Dans son superbe bureau de style baroque classique, les lustres en cristal tintent quand Gerd Leers s'emporte. Et il ne faut pas pousser le maire de Maastricht. L'évocation de la plainte déposée contre lui, devant la justice néerlandaise, par sept municipalités belges - flamandes et wallonnes réunies - met hors de lui ce démocrate-chrétien bon genre : "Ces responsables belges sont de purs hypocrites."
Source : Le Monde
A quelques kilomètres de là, Marcel Neven, maire libéral de la commune wallonne de Visé réplique : "Leers tient des propos lamentables, lâches, sans scrupule." Désormais, c'est le tribunal administratif de Maastricht qui devra régler le différend. La première audience a eu lieu mardi 26 février. Au coeur des débats, le projet de construction d'un "supermarché de la drogue", à quelques centaines de mètres de la frontière. Le dossier empoisonne les relations dans ce bout de territoire enclavé où se côtoient Néerlandais, Allemands et Belges wallons et flamands.
M. Leers entend édifier un magasin de plus de 2 000 m², sur deux étages, avec un parking pour 700 voitures ; un "coffee-corner", où on vendra le cannabis que l'on trouvait jusqu'ici au Mississippi, au Smoky ou au Smurf, des établissements connus des 4 000 "touristes du joint" qui défilent chaque jour à Maastricht. Deux autres implantations sont prévues au nord et à l'ouest de la ville.
La politique néerlandaise de tolérance attire depuis longtemps tous ceux qui entendent contourner les interdictions légales en vigueur dans leur pays : Belges, Allemands, Français, voire Italiens, qui fréquentent en masse la quinzaine de coffee shops de la ville. Le chiffre d'affaires de certains de ces établissements s'élève à 400 000 euros par mois.
Le maire de Maastricht affirme avoir d'excellentes raisons pour réviser les implantations des points de vente. Il entend les éloigner des écoles et des zones habitées et réduire les "surconcentrations" d'accros au cannabis dans son centre-ville. Il veut aussi mieux contrôler les établissements, déjà soumis selon lui à une surveillance rigoureuse. Dix coffee shops ont perdu leur autorisation depuis 2002.
"HYPOCRISIE"
Désormais, le maire veut agir contre les "drug runners", des bandes criminelles et violentes qui repèrent les touristes étrangers bien avant la frontière et tentent de les orienter vers des points de vente clandestins, où l'héroïne, la cocaïne et le speed côtoient les drogues présumées douces.
La présence de ces revendeurs près de leurs communes inquiète les maires belges, soutenus par les provinces de Liège et du Limbourg et par les ministres fédéraux de la justice et de l'intérieur. Ils font pression sur les Néerlandais afin qu'ils cassent la décision du maire de Maastricht. En 2007, le premier ministre Guy Verhofstadt a écrit une lettre furieuse à son homologue, Jan Peter Balkenende. "Je suis soutenu par le gouvernement et mon conseil municipal, unanime", réplique M. Leers.
"Les Néerlandais croient qu'ils dominent le problème de la drogue mais leurs coffee shops n'ont fait qu'encourager la naissance de trafics qui leur échappent", s'énerve le maire de Visé. Marcel Neven évoque l'ampleur des saisies de drogues dures et la tentation accrue à laquelle seront soumis les lycéens de sa ville. Il récuse les études produites par les Néerlandais.
Celles-ci affirment que 13 % des jeunes Néerlandais seulement consomment régulièrement du cannabis, pour 17 % des Belges et 21 % des Français ; que la tolérance des Pays-Bas à l'égard des drogues douces limite le passage aux substances dures ; et, surtout, que c'est la politique répressive des pays voisins qui entraîne un afflux de clients vers les Pays-Bas.
"Les Belges disent à leurs consommateurs qu'ils peuvent avoir dans leur poche trois grammes de haschisch pour leur consommation personnelle. Mais où peuvent-ils les acheter, sinon aux Pays-Bas ?", interroge M. Leers. Il dénonce tout autant "l'hypocrisie des Français" : "Où est le résultat de leur politique ? Dans le renvoi des consommateurs vers les mafias qui les encouragent à prendre des drogues dures."
Les maires wallons et flamands somment Maastricht de respecter le code de "bon voisinage" évoqué dans les accords de Schengen. "Pure théorie, qui ne résout rien, réplique M. Leers. Ici, j'ai affaire à quatre pays ou régions, qui appliquent tous des règles différentes en matière de drogue. C'est cela le vrai problème."
Jean-Pierre Stroobants