Le cannabis n’est pas la drogue la plus communément associée au bad trip. Dans l’imagerie des usagers, ce terme est plutôt réservé au LSD, aux champignons type psilocybes ou mexicain, au cactus type Peyotl ou san Pedro, à l’Iboga ou à l’Ayahuasca, aux synthétiques type TMA2 ou kétamine, à la Salvia divinorum ou au DMT.
La cocaïne, les amphétamines et le cannabis provoquent des crises d’angoisse, de paranoïa et selon certains scientifiques de schizophrénie. L’apparition sur le marché de produits plus concentré en principes actifs, sous les noms génériques de skunk ou iceolator, a renforcé la crainte d’une augmentation des accidents psychiatriques.
L’explosion de la consommation de cannabis et de la polyconsommation festive a entraîné une hausse logique des admissions dans les services spécialisés, ainsi que des demandes d’information et d’assistance auprès des structures de RDR, notamment en milieu festif. Il est donc légitime que les soignants et les usagers recherchent des outils de prévention et d’évaluation.
Source : Chanvre-info
Connaître son corps et sa motivation
Certaines personnes présentent des déficiences physiques ou des troubles psychologiques incompatibles avec l’usage de substances provocant des effets indésirables avec leurs pathologies. Un cardiaque ne doit pas prendre d’excitants par exemple. Un parano doit éviter le cannabis ou la coke. Le corps médical doit connaître les incompatibilités et informer les patients.
Chaque usager, surtout pour une initiation mais aussi à chaque prise, doit s’interroger sur les motivations de son acte et sur les effets qu’il recherche ou qu’il est prêt à accepter. Le bad trip vient souvent d’une puissance ou d’un genre d’effet non recherché mais aussi d’un manque de préparation psychologique et parfois physique aux effets.
Cette angoisse ou cette mauvaise surprise face aux effets se manifeste surtout avec les psychédéliques ou le cannabis ingéré. Ces produits modifient la façon de penser et d’appréhender le monde. Certains anthropo ou ethno-botanistes, comme Jeremy Narby, attribuent l’apparition du langage et l’évolution du raisonnement à la consommation de plantes hallucinogènes. Tout le monde n’est pas préparé à ce qu’il va voir au fond de lui-même, dans l’atome de matière, chez les autres. On regrette parfois d’être passé de l’autre coté du miroir. Alors, il faut être volontaire pas contraint par le groupe ou par bravade.
Reconnaître les produits et les effets
Il est primordial de savoir ce que l’on consomme pour éviter d’être indisposé par les effets. Il ne faut pas consommer sans savoir, c’est plus facile à dire qu’à faire, surtout depuis l’interdiction du test de marquis et en l’absence de toutes données sur les produits toxiques associés au cannabis. C’est un des intérêts majeurs d’un marché réglementé face à la prohibition. Cela justifie pleinement les missions de terrain pour observer les tendances de consommation et prélever des produits. La remontée des informations vers le consommateur n’est pas performante.
A titre individuel, il existe des groupes d’usagers experts qui maîtrisent bien la reconnaissance des produits, les effets voulus ou non et la conduite à tenir en cas d’abus ou de problème. Mais j’ai croisé bon nombre d’usagers incapable de distinguer un bon shit du Tchernobyl, du speed et de la coke, de l’herbe à chat et une production maison de qualité. Si on dose de la même manière, bonjour la volée. Confondre de la coke et de l’héroïne pourrait être mortelle, confondre des champignons à concentration différente peut emmener dans des voyages trop intenses.
L’information objective sur les substances et donc primordiale. Il ne faut pas sombrer dans l’exagération car elle provoque l’effet inverse. L’expérimentateur est déçu de ne pas voir des éléphants roses. Il force la dose jusqu’au malaise puis change de substance sans prêter attention aux messages de prévention il n’y croit plus.
Bien choisir l’environnement
Des crises d’angoisse peuvent surgir d’une conjonction de facteurs comme les mélange de produits, principalement l’alcool, les mouvements de foule, la chaleur et le bruit, un stress imprévu, une panique collective. Certains produits comme le DMT, la salvia divinorum ou la mescaline doivent être consommés dans un environnement calme et sûr, avec des personnes amicales dont l’une reste sobre.
Certaines substances sont prises dans un but de performance et après l’usager craint d’être découvert, c’est aussi un facteur aggravant. Certains conjoints ou amis viennent en teuf pour faire comme les autres, ils prennent des produits par imitation mais sont stressés par l’environnement et partent dans un mauvais délire.
Les hallucinogènes provoquent souvent des images déformées des personnes ou de son propre corps, l’usager à peur d’être comme eux et de le rester ou bien pense être tatoué, avoir changé de couleur de peau, de voix pour toujours. Un proche sobre ou un membre d’une équipe de RDR, des urgentistes, des organisateurs ou une sécurité bien formée, peuvent rassurer, si l’usager est seul, c’est la connaissance des produits qui peu le sauver, l’ignorance le renforcera dans son délire.
Le regard de l’entourage, la pression sociale, facteurs déclenchant
L’image sociale très négative de l’usager provoque fréquemment des bad trips. Par exemple, lorsque les usagers encore sous l’effet doivent sortir d’un espace protégé, d’une TAZ comme un Tek ou une Goa, de leur chambre, pour affronter le monde et surtout les parents et les employeurs. La société est compatissante pour la gueule de bois pas pour le lendemain de trip.
Beaucoup de jeunes flippent d’être découvert par les parents. Soit parce que c’est une première, soit pour cause de multirécidives. Le culte de l’abstinence et de la tolérance zéro. Nous pratiquons un peu d’éducation à l’alcool et au tabac, pas assez et le marketing n’arrange rien. Dans d’autres cultures, on pratique la même éducation pour l’opium, la coca, le kava, le khat, les cactus ou les champignons. C’est un des rites initiatiques de sortie de l’enfance. Avec la mondialisation, il convient d’enseigner sur toutes les drogues car elles peuvent un jour surgir dans la vie de chacun. Les parents et les enfants doivent apprendre à vivre avec la drogue pas nier le phénomène.
Dans le cadre festif, il est donc important de ménager une longue transition à la fin de l’événement et de ne pas virer prestement les participants. Le chill-out doit pouvoir fonctionner longtemps après le son. Il ne doit pas être trop petit ou collé aux enceintes. Les organisateurs doivent faciliter le travail des structures festives de RDR et leur offrir l’espace et les commodités indispensables.
L’importance d’un bon dispositif de RDR
Dans les sociétés qui usent couramment d’hallucinogènes, le shaman est là pour ramener les âmes perdues et éviter les bad trips. Il y a peu de vrai shaman dans les teufs, encore moins au pied des cités ou devant les lycées. Beaucoup d’usagers, surtout jeunes, n’ont pas confiance dans les médecins généralistes et ont peur des psychologues et des psychiatres. Il faut dédramatiser et faciliter l’accès au soin. Une dépénalisation de la consommation faciliterait grandement la tache.
Il faut restaurer la confiance dans la prévention et l’information et la diffuser plus largement. Trop de consommateurs sont encore sous-informés et vivent dans la crainte. La prohibition est pour beaucoup dans les angoisses et la parano. L’usage-partage et le petit deal fait souvent partie du parcours classique. La peur de la répression fait mal triper. Il faut rétablir l’usager dans sa citoyenneté pour prévenir bon nombre de risques, y compris psychiatrique.
Nouvelle tendance : ethnobotanie shamanique et synthèses à gogo
Pendant longtemps, l’usage des plantes magiques ne sortait pas de cercles d’initiés et se pratiquaient dans de bonnes conditions d’auto-support et de RDR. A la suite de certains articles dans la presse branchée, de nombreux expérimentateurs ont trouvé la substance par Internet ou dans quelques échoppes spécialisées. On trouve facilement des kits pour faire pousser ses champignons à la cave, de la salvia divinorum ou du peyotl. La crainte des produits de coupage dans les synthétiques et les modes bio et shamanique expliquent l’explosion de ces consommations. L’information des usagers, des intervenants et des soignants n’est pas suffisantes.
Du coté de la synthèse, on assiste au retour de la pervitine depuis la Tchéquie, un vieux produit stimulant que même les coureurs cyclistes ont abandonné dans les années 50. Un shoot peut faire effet pendant trois jours, avec les ravages nerveux que cela implique et les phases up and down. Plus pure, elle peut aujourd’hui s’ingérer ou se sniffer, effets encore très longs. Le speed polonais est aussi pur et pas cher. De nombreux usagers recherchent la performance au risque de péter les plombs, surtout pas manque de nourriture et de sommeil. Cette tendance associée au dopage dans le sport amateur renforce le besoin de prévention.
La schizo des shiteux et les dangers psychiatriques du cannabis
Les analyses sur les saisies de la police font apparaître une augmentation du niveau moyen de THC. Il passe de 7% à 9%, les taux de 20, 25 et même 40 annoncés par les média sont bien plus rare. La moyenne hollandaise est autour de 12 %. Il est vrai que l’herbe maison indoor est souvent entre 10 et 15 %. Le hasch peut grimper à plus de trente. Ce n’est pas nouveau, il y a toujours eu des variations très importantes et des produits très forts, surtout du shit et de l’huile mais parfois des herbes. On voudrait nous faire croire que l’étalon du cannabis non nocif serait la savonnette coupée de la pire époque et l’africaine pleine de graines et de branches. Aujourd’hui la skunk est décrite comme une nouvelle drogue dure alors qu’elle existe depuis la fin de seventies. Le vrai libanais rouge d’antan était bien plus fort que notre skunk industrielle. Il faut que l’usager soit capable de reconnaître les produits et d’ajuster le dosage. Un système réglementer permet de titrer les produits et d’informer le consommateur. Une fois encore, l’accident vient de l’ignorance.
Il n’existe pas de d’étude fiable établissant un lien direct entre le taux de THC et la schizophrénie ou d’autres pathologies graves ( Rapport sénatorial canadien et Rapport fédéral suisse sur le cannabis, 2004). Les troubles d’un surdosage accidentel sont réversibles. L’étude suédoise qui a affolé le milieu est déjà contesté par Mitch Earlywine et son équipe de l’université de Californie ou l’équipe israélienne de Weiser et Noy. Comme beaucoup d’études l’établissaient déjà par le passé, les évolutions pathologiques du système cannabinoïde chez les patients schizophrènes est associée à la fois à une augmentation des taux de consommation de cannabis et à une augmentation du risque de schizophrénie, sans que le cannabis ne soit un facteur causal de schizophrénie. Certains penchent plus pour une forme d’automédication. La vérité n’est pas établie, elle concerne entre 0,1 et 1% des usagers. Il faut relativiser.
D’un point de vue de RDR, le cannabis est dangereux parce qu’il est fumé, souvent en association avec une drogue très problématique comme le tabac. Il faudrait faire la promotion de la vaporisation et de l’ingestion, avec les risques de surdosages pour des produits non titrés. Plus le produit est concentré, moins il faut en fumer pour obtenir l’effet recherché. C’est donc moins cancérigène. De plus, l’usager de cannabis est conscient de son état et peut assez facilement l’adapter en fonction des nécessités. Par exemple pour la conduite, Si le niveau d’effet est fort, il ne va pas conduire et après le pic il va adapter sa conduite à ses capacités. Ce n’est pas le cas avec l’alcool. Des études hollandaises, belges ou américaine constatent ce phénomène et privilégient l’approche comportementale au test de détection. Bien loin de l’hystérie française, (note d’après conférence : Répression et hystérie très injuste d’après l’étude de l’OFDT qui place le risque du joint sans préciser le dosage à égalité avec 0,5 d’alcool. Toujours l’inégalité flagrante de traitement selon les substances d’élection.)
Pour conclure, je dirais que l’abus de cannabis jusqu’au malaise fait partie des rites pour se fixer des limites ou procèdent d’une méconnaissance du produit ou de la peur de son image d’usager dans la société. Un gros travail d’information et de dialogue reste à accomplir.
Laurent Appel