Bernard Rappaz «sauvé» malgré lui
Même si sa grève de la faim le tue, Bernard Rappaz ne veut pas être réanimé. Le Valais le transfère et ne respecte pas cette volonté.
C’est un coup de théâtre. Hier matin, Bernard Rappaz a été transféré par hélicoptère du quartier carcéral des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) au quartier carcéral de l’Hôpital de l’Ile à Berne. Dans un seul but: lui sauver la vie, contre sa volonté. Après plus de 100 jours de grève de la faim, l’état du chanvrier est désastreux. Mais Bernard Rappaz a signé un testament biologique qui stipule qu’il ne veut être ni réanimé ni nourri de force. Des volontés que les médecins genevois s’étaient engagés à respecter. Ce n’est manifestement pas le cas des Bernois. Esther Waeber-Kalbermatten (PS/VS), conseillère d’Etat en charge du dossier, explique avoir «obtenu l’accord de principe des médecins de l’Hôpital de l’Ile pour que soient prises, en cas de nécessité, les mesures urgentes propres à sauvegarder la vie de Bernard Rappaz.» Faut-il comprendre qu’il sera nourri de force? «C’est exclu, réagit la conseillère d’Etat. Il s’agit de le réanimer, de lui sauver la vie si nécessaire. Pas de l’alimenter malgré lui.»
Etonnant, venant de celle qui affirmait il n’y a pas si longtemps que, si la grève de la faim du chanvrier devait le tuer, elle respecterait son choix… Un changement à 180 degrés? «Non, répond-elle. J’ai toujours dit que nous respecterions ses volontés. Le problème, c’est que ses volontés ne sont pas claires. Il signe des directives anticipées stipulant qu’il ne veut pas être réanimé. Et en même temps répète dans les médias qu’il ne veut pas mourir, qu’il aime la vie. C’est incohérent. Entre notre devoir de respecter sa liberté, peu claire, et notre devoir de veiller à la santé des détenus, j’ai tranché pour le second.» La conseillère d’Etat a donc trouvé une astuce. Elle ne cède pas, n’accordant pas d’interruption de peine au chanvrier. Mais s’assure de ne pas se retrouver avec un mort sur les bras.
Rappaz nous écrit
Une astuce qui scandalise Boris Ryser, l’ami du chanvrier. «Ça va à l’encontre des volontés de Bernard. Dimanche, il était abominablement amaigri, méconnaissable, mais sa tête fonctionnait parfaitement. Et, même si le transfert était secret, il s’en doutait. Il pensait aller à Sion. C’est à Berne, mais c’est pareil: l’Hôpital de l’Ile est aux ordres du pouvoir valaisan, et je suis sûr qu’ils vont le nourrir de force. Même s’ils attendent qu’il tombe dans le coma pour se donner bonne conscience, c’est de la torture!»
Un avis partagé par… le principal intéressé. Vendredi, alors qu’il était encore aux HUG, Bernard Rappaz a écrit au «Matin». Une lettre titrée «Alimentation forcée - Rappaz accuse», que nous avons reçue hier. «La cheffe du Département de la sécurité (…) cherche un médecin-bourreau et une salle de torture à Sion», écrit le chanvrier à propos d’alimentation forcée. «Je soulève la question humanitaire des droits de l’homme, bafoués par cette pratique moyenâgeuse digne des dictatures telles Cuba, qui l’applique encore ces jours sur ses prisonniers politiques. Cette torture permet juste de repousser de 30 à 60 jours la mort du supplicié.» Et de conclure: «Avant de finir mes jours en martyr, j’en appelle au bon sens des citoyens.»
Alimentation forcée ou pas? A l’Hôpital de l’Ile, on refuse tout commentaire. Une certitude: l’horrible feuilleton Rappaz est loin d’être terminé.
«On me sauve, on le laisse crever!»
«On me sauve. Lui, on le laisse crever! Au nom de quoi?» Manuella Crettaz, 48 ans, a connu le même parcours que Rappaz. Sauf qu’elle a été libérée le 14 mai. «Je suis écœurée. J’ai aussi effectué une grève de la faim. Je suis aussi passée par le quartier carcéral des HUG et celui de l’Hôpital de l’Ile. Mais, après 119 jours de grève de la faim, le juge d’application des peines vaudois m’a octroyé une interruption de l’exécution de ma peine de 3 à 6 mois pour motif grave, selon l’article 92 du Code pénal. Or la justice valaisanne vient de décréter qu’elle ne pouvait pas s’appuyer sur cet article pour libérer Bernard Rappaz. C’est scandaleux! On parle d’une loi suisse qui doit être la même pour tous.»
Article originellement publié le 12 juillet 2010, 22h03
par Renaud Michiels pour le journal Le Matin.