Dans un exercice exemplaire de démocratie directe, les Californiens se sont prononcés début novembre contre la proposition 19 qui visait à abolir la prohibition du cannabis, et à réglementer sa commercialisation. Décryptage.Après que le Oui ait caracolé en tête durant de nombreux mois, les sondeurs avaient observé un retournement de tendance quelques semaines avant le vote, jusqu'au résultat final : la victoire du Non par 53,9% contre 46,1%. Sur 17,3 millions de votants inscrits, le Oui a récolté 4 209 662 voix, quand le Non en recevait 4 909 154. Ce résultat a été accueilli avec dépit par la jeunesse californienne qui a dans sa très grande majorité voté pour le Oui. Pourtant, malgré cette défaite, un certain optimiste régnait parmi les partisans de la légalisation.
Tout d'abord, la campagne pour le Oui a eu un effet concret : l'idée est passée dans la société que criminaliser les consommateurs de cannabis était inefficace et absurde. Quelques temps avant les élections, une des dernières lois votées par Arnold Schwarzenegger aura donc été de décriminaliser la consommation de marijuana : désormais un simple consommateur ne risque plus la prison mais une amende de 100 dollars, soit l'équivalent d'un excès de vitesse. A noter que cet assouplissement de la loi a probablement permis d'amener vers le Non de nombreux indécis.
Par ailleurs, cette campagne a été riche d'enseignements, qui seront utiles pour les initiatives à venir. En effet, malgré sa pondération et une réglementation très éloignée d'une légalisation sauvage, la proposition 19 a pâti de certaines failles, exploitées par les partisans du Non. Bien qu'elle interdisait la conduite d'un véhicule sous influence du cannabis, cette interdiction n'était pas assez précise et encadrée. Les nonistes ont donc eu beau jeu de répéter en boucle que si la proposition passait, il serait impossible de refuser un emploi de conducteur de transport scolaire à un fumeur de cannabis, tout comme il serait difficile de vérifier si cet employé fumait juste avant de prendre le volant, conséquence de la relative inefficacité de tests anti-cannabiques.
De plus le Non a reçu un soutien inattendu de la part de l'industrie du cannabis médical : notamment les propriétaires de dispensaires (lieux où sont distribués sur ordonnance des sachets de cannabis thérapeutiques) et certains producteurs, avaient publiquement désapprouvé la proposition 19, arguant d'un marché incontrôlable si celle-ci passait. En bref : la peur de voir fondre leurs revenus.
Autre enseignement de la campagne : les soutiens à la proposition 19 ont été souvent trop tardifs. L'exemple emblématique est celui de George Soros, célèbre multimilliardaire, qui a attendu les derniers jours pour faire part de son soutien à la proposition 19 et pour effectuer un don d'un million de dollars pour des campagnes publicitaires en faveur du Oui.
Le Non a donc gagné, mais les anti-prohibition en sont persuadés : le temps joue pour eux. Tout d'abord, la jeunesse, et donc l'avenir du pays, a perçu les bénéfices que retirerait la société de la fin de la prohibition. Ensuite, la guerre contre la drogue étant un échec sanglant qui dure depuis 70 ans, et qui promet de verser encore des hectolitres de sang, ils pensent que cette accumulation amènera mécaniquement une partie des votants à envisager une alternative à une prohibition qui a largement fait la preuve de son inefficacité. Avec en ligne de mire les élections de 2012, pour un projet mieux ficelé et mieux défendu.
Enfin, même si c'est un véritable coup d'arrêt qu'a connu la légalisation en Californie, la tendance mondiale est incontestablement à la réflexion sur la mise en place d'une politique alternative à la prohibition : dépénalisation de toutes les drogues au Portugal, généralisation du cannabis thérapeutique, appel de Vienne par des scientifiques et de médecins, déclarations de chefs d'états d'Amérique latine en faveur d'un débat, sont autant de signes qui indiquent que la planète se dirige peut-être vers un changement de paradigme sur les drogues et la meilleure façon de contrôler leurs méfaits.
Au milieu de la richesse de ces débats, la France se singularise par le non-débat et le déni de réalité (nous avons la législation la plus répressive d'Europe et le plus plus fort taux de fumeurs de cannabis). Mais qu'attendre d'un pays où l'on risque la prison pour le simple fait de dire qu'un petit pétard le soir c'est peut-être mieux qu'un bon gros somnifère...?
Source : Mediapart