Les Nouvelles Calédoniennes
Devant l’émergence d’une population de jeunes cancéreux, les pneumologues accusent l’intoxication précoce au cannabis. Soupçons confortés par la forte présence de métaux dans l’herbe cueillie en terrain minier.
Photo: Aurélien Lalanne/lnc.nc
Si la culpabilité du tabac n’est plus à démontrer, de forts soupçons pèsent désormais sur le rôle du cannabis dans le cancer du poumon chez les jeunes. En l’espace de cinq ans, 35 patients de moins de 45 ans ont été diagnostiqués de cette tumeur, dont 13 depuis le début de l’année sur le Caillou (Nouvelle Calédonie). C’est beaucoup pour un petit centre hospitalier comme celui de Gaston-Bourret. « Il se passe quelque chose sous nos yeux », alerte Hervé Levénès, pneumologue au CHT.
Même constat dans la profession libérale. La grand-messe de pneumologie et d’allergologie qui s’est close hier a été l’occasion de mettre un « petit coup de sonnette » sur un risque qui paraît « urgent ». « Ce phénomène bouleverse notre équilibre car ces malades sont plus jeunes que les médecins, et aussi jeunes que les infirmières qui les prennent en charge », déplore le médecin.
Un « rite initiatique »
Une étude rétrospective basée sur le service de pneumologie révèle l’apparition d’une nouvelle population de jeunes cancéreux. Ce qui frappe ? Des cancers « très agressifs », essentiellement chez les individus masculins (70 %), et d’origine mélanésienne (60 %). Quant à la province d’origine, elle « semble essentiellement du Nord ». Une disparité qui interroge sur « le déficit d’accès au soin ».
Ceci dit, pourquoi incriminer le cannabis ? Le recueil de données auprès des patients atteints trahit une histoire commune. « On a l’impression que tout se passe entre 11 et 13 ans » indique le pneumologue. Echec scolaire, désocialisation et déscolarisation à l’entrée au collège. Résultat : l’enfant « malheureux » se réfugie dans le « tabagisme intensif de cannabis » qui, outre ses effets anxiolytiques et antalgiques, présente l’avantage d’être gratuit dans certains lieux, puisque de « production locale ». A cela s’ajoute une forme de « rite initiatique ». Les médecins le savent, ces données « partielles » méritent d’être affinées par une étude épidémiologique et toxicologique, pour engager, à terme, une prévention ciblée du risque.
« Les liens sont difficiles à prouver entre le cancer bronchique et le cannabis (…). Nous n’avons pas d’outil robuste de mesure comme pour le paquet de tabac à l’année. Il n’en reste pas moins que l'inquiétude est majeure », assène Hervé Levénès. « On ne peut pas rester dans le doute », renchérit Bertrand Mellin, un de ses homologues du privé.
Produit d’une économie parallèle
Nickel, cobalt, chrome, manganèse : plus récemment, ce doute est conforté par la découverte de forte teneur en métaux toxiques dans la marijuana cultivée à proximité de terrain minier. « Certains taux sont nettement supérieurs à ce qu’on peut relever dans les tabacs les plus riches en métaux lourds », indique Yann Barguil, biochimiste du CHT. Certains échantillons, sur les 55 prélevés en Calédonie, présentent une teneur en nickel près de 500 fois plus élevée. Et comparé à « l’herbe » cultivée sur les terrains pollués du Nigeria, l’herbe calédonienne est « sans commune mesure. » Produit d’une économie parallèle au même titre que le tabac de contrebande, elle ne fait bien évidemment pas l’objet de contrôle de ses sols.
« Le cannabis est déjà toxique puisqu’il contient du goudron », ajoute le scientifique. « Les métaux viennent s’ajouter à sa toxicité, car lorsqu’ils sont brûlés, donc oxydés, ils prennent une forme volatile qui les rend encore plus réactifs. » Se pose dès lors la question d’éventuels autres vecteurs de contamination, dont les produits agricoles.
Source: lnc.nc