La production de marijuana récréative ne sera pas « l’eldorado » auquel les producteurs agricoles s’attendent, selon la professeure titulaire au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa Line Beauchesne.
Les normes gouvernementales de culture sévères, la difficulté d’obtenir une licence et les volumineux montants à investir pour démarrer la production de marijuana ne rendront pas l’exercice facile pour les producteurs agricoles désireux de tenter l’aventure.
« Reins solides »
Il faudra avoir les « reins solides » pour se lancer dans ce type de production, prévient la professeure. Les normes de production dans le Règlement sur la marijuana à des fins médicales sont sévères et, selon Mme Beauchesne, c’est la prolongation de ce modèle qui sera privilégiée par le gouvernement pour la production récréative.
La professeure titulaire au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa Line Beauchesne signe un article scientifique sur la légalisation de la marijuana au Canada, publié à la fin de mars dans la revue Drogue, santé et société. Crédit photo : Gracieuseté de l’Université d’Ottawa
La loi oblige actuellement les producteurs de marijuana médicale à cultiver à l’intérieur afin d’éviter tout contaminant aérien, toute moisissure ou odeur indésirable. Or, bâtir les infrastructures adéquates engendre « des coûts astronomiques pour répondre à ce cadre réglementaire », explique Mme Beauchesne. L’experte ne pouvait quantifier le montant de l’investissement initial.
Cependant, les chiffres entendus aux audiences des commissions chargées de faire la lumière dans ce dossier faisaient état de plusieurs millions de dollars.
Pour le moment, « on ne sait pas si la culture en champ sera permise », ajoute-t-elle. Dans son rapport dévoilé en décembre, le groupe de travail qui s’est penché sur la question a recommandé la culture extérieure, mais seulement à des fins artisanales.
Se mettre dans la file
Pour pouvoir faire sa place à temps sur le marché, « il faut déjà se mettre dans la file pour obtenir une licence thérapeutique », indique Mme Beauchesne.
Au départ, les normes de culture seront les mêmes pour les deux types de production, estime-t-elle, mais le gouvernement les modifiera et les producteurs médicaux auront alors une longueur d’avance sur le marché récréatif. D’ailleurs, à long terme, Mme Beauchesne prédit l’élimination des petits joueurs du marché actuel du cannabis. « Comme dans tout marché lucratif, les gros achèteront les petits. »
Autre changement : la licence de production. Jusqu’à maintenant sans frais pour les producteurs de marijuana thérapeutique, elle engendrera des coûts à partir du moment où la drogue sera légalisée.
L’expérience américaine a démontré que les consommateurs préféraient les produits comestibles, les vapoteuses et les huiles dérivées du cannabis à sa version séchée. Or, actuellement, seuls les produits séchés ou les huiles sont permis. Les producteurs devront travailler de pair avec l’industrie de la transformation ou investir dans leurs infrastructures pour diversifier leur offre. « On sait déjà que le gouvernement va accepter ces autres produits », ajoute la professeure.
Pesticide interdit
La découverte de myclobutanil dans la marijuana médicale de deux producteurs autorisés par Santé Canada, Mettrum et OrganiGram, a prouvé l’efficacité du système de contrôle et de traçabilité du gouvernement. Utilisé couramment dans la production fruitière et maraîchère, ce pesticide est interdit dans la production de cannabis, puisqu’il devient toxique lorsqu’il est inhalé après avoir été brûlé. Les lots contaminés ont été rappelés, mais, après enquête, les licences des entreprises n’ont pas été suspendues par Santé Canada, même si la production d’OrganiGram est certifiée biologique. « C’est là que le gouvernement doit montrer que sa loi va avoir des dents, parce qu’il sait très bien qu’il y a de gros capitaux américains derrière plusieurs des joueurs [canadiens] actuels », dit Mme Beauchesne.
Source: laterre.ca