Dans ce texte remarquable, le Docteur Michel Hautefeuille, éminent spécialiste français de l’abus de drogues, participe au débat sur l’augmentation du taux de THC, les notions de risques liés à l’usage, d’usage non-problématique et d’abus. En terme scientifiques et diplomatiques, c’est un appel pour une politique de soins et de prévention axée sur l’information objective de l’usager et la régulation socio-sanitaire de l’usage. A lire et à faire tourner. Laurent Appel.
Source : Chanvre-Info
Il est indubitable que les études révèlent une augmentation de la teneur en THC. Elle n’est peut-être pas aussi importante que le dit la rumeur, et nous n’avons pas retrouvé les taux de 30, voire de 35 %, de delta 9 THC parfois annoncés. Néanmoins, une étude de 2001, L’augmentation de la teneur en delta-9 tétrahydrocannabinol dans les produits à base de cannabis en France : mythe ou réalité, Mura P et al, portant sur 5 252 résultats d’analyses effectuées entre 1993 et 2000, montre cette évolution. Même si ces résultats doivent être relativisés car les méthodes de dosage ne sont pas identiques, il apparaît qu’en 1995 la teneur la plus élevée en THC observée dans une saisie était de 8,7 %. En 2000, 3% des échantillons d’herbe et 18% des échantillons de résine analysés contenaient plus de 15 % de THC.
Il est évident qu’en fonction de ses concentrations en THC, le cannabis produit des sensations et des manifestations cliniques différentes. C’est une des raisons pour lesquelles il serait utile que tout consommateur connaisse la composition et le dosage exact de ce qu’il consomme. Être confronté à une symptomatologie hallucinatoire quand seule une discrète ivresse cannabique est recherchée peut créer chez l’usager un traumatisme dont on mesure souvent mal l’importance. Mais cela est vrai pour tout produit, et tout consommateur devrait savoir ce à quoi il s’expose véritablement.
Le débat sur le cannabis est toujours houleux dans la mesure où l’esprit scientifique se trouve bien trop souvent submergé par les a priori, les considérations morales ou les intérêts particuliers. C’est en tout cas l’ambiance qui préside lorsque l’on parle de la place que le cannabis a, aurait, ou pourrait avoir dans notre société. La dramatisation atteint son comble lorsque l’on sait qu’un jeune de 17 ans sur deux a expérimenté le cannabis ou que la consommation des 18-44 ans a doublé en 10 ans. Le débat fait rage - pour autant que l’on puisse parler de débat - entre les tenants du cannabis comme objet du diable porteur de toutes les déchéances et de tous les vices et ceux qui revendiquent la totale innocuité de ce produit. Il existe aujourd’hui un consensus pour dire que le cannabis n’entraîne pas obligatoirement un usage irrépressible, catastrophique et incontrôlable. Comme le montrent les études de l’OFDT, parmi les 14-75 ans, les 6 400 000 expérimentateurs (± 300 000), auxquels s’ajoutent les 3 200 000 usagers occasionnels (± 200 000) et très probablement certains usagers réguliers ou quotidiens, sont là pour nous le rappeler. Ces personnes ont un usage du cannabis qui ne pose cliniquement aucun problème, pas plus qu’il n’en poserait un socialement si ce n’était le statut particulier du produit. La prohibition qui le frappe nous interdit de définir ce que pourrait être un usage non-problématique - un usage normal, pourrions-nous dire - de cannabis.
Dans un tel contexte, il n’est pas facile de définir ce que pourrait être un usage problématique de cannabis et de définir des paliers d’usage permettant de déterminer au-dessus de quel niveau un comportement devient pathologique. Dans un premier temps, nous pourrions penser que l’usage problématique sous-entend une dimension d’abus. Mais, comme le fait remarquer Nahoum-Grappe, Dictionnaire des drogues, des toxicomanies et des dépendances, Paris, (1999), le terme d’abus ne relève pas du registre du médical ou du scientifique. Cette notion porte en elle une part de condamnation morale. Elle sanctionne, pour chaque conduite d’usage, ce moment particulier où le plus devient trop, c’est-à-dire le moment de ce raccourci fulgurant où le quantitatif se transforme en qualitatif, où le trop ne renvoie plus à une notion comptable mais à une notion morale de l’ordre de la faute. Le trop, c’est la transgression de la norme, norme définie par ces points de vue présentés comme fondateurs du consensus social et que notre société s’auto-administre en permanence, consensus dont Jean Dugarin rappelle qu’il est la forme moderne de l’autocensure.
Dans un deuxième temps, nous pourrions penser que les termes d’usage problématique renverraient plutôt à la notion de nocivité. Michel Reynaud considère l’usage nocif comme la résultante de l’interaction de trois facteurs rappelant l’équation à trois inconnues formulée par Claude Olievenstein : un produit, une personnalité, un moment socioculturel. Le premier facteur de risques est celui lié au produit, qui est double : risque de dépendance et risque d’apparition de complications sanitaires, psychologiques ou sociales. Le second est représenté par les facteurs individuels de vulnérabilité qu’elle soit d’ordre psychologique, psychiatrique, biologique ou génétique. Et enfin le troisième regroupe les facteurs de risques environnementaux tels les facteurs sociaux, familiaux et socioculturels.
Quoi qu’il en soit et quel que soit le statut des produits, il n’en demeure pas moins qu’en matière de drogue, plus que le produit lui même, c’est l’usage qui prévaut. Il y aura donc toujours des usages problématiques qui nécessitent des aides et des prises en charge et d’autres pour lesquels aucune intervention spécifique ne sera nécessaire.
Dr Michel Hautefeuille
Patricien hospitalier au centre médical Marmottan, Paris.
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