L'Allemagne fumera-t-elle bientôt en toute légalité ?
Si le pays est en voie vers la légalisation, une politique zéro tolérance cible dealers et consommateurs
Imaginez qu’un jeune homme entre dans un coffee shop, présente sa carte d’identité, et commande cinq grammes de cannabis sans que personne n’appelle la police. Au lieu de cela, le buraliste lui répond avec un sourire "aucun problème ! Mais avant de payer, pourquoi ne pas me suivre dans la pièce à côté ? Allons discuter des conséquences de la consommation de drogues". Simple, préventif, et éducatif, beaucoup voient ainsi l’avenir du marché de la drogue en Allemagne. Pourtant, le chemin vers la légalisation est encore pavé d’obstacles, même au sein des fêtes berlinoises.
Les partisans de la légalisation du cannabis ont récemment marqué une étape importante dans la formulation du premier projet de loi qui régulerait la production et la distribution du cannabis et de ses dérivés, y compris une recommandation pour la mise en place de programmes de prévention. Le projet de loi stipule précisément qui aura la permission d’en vendre et d’en acheter. "C’est un précédent en Allemagne", se réjouissent les militants, en constatant que le projet a été soumis au comité parlementaire. Néanmoins, personne n’a l’air très enthousiaste. Les journaux qui ont retranscrit le mois dernier le passage du projet de loi ont immédiatement déclaré que la proposition était futile. Même le parti des Verts, qui a rédigé le projet de loi a admis que "les conservateurs au pouvoir ne vont jamais laisser passer cela".
"Notre objectif était de soulever le débat au Bundestag (parlement allemand, ndlr) et au sein de la société allemande", a expliqué Tibor Harrach, un expert en drogues et porte-parole des Verts. "Une légalisation totale devra encore attendre quelques années mais nous devons en parler". Et il y a beaucoup à dire. D’après les estimations, trois millions d’Allemands consomment de la drogue régulièrement, dont 200 à 400 tonnes de cannabis par an. L’Allemagne n’est pas le premier consommateur en Europe, mais il n’est certainement pas le dernier. Le tout combiné avec les sondages qui montrent un soutien grandissant à la légalisation ont convaincu les législateurs qu’il est temps d’en parler.
Pourtant, toutes les initiatives semblent avoir des difficultés à faire naître ce projet. Bien avant la proposition de la loi, le quartier de Friedrichshain-Kreuzberg à Berlin s’apprêtait à inaugurer son premier coffee-shop typique d’Amsterdam dans le parc Gorlitzer, une zone connue pour être fréquentée par les dealers. Presque deux ans plus tard, l’idée est toujours d’actualité. "Il s’agit d’un test pour tous les Allemands donc cela prend du temps. Mais nous progressons", assure le porte-parole du quartier Sascha Langenbach. L’idée est de mener une expérience sur trois ans parmi mille consommateurs inscrits et d’examiner de quelle manière leur comportement et leur santé sont affectés, si la loi passe. "Fument-ils davantage ? Passent-ils à des drogues plus dures ? Nous ne le savons pas puisque nous n’avions jamais eu l’occasion de faire le test".
Même la police a rejoint le combat. En octobre, l’association des Détectives d’Allemagne a appelé le gouvernement fédéral à former un comité d’experts de tous les domaines pour répondre à des questions similaires, en vue de trouver une alternative à la guerre contre la drogue. Cependant, ils ne sont pas prêts à soutenir la légalisation. "Traquer les dealers et les consommateurs de drogue ne fonctionne pas, mais nous n’allons pas légaliser le cannabis maintenant", insiste Michael Bohl, président de la région de Berlin. "Nous ne sommes pas prêts à ‘donner une chance’ jusqu’à ce que quelques réponses soient données. La légalisation immédiate conduirait à la hausse de la consommation, particulièrement chez ceux qui ne consomment pas parce que c’est illégal. Nous devons d’abord informer, spécialement les jeunes, des dangers possibles".
Pendant ce temps, à Görlitzer Park - où 200 trafiquants de drogue peuvent être aperçus chaque jour - la ville a recours à des mesures désespérées pour tenter de reprendre le contrôle. Malgré l'objection de l'administration du district, une nouvelle politique de "tolérance zéro", qui a été présentée ce mois-ci par le Sénat de Berlin, a ordonné aux policiers, qui ont cessé d'arrêter les détenteurs de moins de 15 grammes de marijuana, de détenir tous les utilisateurs et les vendeurs pris dans le parc. Ils sont alors tenus de payer une amende majorée ou d'aller en prison. La dernière rixe qui a provoqué ce changement de politique fut un affrontement au couteau en novembre entre un propriétaire d'un café et deux dealers.
"Les gens ne sont tout simplement plus prêts à ignorer le fait que le parc est utilisé comme un supermarché pour la drogue ouvert 24/24", a souligné Langenbach.
La nouvelle politique a réussi à faire peur aux dealers pour un jour ou deux, mais peu de temps après les passants ont de nouveau entendu le murmure familier: "Cock oder grass?". Langenbach n'a pas été surpris.
"Les arrestations massives n'arrêterons pas les trafiquants de drogue, puisque pour chaque dealer arrêté il y en a cinq prêts à prendre sa place. Cela influe principalement sur les utilisateurs, qui peuvent être des citoyens respectueux de la loi à tous les égards, sauf qu'ils aiment à fumer un joint de temps en temps. De plus, cette politique crée aussi une énorme charge de travail pour la police, qui doit enregistrer tout montant et bloquer l'ensemble de l'administration pendant des semaines et des mois. C'est seulement une question de temps jusqu'à ce que le Sénat se rende compte que ce n'est pas la voie à suivre."
Mais les militants de la légalisation ne sont pas prêts à attendre. Le German Hemp Collective a déjà déclaré qu'il paierait un avocat pour toute personne arrêtée en vertu de la nouvelle politique. "Nous allons nous battre jusqu'à ce que nous soyons sûrs que la plus haute juridiction rejette cette politique. Cela ne sert pas l'intérêt du public", a souligné le directeur général de l'association Georg Wurth.
"La guerre contre la drogue nous coûte des millions alors que nous pourrions en gagner autant en taxant un commerce légal de stupéfiants. Cette discussion date, mais maintenant ça prend de l'ampleur, avec plus de savants, de médecins et de représentants de la loi soutenant la légalisation. Peut-être que les opposants à la légalisation pourraient, pour une fois, expliquer les avantages de leur position".
Alors que les Pays-Bas, le Portugal, l'Uruguay, et même certains Etats des États-Unis ont déjà franchi le pas, les Allemands accusent le système fédéral des obstacles rencontrés. "Dans les grandes villes la majorité soutient la légalisation, mais nous avons besoin d'une majorité dans tous les Etats, et le sud catholique fait pression sur le gouvernement pour ne rien changer", a déclaré Harrach. D'autres pointent du doigt la mentalité allemande: "Malgré le nombre de fumeurs, les Allemands en général aiment suivre la loi et faire ce que le gouvernement dit. La légalisation de quelque chose qui était illégal n'est pas facile", affirme Wurth. "Même lorsque le cannabis sera légalisé, vous pouvez être sûr que nous allons avoir des règles et des réglementations très détaillées concernant son utilisation."
Source: i24news.tv
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