu commander et nous faire livrer ce produit, interdit mais qui bénéficie d'un flou juridique.
Comment nous nous sommes procuré du CBD
On part à sa recherche, en quelques clics, sur Internet. Première surprise, un site de grande distribution très connu n'hésite pas à vendre ce produit dans... ses coups de coeur. Les sites de vapotage, eux, ont même une rubrique dédiée e-liquide CBD. Des petites fioles estampillées « nouveauté » apparaissent les unes à côté des autres. Seules restrictions affichées : les femmes enceintes et les moins de 18 ans.
A côté des goûts rhubarbe ou chocolat, je trouve « citron-jaune cannabis » ou, plus exotique, « mangue, ananas, épice, cannabis ». La gamme proposée par un site spécialisé s'appelle même... Weedeo, référence claire à la weed, l'herbe. Et les parfums portent le nom d'« amnesia » ou « haze ». Il s'agit de variétés d'herbe très fortes vendues à Amsterdam (Pays-Bas). Une référence étonnante.
Ce site propose aussi des boosters jusqu'à 75 % de CBD à diluer soi- même comme un parfait chimiste. Mais il précise sur sa page d'accueil que c'est « une molécule légale », aux « effets thérapeutiques prouvés » (ce qui est faux !). Je sélectionne deux fioles de 30 mg, pour un total de 31,74 €, alors que le prix d'achat d'un e-liquide classique coûte environ 6 €. Je paye. Et l'affaire est pliée.
La veille, le site m'avait prévenue par mail : ma commande est prête. Comme prévu, l'après-midi, un Colissimo est livré... au journal. Ironie du sort, il provient de la rue d'Amsterdam. Pas du Pays-Bas, non, il vient du IXe arrondissement de Paris. Et l'emballage précise «Fabriqué en France».
La tendance prend de l'ampleur dans les boutiques
Les sites en ligne n'ont pas le monopole du marché. Dans les magasins de cigarettes électroniques, cette tendance prend aussi de l'ampleur. Je décide d'en appeler une dizaine, au hasard. Premier appel dans une boutique bobo du IIe arrondissement. « Du CBD ? Non, on n'en vend pas. Mais si vous voulez, j'en ai une bouteille chez moi, s'esclaffe une vendeuse, hilare, au bout du fil. J'ai essayé, c'est naze, vous allez être déçue. » Deuxième essai, chez une autre enseigne. « Oui, bien sûr, on en vend, ça va de 30 à 600 mg, de 18,50 € à 89,90 € », nous dit-on au téléphone.
Certains vont même plus loin, et vantent des bienfaits inédits. A Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), on nous assure que « c'est très bon pour la santé. Les malades de Parkinson et de sclérose en plaques en achètent, dès qu'ils sortent de chez leur médecin. Le CDB a les vertus du cannabis sans son principe actif ». Quand on interroge sur les prix, le vendeur assume : « Je suis d'accord, je ne comprends pas pourquoi c'est aussi cher. Et surtout, il faut avoir une cigarette électronique robuste et puissante sinon les produits les cassent. »
Même discours élogieux dans l'une des boutiques des Halles (Paris Ier), où je me rends. Dans les rayons, les e-liquides au CBD sont exposés en première ligne. « C'est un carton, les médecins m'envoient même leurs patients. Cet antistress agit aussi contre les insomnies. Certains de mes clients prenaient des cachets pour dormir, maintenant ils prennent du CBD, ça les détend. C'est incroyable », se réjouit cette professionnelle, l'une des premières à avoir commercialisé ce « chanvre » : « J'ai senti que ça allait cartonner, je ne me suis pas trompée. »
Même les bureaux de tabac ont flairé la belle affaire. Dans l'un d'eux, au cœur de Paris, le buraliste attend ces e-liquides, promesse d'une nouvelle manne financière, avec impatience. « Ça arrive, ça arrive, dans quinze jours, j'en aurai. »Pourtant, ces produits ne font pas l'unanimité. Chez Vapostore, marque internationale, les avis sont réservés : « Ce n'est quand même pas une superbe publicité pour la cigarette électronique, glisse un vendeur. Nous, on a décidé de ne pas en commercialiser. Mais à terme, vu le succès, on va aussi y passer. » L'un de leurs magasins, dans le XIe, a déjà cédé à la tendance.
Le coup de gueule d'un tabacologue
Le très médiatique professeur Bertrand Dautzenberg n'en revient pas. «C'est le bazar. D'un côté, l'ANSM parle d'interdiction du CBD, de l'autre, le gouvernement reste vague. Et les addictologues sont dans un flou total sur son statut», égrène, stupéfait, le célèbre tabacologue de l'hôpital de la Salpêtrière (Paris XIIIe), chantre de la cigarette électronique. Contactée, la Direction générale de la santé botte, en effet, en touche : « Nos services sont en train d'expertiser ce sujet. »
Pourtant, la question s'était déjà posée en décembre 2014, lors de l'annonce du premier e-joint au CBD, lancé sur Internet sous le nom de Kanavape. Ses créateurs déclaraient que ce produit n'avait pas d'usage médical mais qu'il permettait de réduire les risques liés à une consommation dangereuse et addictive du cannabis. Aussitôt, la ministre de la Santé de l'époque, Marisol Touraine, très en colère, menaçait de l'interdire. Et ses créateurs l'avaient vite retiré du marché. Comment expliquer alors qu'aujourd'hui la vente de CBD explose en toute discrétion ? Et qu'en plus l'un des arguments phares soit ses vertus thérapeutiques ? « Sa consommation était complètement marginale, ultraconfidentielle. Elle est en train de devenir massive », explique le professeur Dautzenberg. Certains l'utilisent comme substitut au joint, d'autres à la nicotine et certains malades chroniques ou angoissés contre le stress. D'où l'urgence pour le médecin d'encadrer cette pratique : « Il faut une réglementation claire, personne ne s'y retrouve. »
Sa proposition choc ? « Je suis pour une légalisation encadrée du cannabis. Cela éviterait justement ce flou actuel et absurde sur le CBD. » Et surtout une publicité mensongère pour cette molécule. « On le présente comme un remède miracle qui peut tout guérir. C'est faux. Cela doit cesser. »
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source avec vidéo : Le Parisien