La découverte dans le sang de la substance interdite ne suffit plus pour sanctionner un conducteur. Un motard a plaidé avec succès qu’il ignorait être hors la loi deux jours après avoir fumé un joint. Tout se complique.
A moins d’être pris en flagrant délit de fumette, les conducteurs amateurs de la cigarette qui fait rire vont devenir plus difficiles à confondre si l’on se réfère à un arrêt récent du Tribunal fédéral.
Il n’y avait pas d’odeur suspecte dans l’habitacle, et pour cause: l’intéressé était un motard. L’infortuné pilote de deux-roues, heurté par une voiture, gravement blessé, a pourtant été reconnu coupable par la justice vaudoise d’incapacité de conduite et d’infraction à la loi sur les stupéfiants. Son sang contenait 2,3 microgrammes par litre de tétrahydrocannabinol (THC), substance active du cannabis. Jusque-là rien d’illogique. Or, il vient d’obtenir gain de cause devant le Tribunal fédéral.
Les juges vaudois avaient considéré que le principe légal de tolérance zéro n’a besoin d’aucune autre preuve que la découverte dans le sang de la substance interdite, dès lors que le seuil de détection fixé à 1,5 microgramme est franchi. La réalité est loin d’être aussi simple.
Le motard n’a pas contesté le taux de THC mesuré dans son sang. Il a simplement affirmé ignorer qu’une telle concentration pouvait être préjudiciable deux jours après avoir fumé un joint. A noter que la présence de cette substance dans le sang reste décelable pendant deux jours au moins. Son avocat, Me Philippe Nordmann, précise: «Sa consommation de cannabis datait du dimanche. L’accident est survenu le mardi. Dans l’intervalle, ce jeune homme a constaté qu’il travaillait comme d’habitude dans son métier d’opticien, qui nécessite une précision et une concentration élevées. Il avait donc une bonne raison de se considérer apte à la conduite, et de ne même pas s’interroger sur ce point.»
A la différence de la justice vaudoise, selon laquelle l’intéressé ne pouvait ignorer la situation dans laquelle il se trouvait, le Tribunal fédéral rappelle en substance que c’est à l’accusation qu’incombe le fardeau de la preuve.
Plus précisément, en matière d’incapacité de conduite, cette infraction exige toujours l’intention, la conscience ou la négligence. Concrètement, il faut démontrer que l’auteur a conscience de son état d’incapacité. Et la Haute Cour d’asséner que le jugement vaudois «ne fait aucune référence aux circonstances qui permettraient d’établir que le recourant se savait en incapacité de conduire lorsqu’il a pris le guidon de son motocycle».
La science dans le flou
Reste à savoir dans quelle mesure 2,3 microgrammes de THC par litre de sang peuvent engendrer une incapacité de conduire. D’une manière générale, le Tribunal fédéral admet «qu’en l’état des connaissances médicales, il n’existe pas de données scientifiques permettant de corréler de manière fiable la quantité consommée d’un stupéfiant, le cannabis en particulier, respectivement la quantité de substance se trouvant dans le corps, à une incapacité de conduire».
Me Nordmann: «Autrement dit, il peut y avoir incapacité avec une quantité minime de THC ou au contraire pleine capacité avec un taux dépassant la limite de 1,5 microgramme.»
Il demeure, selon une étude nationale dont les résultats ont été publiés le printemps dernier, que le cannabis est en tête des substances illégales décelées chez les conducteurs.
Article de Georges-Marie Bécherraz publié le 17 Juillet 2010
Source : 24heures.ch