Avec la marque « Ganja Farm », Pilar Sánchez produit des médicaments qui ont soulagé les douleurs de plus de 400 patients atteints de sclérose et de diabète.
Tout bien considéré -et malgré le fait que sa création ait nécessité plus de 40 millions de pesos, l'aspect rustique du laboratoire de Ganja Farm est une allégorie du stade expérimental dans lequel se trouve l'usage médicinal de la marijuana en Colombie.
Et bien que la loi 30 de 1986 autorise à cultiver jusqu'à 19 plantes à des fins médicinales, presque 30 ans après son abrogation il n'existe toujours pas de règles claires qui indiquent comment mettre ce principe en pratique.
Au milieu de l'an dernier, le sénateur Juan Manuel Galán a présenté au Congrès un projet de loi ayant pour objectif de créer des méthodes, afin de réguler la production et la commercialisation de produits à base de marijuana à des fins médicinales et thérapeutiques.
La démarche s'est toutefois retrouvée reléguée au second plan des débats, et les entreprises comme Ganja Farm doivent toujours faire face à de nombreux obstacles pour pouvoir travailler normalement.
« Bien que nous ayons un certificat de la Chambre de Commerce, nous n'avons toujours pas pu nous inscrire au registre de l'Invima (Ndt : Institut de Veille Sanitaire colombien) car ils n'ont même pas encore envisagé que l'on puisse produire ce type de médicaments », nous explique Pilar.
Pourtant, des médecins comme José Nel Carreño prescrivent à certains de leur patients des produits de chez Ganja Farm.
Carreño est un neurochirurgien spécialisé dans le traitement des douleurs chroniques, et qui accorde du temps à la recherche sur les propriétés médicinales du cannabis. Ceci l'a conduit à prescrire des huiles de marijuana à deux femmes atteintes de sclérose et de diabète, dont les douleurs étaient si fortes qu'aucun traitement conventionnel ne pouvaient les soulager.
« Bien que les douleurs n'aient pas totalement disparu, leur intensité s'est considérablement réduite depuis qu'elles ont commencé à utiliser ces médicaments », nous dit le médecin.
Le docteur Carreño reconnaît que chez Ganja Farm : on travaille très sérieusement ; que ce soit sur les aspects techniques et scientifiques relatifs aux extractions de résine, ou au niveau de la commercialisation -uniquement réservée aux patients bénéficiant d'une ordonnance et d'un suivi médical.
«En ce sens, je pense qu'ils sont sur la bonne route », affirme t’il.
Cependant, il déplore que les obstacles rencontrés pour élargir ce type de projets ne soient pas uniquement dus à l'aspect législatif, mais également à la profonde ignorance de la société vis à vis des propriétés de ce type de plantes.
« L'échec de la guerre contre le narcotrafic a eu des effets si pervers, que j'ai pu entendre des collègues dire -sur le ton de la plaisanterie- à leurs patients, souffrant de douleurs chroniques, que j'étais le Jivaro qui allait leur administrer la drogue qui allait les défoncer», nous raconte le docteur Carreño, avec une certaine indignation. Puis de conclure : « si c'est ce que pensent les gens qui sont sensés en savoir le plus sur ce sujet, alors imaginez la confusion qui règne chez les patients et les personnes à leur chevet. »
Au cœur de ce panorama, la question que beaucoup se posent est de savoir si l'ouverture concernant les usages alternatifs de plantes comme la coca ou la marijuana pourrait devenir le premier pas vers la mise en œuvre d'une politique envers les drogues qui transcenderait le prohibitionnisme dominant.
David Curtidor est le représentant légal de Coca Nasa, une entreprise qui a 18 ans d'expérience dans l'élaboration de dizaines de produits à base de feuilles de coca.
Interrogé à ce sujet, il affirme que l'industrialisation légale de ce type de plantes pourrait permettre de tirer profit d'une grande partie des presque 70 milles hectares de coca actuellement cultivées dans le pays.
“A travers notre travail, nous avons tenté d'inverser les préjugés qui se sont construits à propos de la feuille de coca, pour lui rendre sa signification ainsi que son pouvoir curatif et alimentaire », explique Curtidor.
Il croit qu'un développement du marché pour les produits dérivés de cette plante serait un levier très efficace pour combattre le narcotrafic. Curtidor est toutefois conscient que ceci ne serait pas suffisant et que des stratégies additionnelles seraient nécessaires afin d'en finir avec ce fléau.
En revanche, le chef de la police José Diaz pense qu'il est pour l'instant prématuré de parler d'alternatives à la politique antidrogue qui est en vigueur dans le pays.
Diaz, qui en tant que membre du Centre d’Études Stratégiques contre le Narcotrafic, a accompagné le processus de Ganja Farm, base son argumentation sur le fait que les graines que cette entreprise utilise sont importées des Pays Bas, ce qui signifie que la marijuana colombienne n'est pas utilisée pour produire les médicaments. Et c'est en ce sens qu'il n'est pas possible de parler d'une utilisation différente des près de 600 hectares de marijuana qui sont cultivés en Colombie.
Pilar Sanchez admet que les souches proviennent de l'extérieur mais justifie cette situation par la grande instabilité génétique qu'a causé la monoculture de marijuana à base de graines créoles. « Il y a eu tellement de mélanges et de croisements entre elles qu'il est très difficile de savoir lesquelles sont le plus appropriées pour le type de travail que nous faisons », explique-telle.
Et ceci appelle la seconde question que se pose le directeur Diaz : « a l'heure actuelle, nous avons trouvé des études sérieuse sur les souches colombiennes et leurs potentielles propriétés médicinales. Sans dénigrer les avancées que représentent des projets comme Ganja Farm, il n'en reste pas moins que cela ne représente qu'une très petite solution alternative au problème des cultures illicites. »
Cependant, cette constatation ne doit pas occulter le fait que le débat est à présent ouvert, ce qui reste un premier pas. Comme le dit le docteur Careño, « on ne peut pas prétendre régler un problème vieux de plus de 30 ans d'un coup de cuillère à pot ». Il est confiant dans le fait que tôt ou tard, la perspective va changer et qu'une nouvelle approche pour endiguer le phénomène du narcotrafic verra le jour.
D'ici-là, ses deux patientes et Marta Beatriz Torrado continueront à avoir recours à la marijuana médicinale pour soulager les intenses douleurs qu'aucune autre alternative n'arrive à apaiser.
Info Ganja Farm
https://www.youtube.com/watch?v=1d8cIBupKCc
Source: https://www.las2orillas.co/la-mujer-volvio-la-marihuana-negocio-legal-en-colombia/
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