(Ottawa) Alors qu'il compte légaliser la consommation de la marijuana dans moins de 10 mois, le gouvernement fédéral ne dispose toujours pas de données scientifiques fiables sur la quantité de cannabis qu'un individu peut consommer avant que cela ne nuise à sa capacité de conduire un véhicule.
Le ministère fédéral de la Justice recommande à ceux qui choisiront de consommer du cannabis,
une fois que la vente de cette drogue sera légalisée, de ne pas prendre le volant.
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Ottawa ne dispose pas non plus d'étude sur le temps qu'une personne devrait attendre après avoir fumé de la marijuana avant de conduire sa voiture.
Résultat : le ministère fédéral de la Justice recommande tout simplement à ceux qui choisiront de consommer du cannabis, une fois que la vente de cette drogue sera légalisée aux quatre coins du pays à compter du 1er juillet 2018, de ne pas prendre le volant.
C'est du moins ce que propose le gouvernement Trudeau dans son projet de règlement sur la concentration de drogue dans le sang publié vendredi dernier dans la Gazette du Canada.
«Il est à signaler que le THC est une molécule plus complexe que l'alcool et l'état de la science ne permet pas de donner aux conducteurs des indications générales sur la quantité de cannabis qu'il est possible de consommer avant qu'il ne soit plus sécuritaire de conduire ou avant que les niveaux proposés ne soient dépassés», peut-on lire dans ce projet de règlement.
«Il est tout aussi difficile de fournir des conseils généraux sur le temps à attendre avant de prendre le volant après avoir consommé du cannabis», indique-t-on.
«Dans ce contexte, l'approche la plus sûre pour une personne qui choisit de consommer du cannabis est de ne pas prendre le volant.»
Toutefois, dans le projet de loi C-46 visant à légaliser la consommation récréative du cannabis, le ministère de la Justice fixe tout de même une limite, même s'il n'a pas d'études scientifiques à l'appui. Toute personne conduisant un véhicule qui aurait une concentration de tétrahydrocannabinol (THC) de plus de 2 nanogrammes par millilitre de sang serait coupable d'une infraction et pourrait être déclarée coupable par procédure sommaire.
Quant aux individus qui consommeraient de l'alcool et du cannabis, la limite légale serait établie à 50 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang et la concentration de THC dans le sang serait établie à 2,5 nanogrammes par millilitre de sang.
Le projet de loi à l'étude par la Chambre des communes permettrait d'ailleurs à un policier de demander un échantillon de sang à un conducteur s'il a des motifs raisonnables de croire que l'automobiliste conduit son véhicule avec les facultés affaiblies par la drogue.
«Il y a du travail à faire»
Pour le docteur Gary Kay, qui a fondé l'Institut neuropsychologique de Washington et qui est considéré comme un expert international en ce qui concerne les effets des drogues sur les facultés des individus, le gouvernement Trudeau fait fausse route en légalisant la marijuana sans avoir obtenu de données scientifiques fiables sur les effets du cannabis sur la capacité de conduire un véhicule. Cette façon de faire est d'autant plus étonnante que les libéraux de Justin Trudeau ont promis de prendre des décisions fondées sur des preuves et des faits.
«Tout le monde essaie de bien faire les choses là où on veut légaliser la marijuana.
Le problème, c'est qu'il y a encore beaucoup d'inconnues», a affirmé M. Kay à La Presse.
«On tente d'adopter des politiques sans avoir en main les informations dont on a véritablement besoin, en particulier des données scientifiques fiables sur les effets qu'a le cannabis sur la capacité de conduire un véhicule.»
Il a ajouté qu'il travaille actuellement avec la US National Highway Transportation Safety Administration afin d'élaborer une méthodologie qui serait utilisée à l'échelle des États-Unis pour évaluer la conduite avec les facultés affaiblies par les médicaments prescrits et des drogues illégales, dont le cannabis.
«Nous avons de très bonnes données concernant les effets de l'alcool sur la conduite d'une automobile. Mais nous n'avons pas de telles données pour le cannabis. Il y a du travail à faire à cet égard. Plusieurs des études qui ont été faites jusqu'ici ont un nombre limité de cas. Ce n'est pas suffisant», a dit le Dr Kay.
Une firme de Montréal propose de faire l'étude
Durant les consultations publiques menées par le gouvernement du Québec sur la légalisation de la marijuana, la firme Altasciences Recherche Clinique de Montréal a fortement suggéré de mener des recherches sur cette question afin d'établir une réglementation pour le cannabis au volant «défendable sur le plan scientifique».
Dans un mémoire déposé le 23 août, les dirigeants d'Altasciences ont fait valoir qu'il faut absolument évaluer le niveau de THC dans le sang qui mène aux facultés affaiblies, l'interaction entre le cannabis et l'alcool et l'éducation publique nécessaire pour établir des normes de consommation responsable.
«Aucune juridiction dans laquelle le cannabis est légal n'a entrepris de légiférer sur des bases scientifiques quant au cannabis au volant. Elles ont plutôt opté pour une politique de tolérance zéro ou un niveau arbitraire», a-t-on fait valoir dans le mémoire.
Source: lapresse.ca