Lancé en 1976 pour la légalisation du cannabis, l'Appel du 18 joint est relancé, alors que la France reste l'un des pays européens les plus répressifs.
Source : Libération
Combien seront-ils dimanche sur la pelouse de la Villette à Paris, à se mettre «en pétard» contre la pénalisation des fumeurs de joints ? Jean-Pierre Galland, président du Collectif d'information et de recherche cannabique (Circ), qui a lancé les invitations, ne se fait pas trop d'illusions. Il espère néanmoins que cette célébration de «l'Appel du 18 joint», lancé il y a trente ans par Libération, relancera le débat sur la dépénalisation du cannabis. Le 8 juin, Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, a admis que la législation actuelle était inappliquée et a conclu à la nécessité de réviser la loi de 1970 qui punit de un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende l'usage de stupéfiants. Le PS, lui, promet d'ouvrir un vague débat «sur la pertinence d'une régulation publique».
En 1976, l'Appel demandait la «dépénalisation totale du cannabis» et «l'ouverture de centres d'informations sur les psychotropes». Il avait recueilli environ 2 500 signatures. Version 2006, l'Appel tient à peu près le même discours, «l'usage en privé est toujours interdit et la chasse aux amateurs est ouverte toute l'année». Mais trente ans après, beaucoup d'ex-signataires manquent à l'appel. Parce qu'ils sont morts, parce qu'ils font les morts. Ou parce que, comme l'écrit à Galland ce directeur de recherche au CNRS, «j'ai appris des choses en trente ans. [...] Les connaissances changent, les façons de se faire plaisir aussi [...]. Cela ne m'empêche pas d'approuver toute résistance contre une répression qui serait menée contre ceux qui ne portent atteinte qu'à eux-mêmes». Réaction du destinataire, cela «résume assez bien l'état d'esprit trente ans plus tard». A l'époque, André Glucksmann avait signé. Isabelle Huppert et Maxime Leforestier aussi. Philippe Val (Charlie Hebdo) ou Bernard Kouchner (à l'époque fondateur de Médecins du monde) en étaient également. «Ils étaient jeunes, ils ne le sont plus. Leur position a changé, entre temps, ils ont fait des enfants. Ils trouvent que le cannabis pose des problèmes de santé.» Trente ans plus tard, quelques artistes toujours, des intellectuels encore, de nombreuses associations pour la réduction des risques, et désormais «pas mal de politiques», note Jean-Pierre Galland. Jeunes Verts ou LCR pour la plupart. Mamère, Besancenot oui, Voynet non. Car si comme le dénonce l'Appel 2006, «les discours officiels n'ont pas évolué», les pratiques si.
Luxe. Léon Mercadet, journaliste à Canal + et signataire des deux appels, se souvient qu'en 1976 le cannabis «était une drogue de luxe». Quelques milliers de personnes grand maximum. «Le rapport Pelletier de 1978 considérait que les fumeurs de cannabis n'étaient que de jeunes contestataires en pleine crise d'adolescence. Il préconisait de ne pas les envoyer en prison et jugeait inutiles les traitements thérapeutiques», raconte Anne Coppel, sociologue. Jusqu'à l'épidémie de junkies aux drogues dures dans les années 80. En 1986, Chirac veut faire la guerre aux stupéfiants. «Pour la première fois, la classe politique a voulu appliquer la loi de 1970», continue Anne Coppel. La prison ou l'injonction thérapeutique. Héroïnomanes ou fumeurs de joints, «tout le monde dans le même sac». Grâce aux traitements de substitution, les héroïnomanes ont quitté la rue. Les fumeurs, eux, ont décuplé. D'après les estimations de l'OFDT, ils sont presque 4 millions à fumer occasionnellement chaque année. Entre 1990 et 1999, la police en interpelle environ 320 000 pour usage. Et plus de 380 000 entre 2000 et 2005.
Frein. «Les sanctions tombent majoritairement sur les usagers de cannabis (91 %), note Anne Coppel. C'est inutile en terme de sécurité publique, mais ça fait du chiffre.» Inutile aussi en terme de santé publique : la France est l'un des seuls pays d'Europe où le nombre de fumeurs de cannabis augmente. Parce qu'ici, «on ne croit pas à la prévention, analyse-t-elle. Or si les gens ne consomment pas, ce n'est pas à cause de la répression, mais à cause de la réalité des risques.» Elle cite les problèmes de concentration, de mémoire, les émotions exacerbées... «Les pays qui ont lancé de bonnes campagnes de prévention s'appuient sur cette préoccupation nouvelle de la population pour les problèmes de santé publique. C'est le meilleur frein à la consommation de psychotropes.»
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