Au moment où Ottawa prépare son projet de loi sur la légalisation de la marijuana, un expert américain conseille au Canada de ne surtout pas imiter les États-Unis. Voici pourquoi.
L'expert américain Mark Kleiman Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Mark Kleiman est un spécialiste des politiques sur les drogues. Il a été consultant pour le gouvernement de l'État de Washington, le deuxième État américain qui a légalisé le cannabis. Il est aujourd'hui professeur à l'Université de New York.
En avril dernier, Mark Kleiman organisait avec son université un sommet politique et scientifique sur le cannabis. L'expert a des opinions passionnées et parfois étonnantes sur la légalisation du cannabis à des fins récréatives. Voici quelques observations qu'il a faites dans le cadre de cette rencontre.
« Il faut dépasser la polarisation »
M. Kleiman déplore le fait que les débats sur la légalisation ressemblent à un dialogue de sourds. « Si vous êtes pour la légalisation, vous êtes hip, dans l'air du temps, et vous défendez les libertés civiles. Et si vous êtes contre, vous êtes responsable, sérieux et vous vous souciez de l'avenir des jeunes et de la santé publique. »
« Mais c'est beaucoup plus compliqué que ça », renchérit M. Kleiman. Il explique qu'il y a différents scénarios de prohibition ou de légalisation qui peuvent avoir des effets positifs ou négatifs.
Écoutez le reportage de Michel Labrecque diffusé le 28 août à l'émission Désautels le dimanche sur ICI Radio-Canada Première.
« On connaît encore peu de choses sur le cannabis »
Quand il a conseillé le gouvernement de l'État de Washington sur la légalisation, Mark Kleiman a constaté le manque de connaissances sur certains effets du cannabis. « Personne ne travaille à acquérir les connaissances scientifiques dont nous aurions besoin pour que la légalisation se fasse correctement. Donc nous la faisons n'importe comment. »
Mark Kleiman donne l'exemple de l'alcool. On peut définir très clairement ce qu'est une dose d'alcool, et quelle quantité on peut consommer de façon sécuritaire. « Avec le cannabis, il n'y a aucun équivalent; une bouffée n'est pas une unité de mesure. »
Il observe que la prohibition empêche ce genre de recherches.
Cinquante ans de prohibition ont fait du cannabis une plante plus dangereuse que celle dont on discutait dans les années 60.
Mark Kleiman
« Mon conseil au Canada »
« Observez le modèle américain, faites exactement le contraire », dit Mark Kleiman, quand on lui demande quel conseil il donnerait aux Canadiens.
Le professeur américain est très critique du modèle « industriel » du Colorado et des autres États américains qui ont procédé à la légalisation, où on trouve des centaines de « cannaboutiques » qui offrent des milliers de produits différents. M. Kleiman exhorte le Canada à faire preuve de plus de « sobriété ».
La vente de cannabis dans une boutique de Denver, au Colorado. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Un dossier chaud dans les prochains mois
Au Canada, un groupe de travail fédéral a commencé ses travaux en vue d'un projet de loi au printemps prochain sur la légalisation du cannabis. La consultation du public sur le web prend fin le 29 août.
Aux États-Unis, il y aura des référendums sur la légalisation dans cinq États : l'Arizona, la Californie, le Maine, le Massachusetts, et le Nouveau-Mexique.
« Les bénéfices du cannabis? »
Jusqu'au début des années 2000, dans les rencontres internationales, aucun expert respectable ne pouvait évoquer les bénéfices du cannabis. « Maintenant, on peut parler de certains avantages sur le plan médical, et même dire que certaines personnes aiment être stoned, et ça fait partie des bénéfices. » Un changement important de paradigme, note M. Kleiman.
Par contre, il fait l'observation suivante : « Si j'étais un pays où l'usage du cannabis n'est pas trop répandu, je ne légaliserais pas le produit ». À noter : le Canada et les États-Unis font partie des pays où on consomme le plus de cannabis.
Un texte de Michel Labrecque
Source: ici.radio-canada.ca