Le 31 mai, l’un des plus importants militants du mouvement de légalisation du cannabis au Canada, Marc Emery, s’est rendu au tribunal pour que soit déterminée la date du jugement devant décider de son extradition. Gregory Williams, un des co-accusés, n’ayant pas d’argent pour payer sa défense, l’audience a été repoussée à la semaine prochaine. On sait déjà que la demande d’extradition devrait être examinée au fond vers la fin de l’année - et que les débats devraient durer une bonne semaine. En attendant, son site de vente de graines de marijuana, basé à Vancouver, a été fermé par la DEA (Drug Enforcement Administration), la police mondiale des drogues américaine qui le persécute.
Source : Etat d'Urgence
Fondateur du Marijuana Party, éditeur, entrepreneur et activiste tous azimuts, Marc Emery aura été arrêté en juillet dernier par la police montée canadienne, dans une opération conjointe avec la DEA, qui mène sa guerre contre les drogues avec détermination. Il est poursuivi pour avoir vendu cinq millions de graines de marijuana à travers le monde, dont trois millions aux Etats-Unis et pour avoir “blanchi” son argent, qu’il reversait en fait à des associations qui luttent pour la légalisation.
Né en 1958, dans une ville du nom de London, dans la région de l’Ontario, au Canada, le petit Marc Emery fait ses débuts dans la presse en vendant des journaux. Il quitte l’école à 17 ans pour racheter un magasin de livres d’occasion, qu’il rebaptise City Lights Bookstore, du nom de la librairie mythique des beatniks de San Francisco. Son magasin remportera très vite un grand succès. On est au milieu des années 70 : il commence à fumer de l’herbe de manière occasionnelle « parce qu’elle permet une certaine édification que l’alcool et les autres drogues ne permettent pas ». En 1980, mécontent de la façon dont on rend compte de son action dans les médias locaux, il fonde un premier journal, le London Tribune. Ce journal disparaîtra un peu moins d’un an plus tard, mais Emery en lance un deuxième, le Metro Bulletin, critiqué pour ses articles au vitriol et ses attaques personnelles.
Dès 1979, sa passion politique le pousse à s’engager pour le NDP (National Democratic Party), et, en février 1980, il se présente à l’élection fédérale de sa ville, en tant que candidat libertaire. En 1983, lorsqu’une association féministe puritaine demande une loi interdisant la vente d’articles pornographiques à London (Ontario), Emery s’y oppose en s’appuyant sur le fait que la majorité des vendeurs de journaux ont besoin des revenus liés à la pornographie pour vivre. Et quand la police organise des descentes dans les boutiques à la recherche de matériel porno, Emery exhorte les propriétaires des magasins à résister et à s’organiser...
En 89, il ferme son magasin une journée en protestation contre la sauvage répression des étudiants démocrates, place Tienanmen. Un peu plus tard, il appelle les citoyens canadiens à brûler leurs bulletins de vote, et à la Noël 90, il clame qu’il abandonne la politique, considérant le système démocratique vain - et inapte à changer les choses. Il poursuivra toutefois ce qu’il convient d’appeler un engagement de tous les instants. Ces péripéties et la personnalité hors du commun d’Emery finissent par susciter la curiosité au point où un producteur, Christopher Doty, réalisera, en 1992, un documentaire sur sa vie et, plus récemment, en 2005, en collaboration avec l’auteur Jason Rip, une pièce de théâtre.
Dès le début de ses activités de combattant pour la liberté du cannabis, Emery en assume l’aspect illicite. Il considère que le fait de faire pousser, ou de fumer de l’herbe, et plus encore d’informer honnêtement et librement ses contemporains sur toutes les drogues, sont des droits naturels.
Au début des années 90, il quitte son London natal, pour tenter l’expérience d’ouvrir une guest-house en Inde - qui ne marchera pas. Il revient, sans un sous, au Canada, mais cette fois à Vancouver. Il y ouvre une nouvelle boutique, Hemp BC, qui déclenchera une sorte de révolution culturelle dans la grande ville portuaire de l’est canadien, transformée en peu de temps en véritable deuxième Amsterdam. Il y lance un nouveau magazine, Cannabis Culture - qui deviendra rapidement un des meilleurs parmi ceux qui sont consacrés au sujet, mondialement. Puis une chaîne de télévision, Pot TV - que l’on peut trouver sur son site www.pot-tv.com, cannabisculture.com. Et surtout il y développera un marché de graines de cannabis, extrêmement prospère.
Emery provoque la police et la magistrature censées appliquer les lois réprimant la vente et la circulation d’articles reliés à la marijuana. Il ira même jusqu’à... porter plainte contre lui-même pour vente illicite de littérature sur les drogues, plainte classée sans suite par les autorités canadiennes. L’heure ne semble pas à la répression. Sur ses déclarations d’impôts, Emery paye ses taxes explicitement pour la vente de graines de cannabis qu’il déclare.
Car des graines, il en vend ! Et pas qu’un peu, s’il vous plaît. Avec un revenu annuel moyen de trois millions de dollars, ce militant très actif, a l’honneur de faire partie de la liste des 46 hommes les plus recherchés au monde par la DEA, aux côtés de divers « gros bonnets » de la cocaïne sud-américaine (ou de l’héroïne asiatique). Après les raids policiers de 96 et 98 sur sa boutique de Vancouver, il commence à vendre ses graines par courrier et par internet, stratégie qui lui vaut d’autant plus de succès - un succès mondial.
Pourtant on ne voit chez lui ni palace ni voiture de luxe, tous ses biens étant loués et lui-même ne possédant rien, car les bénéfices qu’il retire de son commerce sont entièrement consacrés à la cause de la réforme des lois du cannabis. Internationalement reconnu, il est devenu un contributeur financier majeur de nombreux mouvements pro-cannabis en Amérique du Nord et dans le monde. Et c’est peut-être bien pour cela que le gouvernement américain tente aujourd’hui de mettre définitivement un terme à ses activités pour le moins dérangeantes.
Le problème se pose dès lors de l’abyssal décalage entre les législations américaines et canadiennes. Au Canada, la vente de graines n’est, de fait, pas réprimée. Les deux seules personnes à y avoir jamais été arrêtées pour ce motif, sont, justement, Marc Emery, et Ian Hunter, un autre militant, qui sera condamné à une amende de 200 dollars canadiens. De l’autre côté de la frontière, les autorités mènent, comme on sait, une guerre sans pitié contre toutes les drogues, sous toutes leurs formes. C’est ainsi que Marc Emery et ses co-accusés, Michelle Rainey et Gregory Williams, y risquent de 10 ans de prison jusqu’à une peine de perpétuité, aux termes de la loi. Précisons que Michelle Rainey souffre de la maladie de Crohn, et fume légalement de l’herbe médicinale. Elle pourrait bien ne pas survivre aux durs traitements infligés dans les prisons américaines...
Emery nous déclare qu’il estime risquer, lui comme ses camarades, au moins 35 ans de prison...Quiconque vend plus de 60 000 graines se voit automatiquement considéré comme un « kingpin » (“parrain”) par la loi américaine, explique-t-il. S’ils n’étaient “protégés” par le droit extraditionnel, et par le fait que la peine de mort n’existe pas au Canada, ils pourraient encourir rien de moins que la peine de mort... Il faut espérer que la procédure d’extradition sera longue : si le juge, à la fin de cette année, décide d’avaliser l’extradition d’Emery et de ses deux compères, ils feront appel. Pendant ce temps, le « caïd de la drogue » est toujours en liberté sous caution. Mais les Etats-Unis ont-ils le droit d’arrêter, hors de leur territoire, un citoyen étranger pour des délits commis dans un pays étranger ? Certes, Emery a vendu par correspondance plus de 3 millions de graines aux Etats-Unis, mais il n’en a pas moins violé la loi canadienne avant tout. Et ce n’est certainement pas faute de preuves qu’il n’a pas été arrêté.
Interrogé sur la question de savoir s’il se sent responsable de la marijuana qui a poussé aux USA à partir de ses graines, il déclare que non seulement il s’en estime responsable, mais qu’il en est fier, même si les personnes qui ont effectivement fait pousser l’herbe sont au moins aussi responsables que lui. Il se dit également prêt à endosser la responsabilité « de toute l’herbe poussée dans le monde depuis la nuit des temps ».
Emery, inébranlable, considère ce procès comme une occasion inespérée de faire avancer la cause de la légalisation, puisqu’elle entraîne plus de monde à porter attention aux problèmes du cannabis. Il dit qu’« il faut une crise pour que les choses avancent ». Cependant, il craint fort que les tribunaux soient tentés d’accepter son extradition. Le gouvernement canadien, conservateur, aura été suffisamment docile jusque-là pour céder à la pression américaine.
Si Marc Emery fait l’objet de ces poursuites, c’est très évidemment dans le but d’a-trophier le mouvement cannabique canadien. Karen Tandy, administratrice de la DEA, ne le cache pas : « Les lobbyistes de la légalisation de la drogue ont maintenant une source d’argent en moins sur laquelle compter. » On peut en effet attribuer à Emery, non seulement d’avoir inlassablement animé le débat, mais carrément d’avoir permis un assouplissement considérable des lois anti-marijuana au Canada : aujourd’hui fleurissent des « Hemp Stores » partout dans le pays, grâce à l’abolition de la loi interdisant les articles cannabiques.
Il s’agit bien d’une arrestation politique dont l’initiative vient d’un pays sur lequel ce n’est pas la première fois qu’on peut se demander s’il ne veut pas faire la police du monde. Que dit Emery ? « Si vous allez à l’encontre du programme politique des Etats-Unis, vous risquez fort bien d’être enfermés dans les geôles américaines, comme de nombreux citoyens du monde entier ». « Les fumeurs sont une menace politique pour les gouvernements et c’est ainsi que le voient les gouvernements conservateurs comme ceux des Etats-Unis, d’Australie et de France. »
En attendant la décision finale de la justice canadienne, maintenant que sa boutique de graines en ligne est fermée, Emery se consacre à développer les autres entreprises qu’il a crées, comme Pot TV, ou le nouveau vapor lounge , au premier étage de sa maison, où il invite les fumeurs à tester toutes sortes de bongs et de vaporisateurs. Cet infatigable travailleur se décarcasse pour rendre ses entreprises auto-suffisantes. Car son problème principal, aujourd’hui, ce n’est pas tant l’extradition qui lui pend au nez, mais de gérer tous ses employés, et de payer ses dettes, alors qu’il a été privé de sa principale source de revenus.
Si vous voulez protester et aider Emery et ses compagnons dans ce procès qui concerne tous les fumeurs, tous les partisans d’une réforme des lois du cannabis, comme toutes les personnes respectueuses des droits humains, il ne vous reste plus qu’à vous rendre sur le site www.cannabisculture.com. En espérant que ce militant de toujours ne devienne pas un martyr vivant de sa cause.
Alain Bolo
Articles parus sur CannaWeed :
Liberté pour Marc Emery, un militant canadien producteur de graines de cannabis.
Le « prince du pot » menacé d’extradition
Mise à jour de la situation canadienne relative à l’extradition de Marc Emery